Expositions

 

 

 

Entre Milan et Venise

 

L'Academia Carrara à Bergame

 

 

 

 

L'Academia Carrara à Bergame est une des musées les plus charmants d'Italie, pays où les musées charmants abondent. L'institution ayant du fermer ses portes pour cause de restauration, le musée des Beaux-Arts de Caen, dont les collections italiennes sont fameuses, accueille une sélection d'oeuvres qui ne laissera pas l'amateur indifférent.

pisanello portrait de lionello desteLes collections de l'Academia datent pour l'essentiel de la fin du XVIIIe siècle et du XIXe siècle quand, le comte Giacomo Carrara (1714-1796), un hommes des Lumières comme il y en eut tant dans l'Italie de l'époque, légua ses tableaux (plus de 120) et une forte somme d'agent pour créer une institution d'enseignement artistique à Bergame. Rapidement le bâtiment néoclassique qui abrite encore le musée fut mis en chantier, il fut inauguré en 1810. Cette petite collection devait s'enrichir tout au long du XIXe siècle de legs dont les plus importants sont celui fait par le critique et historien de l'art Morelli (1816-1891). Morelli,le « connaisseur » qui devait révolutionner l'art de l'attribution en le fondant sur des critères objectifs. Enfin celui de Guglielmo Lochis qui fondait un musée dans sa villa de Crocetta di Mozzo dont une partie devait revenir ultérieurement à l'Academia.

Le patriotisme local était la force qui poussait ces hommes à collectionner puis à léguer à leur petite patrie les oeuvres qu'ils avaient réunies avec passion. Si Morelli avait le souci d'élargir à d'autres horizons sa collection, entre autres quelques Hollandais exposés ici, les autres se limitèrent au champ régional. Le musée doit à l'historien le Portrait de Lionello d'Este par Pisanello (1394-1455). Pisanello, modeleur de médailles mais aussi peintre dont très peu d'oeuvres peintes ont survécu. Le Jeune homme à la pipe de Jan Miense Molenaer relève une sélection hollandaise un peu morne : le gris bleu du tissus qui couvre la table, le gris froid du pichet, la rose saumon de la veste, le vert bouteille du pantalon et le carmin du bonnet se marient avec bonheur et raffinement.

giovan battista moroni portrait de jeune homme g de 29 ansL'art à Bergame se nourrissait à deux grands centres proches : Milan, distant d'une cinquantaine de kilomètres et Venise dont le territoire s'étendait jusque là. La ville eut une école de peinture aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles et elle sut attirer d'autres artistes tels Lorenzo Lotto. L'exposition est centrée sur Bergame, ce n'est pas l'un de ses moindres intérêts.

Une suite de grands retables peints pour la ville et sa région, « en situation », ouvre le parcours. On découvrira des peintres peu ou pas connus en France, Vivarini (Murano vers 1430/2-après 1491), Simone da Santacroce (Venise documenté entre 1492 et 1508), le Bergognone (Milan à partir de 1472-1523)... et surtout Lorenzo Lotto (1480-1556/7) dont le Mariage mystique de sainte Catherine, une des plus étranges création d'un maître étrange, domine largement la section voir une regard, une image.

Bergame a donné naissance à deux des plus grands portraitistes italiens, Giovanni Battista Moroni au XVIe siècle et l'étrange et atypique Fra Galgario (1655-1743) au XVIIIe siècle dont le lucide Autoportrait toise le visiteur. Le Portrait d'un gentilhomme âgé de vingt-neuf ans de Moroni (1520/4-1579) tout en sensibilité, en douceur, d'une palette aux gris et bruns subtils, est si présent que l'on ne peut résister au plaisir de citer l'historien de l'art et critique Roberto Longhi : « (ses portraits)… si vrais, si simples, si documentés que nous sommes convaincus d'en avoir connu les modèles ». Que l'on est loin des effigies du Titien, certes admirables et nobles, mais au fond si étrangères comparées à cette figure familière malgré les siècles qui nous séparent d'elle !

francesco guardi place saint-marc

Enfin la dernière section « Une société du spectacle » réunit les peintures vénitiennes du XVIIIe siècle. On retrouvera avec plaisir les védutistes, Guardi (1712-1793), Canaletto (1697-1768), Bernardo Bellotto (1722-1780), mais aussi d'autres plus rares tels Carlaverijs (1663-1730), Bernardo Canal (1664-1740) père de Canaletto et si peu connu à l'inverse de son fils, Antonio Maria Marini (1668-1725) avec un magnifique paysage rocheux aux personnages influencés par l'art nordique ; tout comme les pochades de Zucarelli ou encore le vaste panorama de Giuseppe Zaïs (1709-1784) aux lointains brumeux. Ces maîtres ont su regarder la peinture hollandaise du siècle d'or et en tirer une autre manière de voir. Dans un autre domaine : qui donc avait entendu parler de Andrea Pasto (entre 1755 et 1768) dont les scènes de genre ont souvent été confondues avec celle de Pietro Longhi (1702-1785)? De ce dernier, un subtil Ridotto décrit une société de fantômes masqués qui glissent en dansant vers l'abime.

On pourra toujours regretter l'absence de tel ou tel tableau, le Titien par exemple, mais le savant dosage proposé au visiteur qui fait la part d'oeuvres célèbres et de peintures plus confidentielles fait tout le prix d'une exposition à voir absolument.

Gilles Coÿne

 

 

Pisanello, Portrait de Lionello, 1441 © Academia Carrara

Moroni, Portrait d'un jeune homme âgé de 29 ans © Academia Carrara

Guardi, Vue de la place Saint-Marc © Academia Carrara

 

 

Botticelli, Bellini, Guardi...

Chefs-d'oeuvre de L'Accademia Carrara de Bergame

27 mars-19septembre 2010

Musée des Beaux-Arts de Caen

Le château, 14000 Caen

Tél. : 02 31 30 47 70

Internet : www.ville-caen.fr/mba

Publication : Catalogue, sous la direction de Patrick Ramade, 2010, éditions Hazan, 204 p., 90 illustrations, 39€