Expositions

 

 

 

Georges de la Tour (1593-1652)

 

 

 

Le musée Jacquemart-André présente une exposition sur de Georges de La Tour qui réunit plus d'une trentaine de toiles du maître accompagnées de quelques œuvres de ténébristes contemporains, originaires pour l'essentiel du nord de l'Europe. Il faut y courir, malgré les conditions d'expositions déplorables propres à ce lieu, espace étriqué interdisant tout recul, lumières violentes qui « tuent » les œuvres, car l'occasion ne s'offrira pas de sitôt de voir un tel rassemblement de tableaux d'un maître si apprécié aujourd'hui mais qui fut si ignoré dès son trépas. C'est que l'espace où le peintre évoluait, la Lorraine, Vic-sur-Seille sa ville natale, Lunéville et Nancy qui furent ses lieux de résidence, se situaient un peu en marge des grands courants de la peinture européenne. Et même s'il obtint le titre de peintre ordinaire du roi à Paris, s'il vendit quelques tableaux dans la capitale et s'il aussi obtint le droit de résider au Louvre lors de son séjour, il n'en demeure pas moins que cela demeure marginal dans une carrière s'étant presqu'entièrement déroulée dans un cadre provincial.

 

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Il y a comme un gouffre entre ce que nous percevons de son œuvre aujourd'hui, sobriété, retenue, religiosité intense, empathie envers les humbles, et ce que les historiens ont découvert rn dépouillant les archives : il était franchement antipathique, arrogant, acrimonieux, procédurier, dur envers les « Petits », obséquieux avec les « Grands ». De plus la peinture n'était pas sa seule activité, il tenait un prospère commerce de céréales et enfin, couronnement d'un intense travail, il finit par être anobli ce qui mit fin à sa carrière artistique. Cette dichotomie n'est paradoxale qu'en apparence : s'il parait une médiocre personnalité, il en allait différemment pour sa clientèle qui était sans doute plus exigeante. Ce début du XVIIe siècle est une époque de renouveau pour le catholicisme. Tout un courant d'austère piété, de renoncement à la vanité du monde, de recherche d'authenticité en fait de religion balaie l'Europe du nord ; il s'agit de contrecarrer les séductions d'un protestantisme austère et sobre, autant que de renouer avec une pratique religieuse plus intériorisée. L'art plein de retenue, méditatif, de La Tour, en dépit de l'opportunisme de son auteur, répondait à une demande et cela explique en grande partie son succès. Il faut aussi rappeler la dureté des temps qui ne prédisposait pas à l'optimisme. L'essentiel de sa vie d'adulte s'est déroulée dans le cadre de la guerre de trente ans qui a ravagé l'Europe du nord (1618-1648). La Lorraine était l'un des épicentres du conflit : Lunéville, où il résidait, ne fut-elle pas pillée et incendiée en 1636 ce qui l'obligea de se replier sur Nancy ? Rappelons pour ceux qui l'ignoreraient ce que la guerre signifiait alors. Exécutions sommaires, viol pour les femmes, maisons saccagées, rapine de tout ce qui avait quelque valeur, famines, sans compter les épidémies qui s'ensuivaient. Il est mort de la peste ainsi que son épouse... Son contemporain et compatriote Jacques Callot (1592-1635) a parfaitement rendu l'esprit de cette époque tragique. Il y a là de quoi expliquer largement une œuvre marquée par la sobriété et la gravité. Ici pas de bambochades rigolardes ou graveleuses, pas de nobles histoires, pas de héros exemplaires, mais au contraire un goût pour la simplicité des êtres, la retenue de leur gestuelle, l'ambition d'en dire beaucoup en en représentant peu.

 

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On ignore tout de sa formation. Selon toute probabilité elle s'est déroulée à Lunéville ou à Nancy, des centres actifs où opéraient quelques artistes appartenant à la galaxie ténébriste nordique. Le Concert nocturne de Jean Leclerc, revenu à Nancy en 1622, témoigne ici de cette mouvance. S'il ne fit certainement pas le voyage en Italie qui était souvent de rigueur à l'époque pour un jeune artiste, il a sans doute séjourné dans les Pays-Bas du Nord. On a depuis longtemps noté sa proximité avec l'art d'un Hendrick Ter Bruggen et plus généralement avec les peintres, catholiques, d'Utrecht. Tout cela est très conjectural. La Tour se singularise parmi ses contemporains par sa sobriété. Pas de paysage, des espaces quasi abstraits, peu d'objets, simplement quelques accessoires pour faciliter la compréhension du sujet - Ah le superbe rouge du chapeau cardinalice du Saint Jérôme de Stockholm ! Peu de personnages, une gestuelle retenue, des formes simplifiées ce qui prête aux protagonistes une grandeur même dans leurs activités les plus triviales : la Servante qui s'épouille à la lumière d'une chandelle est la sœur des Madeleine repentantes. L'action, comme ralentie, prend des allures de liturgie : Sainte Sébastien soigné par Sainte Irène dont la version en buste est exposée ici dit à la fois la calme acceptation du martyre, sa nécessité évidente, enfin l'empathie de la femme envers le blessé. Le temps, comme suspendu, du Nouveau-né de Rennes, son chef-d'œuvre absolu, dit mieux que toute autre toile, le miracle de l'enfant, le miracle de la naissance du « Sauveur » (pour les Chrétiens). Sobriété expressive qui est comme une marque de fabrique chez lui.

 

L'œuvre s'inscrit résolument dans la veine populaire du caravagisme. La Tour représente surtout des vieillards dans le dénuement - mais non en haillons -, des femmes du peuple - pas des harengères -, des soldats, des moines ayant fait vœux de pauvreté. Pas de nus glorieux, si ses Madeleines sont dénudées, il ne viendrait à personne l'idée de les désirer, pas plus que la Femme à la puce, et le Job raillé par sa femme comme les Saint Jérôme ne sont que de pauvres vieux au corps dévasté par l'âge. De toutes façons, nobles ou prolétaires, la séduction n'est pas le souci premier de ce monde.

 

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L'éclairage nocturne de ses tableaux, aux violents contrastes lumineux, sa spécialité, nous fascine aujourd'hui, nous sommes friands de ces effets brutaux... Ils transcendent les scènes, qu'elles soient religieuses ou non et leurs donnent une profondeur parfois inquiétante voire mystérieuse, une épaisseur humaine lourde de non-dits. La Tour est le maître des lumières rares, violemment expressives, qui sculptent les formes, projetant en avant le sujet toujours sobrement représenté, rejetant dans l'ombre ce qui reste secondaire ; le procédé est peut-être facile, il n'en est pas moins efficace et se prête admirablement à cet art du maitrisé, de l'intime, de la ferveur. Que ce soit un lumignon - les Madeleine - , une lanterne - les Saint Pierre repentants -, une chandelle, qu'une main, un bras, un personnage, cachent, le procédé de la source unique, souvent cachée, est efficace.

 

Malgré ses lacunes – Les Tricheurs du Louvre et du Metropolitan, la Diseuse de bonne aventure manquent ici – l'exposition du musée Jacquemart-André donne une bonne idée de l'art de Georges de la Tour dans sa variété et sa complexité, c'est un des éléments majeurs de cet automne 2025 à Paris .

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

1 – Le Nouveau-Né, vers 1647/48, huile sur toile, © Rennes, musée des Beaux-Arts

2 – Job raillé par sa femme, année 1630, huile sur toile, © épinal, musée dépatemental d'art ancien et contemporain.

3 – Les Larmes de St Pierre, vers 1645, huile sur toile, © The Cleveland Museum of Art.

 

 

 

 

 

 

 

Georges de La Tour

Entre ombre et lumière

Jusqu'au 25 janvier 2026

Musée Jacquemart-André

158, boulevard Haussmann – 75008 Paris

- Tél. : 01 45 62 11 59

- Horaires : Tous les jours, fermé le dimanche. Ouvert de 10h à 18h., à 22h le vendredi et à 19h. Le samedi.

- Publication : Catalogue .- 2025, éditions Hazan, 208p., 39€.

des éléments majeurs de cet automne 2025 à Paris .

Gilles Coÿne

1 – Le Nouveau-Né, vers 1647/48, huile sur toile, © Rennes, musée des Beaux-Arts

2 – Job raillé par sa femme, année 1630, huile sur toile, © épinal, musée dépatemental d'art ancien et contemporain.

3 – Les Larmes de St Pierre, vers 1645, huile sur toile, © The Cleveland Museum of Art.

Georges de La Tour

Entre ombre et lumière

Jusqu'au 25 janvier 2026

Musée Jacquemart-André

158, boulevard Haussmann – 75008 Paris

- Tél. : 01 45 62 11 59

- Horaires : Tous les jours, fermé le dimanche. Ouvert de 10h à 18h., à 22h le vendredi et à 19h. Le samedi.

- Publication : Catalogue .- 2025, éditions Hazan, 208p., 39€.