Un regard, une image,

 

 

4.paysage au clair de lune 3   copie

 

Philippe-Jacques de Loutherbourg

Paysage au clair de lune, 1777

Musée des Beaux-Arts de Strasbourg

 

La pleine lune, cachée partiellement par des nuages éclaire le passage à gué d'un troupeau composé de vaches, de moutons et d'un âne qu'un pâtre pousse en arrière ; sur le côté au second plan une jeune femme chapeautée chemine juchée sur un cheval. Un grand arbre, sans doute foudroyé, élève ses branches encore vertes vers le ciel ; enfin à droite, au pied d'un amoncellement de rochers, une sorte de sainte famille intrigante se réchauffe à un brasier.

 

La toile est datée de 1777, c'est à dire de six ans après que le peintre se soit installé à Londres pour fuir les scandales de sa vie parisienne. Loutherbourg fait ici une carrière brillante dans le théâtre. Le grand acteur Garrick lui ayant confié la direction de la décoration du théâtre de Drury Lane à Londres. Et cela se sent en regardant cette scène si intrigante : sont-ce des voleurs de troupeaux ? En effet les bergers font rarement circuler leurs bêtes la nuit. Le groupe autour du feu, inquiétant, semblerait corroborer cette lecture. L'ambiance dans laquelle plonge l'ensemble du tableau est franchement mélancolique : les nuages gris, la lueur argentée de la lune, les rochers abrupts, les frondaisons noires, l'arbre foudroyé lançant ces branches vers le ciel, comme pour une supplication. N'étaient la brève lueur qui éclaire le bovin blanc et les pelages roux du reste du troupeau, le rougeoiement du brasier, le tableau serait funèbre. Tout Loutherbours est là : cette habileté à contraster les plages colorées avec une grande habileté, la séduction d'une palette riche, la subtilité des tons superbement nuancés. Mais cette habileté, cette maestria font qu'un tel tableau, laisse le visiteur un peu sur sa fin. Trop de littérature – on dirait un chapitre de roman -, trop de virtuosité – ces nuages exquisément diaprés -, trop d'élégance – ne dirait-on pas que les animaux ont été peignés ? On aimerait un peu moins de savoir faire, un peu plus d'authenticité...

 

Mais pourquoi bouder son plaisir après tout ?

 

Gilles Coyne

 

 

Philippe-Kasques de Loutherbourg, Paysage au clair de lune, 1777, © musée des Beaux-Arts de Strasbourg, photo M. Bertola