Expositions

 

 

 

 

Nicki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten

 

 

 

Ils étaient jeunes, talentueux, beaux et plein d'audace, en accord avec leur temps, celui des remises en question heureuses : le Grand Palais pour sa réouverture, après tant d'années de travaux, propose une exposition sur l'attelage de légende, à l'atelier comme à la ville, que formaient Nicki de Saint Phalle et Jean Tinguely, ce avec la complicité amicale de Pontus Hulten, premier conservateur du centre Georges Pompidou. Il ne s'agit nullement d'une exposition exhaustive sur le parcours de deux créateurs largement appréciés du grand public et favoris des institutions, mais uniquement de l'étude d'une amitié - oh combien créatrice ! - où l'invention se faisait dans la joie, l'exubérance, à rebours d'aujourd'hui où la revendication prend le plus souvent la forme d'une aigre attrition. Bizarrement, Pontus Hulten, figure centrale du trio, celui autour de qui tout s'organisait, n'apparaît que très peu sur les cimaises : Deux petits tableaux abstraits en début de parcours - il avait pensé un moment à peindre -, et surtout de nombreuses photos, des vidéos prises lors des vernissages et des performances. Il était là intellectuellement comme physiquement, il lui arrivait même de mettre la main à la patte dans l'élaboration comme dans la réalisation de certaines œuvres. Ne le voit-on pas en treillis porter la tête de Hon ? Discuter avec les concepteurs de cette gigantesque installation ? Il faut faire l'effort de scruter les tableaux de photos, de suivre jusqu'au bout les vidéos pour rentrer dans l'atmosphère ludique qui accompagnait ces moments intenses : impasse Ronsin, Nicky de Saint Phalle, face aux ouvriers rigolards du quartier, canarde une surface où sont accrochées des belles de ping pong pleines de peinture élaborant ainsi un de ses fameux tableaux-tirs aléatoires, en fait la plasticienne canardait ainsi avec conviction la figure du patriarcat - elle qui, toute jeune, fut victimes de violences incestueuses ; plus loin, des garçons et des filles, au son d'une fanfare, escortent une encombrante machine de Tinguely devant la Coupole puis le long de l'avenue du Montparnasse, un gendarme, dépassé par ce qu'il voit, rend compte, comme en catimini, auprès de sa hiérarchie, avant de coffrer l'artiste ; ou encore, les machines du Suisse, tressautantes, grinçantes, stupéfiant le bourgeois dubitatif lors d'un vernissage ; oui tout cela était joyeux, festif, imaginatif. Ce groupe estimait que l'art n'était pas réservé à une élite cultivée mais devait s'adresser à tous et, ce, sans transiger sur leurs idées et en diluer le contenu subversif. 

 

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Les mécanismes complexes imaginés par le Suisse, faits de matériaux de récupération, qui s'agitent de façon absurde, grincent, s'échinent en une dynamique poussive pleine d'humour ne sont pas sans signification profonde en dépit de leur aspect enjoué. Les visiteurs aiment bien les déclencher sans être forcément conscient de leur pouvoir subversif : elles ne servent à rien, en effet, elles ne sont même pas belles au sens où on l'entend d'ordinaire et l'on sourit forcément à tant d'efforts pour un aussi maigre résultat tel qu'agiter un plumeau ridicule ou faire danser des robes défraîchies ( Ballet des Pauvres)... Outre le souci d'introduire le mouvement dans l'art moderne et de briser le statut de l'objet d'art forcément admirable, ces machines proclament surtout l’obsolescence du modèle roi de l'époque, celui de la société de consommation et de l'effarant gaspillage qu'elle induit. Tinguely poussera jusqu'à l'absurde sa démarche en construisant des œuvres qui s'autodétruisent à la fin de leur exposition. 

 

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Nicki de Saint Phalle occupe seule la fin du parcours au premier étage, le rez de chaussée étant plutôt dédié au plasticien. Ses nanas, si rigolotes, soit parées d'improbables robes vivement colorées, soit nues tout aussi hautes en couleur, assumant sans pudeur excessive leur sex-appeal de femmes rondouillardes et décomplexées, sont là bien entendu comme ses monstres fabriqués en entassant tissus, objets et matières les plus improbables. Ce monde sonne l'hallali d'une société patriarcale fossilisée (on la croyait alors agonisante...) Tout cela est bien connu, nous dira-t-on, comme les mega constructions (le Cyclop à Milly-la-Forêt ou le Jardin des Tarots en Italie, voire le Crocro drome de Zig et Puce), mais ce que le public ignore en revanche c'est l'immense installation que fut Hon, en Katedral, (Elle, une Cathédrale) commandée par Pontus Hulten pour le Moderna Museet de Stockholm dont il était alors le conservateur. C'était une immense figure féminine étendue, accoudée, cuisses écartées. Le public entrait par le vagin et, à l'intérieur, pouvait visiter différents lieux, un bar, une exposition de tableaux etc. Le scandale fut aussi immense que le succès de portée internationale. Certains étrangers n'hésitèrent pas à faire le voyage. L'installation fut détruite à la fin de l'exposition. Il n'en reste que quelques débris dont la tête que l'on voit exposée ; épaves de ce qui fut une provocation réjouissante. En serait-on capable aujourd'hui ?

 

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Le couple que firent Nicky de Saint-Phalle et Jean Tinguely tient de la légende par sa durée, son intensité, sa fécondité tant intellectuelle qu'artistique, et l'amitié qu'ils partageaient avec Pontus Hulten toute aussi chaleureuse et inventive donnent à l'exposition un cachet de décontraction bien heureux. Le public ne s'y trompe pas qui, tous âges mélangés, toutes classes sociales confondues, se presse heureux dans les hautes salles du Grand Palais inondées de soleil...

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nicki de Saint-Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten

26 juin – 4 janvier 2026,

Paris, Grand Palais, entrée square Jean Perrin

17, avenue du général Eisenhower, 75008 Pariswww.centrepompidou.f

- Horaires et tarifs : du mardi au dimanche de 10h à 19h30, nocturne le venfredi jusqu'à 22h ; tarifs 17 et 14€, carte POP' donnant droit à l'entrée pour toutes les manifestations organisées par le centre. Consulter le site.

- Publications : Catalogue, sous la direction de Sophie Duplaix.- Paris, 2025, Centre Pompidou/RMN Grand Palais, 336p., 45€. Sophie Duplaix : Le Journal de l'exposition, 24p., 6€. Un Podcast est proposé sur le site du Centre

- Offre culturelle : Visites guidées, Documentaires, dfilm diffusé sur le réseau MK2 « Un rêve plus long que la nuit ».