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Guillon Lethière
Né à la Guadeloupe
Guillaume Guillon Lethière (1760-1832), peintre aussi célèbre en son temps qu'ignoré du grand public aujourd'hui et auquel le Louvre à Paris consacre une rétrospective, est né en 1760 à La Guadeloupe des amours d'un riche propriétaire avec son esclave métisse. Il fallut attendre trente sept ans pour que ce père puisse reconnaître son fils qu'il avait affranchi. Trente sept ans et une révolution car le droit de l'ancien Régime, que régissait le fameux code noir, s'il permettait l'affranchissement d'un enfant né d'une mère esclave, interdisait la reconnaissance officielle de la filiation et donc les droits à l'héritage de ce même enfant par son père blanc.
Guillaume Guillon n'a jamais caché ses origines, d'où sa signature Guillaume Guillon Lethières né à la Guadeloupe - Lethière son nom avant la reconnaissance parce qu'il était le troisième enfant de son père (le tiers). Venu le temps de la notoriété, il s'est toujours senti proche des milieux abolitionnistes. Il était ami avec le général Dumas, comme lui fils d'une esclave et d'un propriétaire blanc, et de son fils Alexandre, l'auteur des Trois Mousquetaires. C'est l'occasion pour notre musée national d'évoquer brièvement le Paris métis en ce début du XIXe siècle et ses personnalités, entre autres le peintre Benjamin Rolland, autre fils d'une esclave, portraituré ici avec beaucoup de sensibilité par Girodet. Acte militant, Le Serment des Ancêtres (1822), qui clôture l'exposition et en forme le point d'orgue, est une toile étrange, véritable retable héroïsant la fondation de Haïti par l'union des métis et des Noirs contre leurs ennemis, les propriétaires esclavagistes Blancs. Le maître offrit le tableau à la toute jeune république et son fils le livra de façon quasi clandestine du fait de l'hostilité de Charles X. Il montre les généraux Pétion et Dessalines dont la réconciliation, sous la bénédiction de Dieu le père, a assuré la victoire et le fondation de la république.
Comme tous ses contemporains, l'artiste eut un déroulement de carrière compliqué : il a connu plusieurs régimes pas forcément compatibles et a dû s'adapter. Les organisateurs se sont fait un plaisir malin de juxtaposer ses productions officielles au cours des quarante années chaotiques, qui vont de la Convention à Louis-Philippe. De l'élégance des allégories féminines dans sa gravure encensant la réaction thermidorienne (1794) à la solide construction de Lafayette présentant Louis-Philippe au peuple de Paris (1830/31), en passant par l'esquisse, un rien engoncée, pour lesPréliminaires de la Paix signée à Leoben (1797) c'est tout un cheminement... Guillon Lethières fut, un moment, le peintre attitré de Lucien Bonaparte, le mauvais garçon de la famille, dont il fait le portrait, debout dans un paysage, à l'anglaise. Il le peint, à l'antique et sans doute sur une commande, contemplant sa maitresse Alexandrine de Bleschamp Jouberton, mollement étendue sur un sopha, vêtue d'une mousseline vaporeuse qui ne cache guère sa toison pubienne, note d'érotisme cru rare à l'époque. On ne peut pas dire que l'artiste ait particulièrement brillé dans l'art du portrait, à un moment où les talents abondaient à Paris que l'on songe à David, à Gros, Gérard, Girodet pour les plus connus, ses effigies des napoléonides ont la raideurs de mannequins destinés à mettre en valeur les somptueuses vêtures. Une exception cependant et remarquable : une toute jeune femme (sans doute sa belle-fille Eugénie Servières) s'appuyant sur son carton à dessin, contemple le visiteur ; le naturel de la pose, la simplicité de l'approche, l'harmonie sobre des tons, le regard tendre du peintre sur son modèle, font de cette image une des toiles les plus séduisantes de l'exposition. Car Guillon Lethière a animé un atelier très suivi pour jeunes femmes désireuses de se former à la peintures et Eugénie fut l'une de ses plus brillantes élèves.
L'artiste fut une des figures majeures du néoclassicisme, ce mouvement qui nait en Europe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et dura (ou sévit selon les goûts) jusqu'au début du second empire ; les défenseurs de cette esthétique prônaient un retour strict au grand goût Louis-quatorzien (le peintre possédait un tableau de Nicolas Poussin) et surtout aux principes de l'art antique, mieux connus grâce aux recherches archéologiques récentes. Homère chantant son Iliade aux portes d'Athènes (1814) est une toile nostalgique d'un charme prenant qui parle d'un temps aussi heureux qu'imaginaire. Les spectateurs écoutent le poète psalmodier assis sur le socle d'un tombeau devant une Athènes séduisante nichée dans un paysage montagneux harmonieusement disposé. Rappelons que l'Iliade et l'Odyssée ont été composée au IXe siècle avant J.-C. et que l'Athènes figurée ici semble avoir été bâtie aux Ve et IVe siècles. Le peintre n'a que faire de la cohérence archéologique, seul une antiquité rêvée l'inspire. Par ailleurs comme nombre d'artistes contemporains, il s'essaye à la veine anacréontique, du nom du poète grec, une antiquité séduisante, légère et discrètement érotique, Vénus et Adonis, Le sommeil de Vénus etc. Il s'égare même jusqu'aux frontières du style troubadour quand il s'inspire de la Jérusalem délivrée en de petites toiles précieuses aux paysages frais et verdoyants et aux personnages habillés d'armures étincelantes comme briquées.
En fait, Guillaume Guillon Lethière (1760-1832) est surtout l'auteur de deux immenses tableaux de près de huit mètres de large sur plus de quatre mètre de haut, Brutus condamnant ses fils à mort et La mort de Virginie, leur réalisation l'a occupé pendant des années. Exposés, le premier en 1812 à Paris et en 1816 à Londres avec beaucoup de succès, avec beaucoup moins pour le second en 1830 à Paris : ce classicisme, en plein Romantisme, paraissait complètement dépassé. La cruauté des thèmes qui à l'époque édifiaient, la mise en scène spectaculaire, les groupes partagés entre effroi et admiration, le décor grandiose supposé représenter la Rome ancienne, tout cela stimulait l'imagination et ouvrait le public à un monde de passions et de grandeur. À défaut des originaux, intransportables, mal exposés salle 701 du Louvre, à plus de quatre mètres de haut, victimes de contre-jours ravageurs, le visiteur se reportera sur les multiples études dessinées, peintes, gravées exposées ici. C'est sans doute la partie de l'exposition la plus séduisante.
Ce genre d'immenses toiles avaient beaucoup de succès et répondaient à une attente du public. Le bon bourgeois parisien, moyennant finance, se pressait : David put acheter une ferme avec son Couronnement, Géricault fit tourner avec succès ses naufragés de la Méduse en Angleterre ; quelques années plus tard on construira à Paris des panoramas pour se plonger dans l'action. On n'avait pas encore inventé le terme immersif mais l'idée était déjà là : au fond, participer à l'épopée, s'horrifier en toute sécurité à des spectacles violents mais si excitants... Cela nous est-il si étranger ?
Gilles Coÿne
Guillon Lethière, né à la Guadeloupe, 1760 -1832
jusqu'au 17 février 2025,
mazzanine Napoléon, musée du Louvre Paris
- Horaires et tarifs : tarifs et horaires du musée, consulter la site du musée.
- Publication : Guillon Lethière, né à la Guadeloupe, sous la direction d Esther Belle, Olivier Meslay, Maris-Pierre Salé.- 2024, Paris, musée du Louvre Schnoeck (Gand), 432 p., nombreuses illustrations