Expositions

 

 

 

Clouds

 

 

 

 

Le château de Rœulx, aux portes de Mons en Belgique – capitale européenne de la culture cette année-, se présente comme une superbe demeure du XVIIIe siècle. Cette grande bâtisse, un peu austère avec ses murs de brique à chaînage de pierre grise, domine un vaste parc aux arbres centenaires. Dans ce qu’il était convenu autrefois d’appeler les communs - écuries, orangerie, parc, jardin de broderie (en fait le potager) - la fondation Croÿ-Rœulx créée par le prince de Croÿ, présente une cinquantaine d’œuvres contemporaines réunies autour d’un thème assez énigmatique : Clouds. C’est à la fois ludique, poétique, profond, paradoxal avec des voisinages incongrus dont naissent parfois des affinités aussi improbables que tonifiantes. L’exposition reprend celle proposée par le musée d’Arles en 2013 á l’occasion de Marseille capitale mondiale de la culture ; ici augmentée, enrichie de propositions nouvelles.

 

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Nuages, clouds, deux termes, le français et l’anglais, aux sonorités si différentes, pour dire une chose identique, l’un comme un soupir, une expiration, l’autre claquant comme interjection ; cette différence pourrait servir de clé pour une visite. Prenons Mariana et Nuria, deux têtes du catalan Jaume Plensa, que le visiteur rencontre en premier, posées á même la grande pelouse qui s’étend devant le château, leurs formes monumentales dialoguent mystérieusement. Transparentes comme une gaze impalpable, elles semblent prêtes à se dissiper au moindre souffle. Quand on s’approche on voit bien qu’elles sont faites d’un solide treillage de fer embouti, un matériau industriel d’usage courant, ici transcendé par l’artiste... Oui le rêve peut naître du plus quotidien, du plus banal.

 

Cloud, c’est aussi un mot pour décrire l’interconnection de différents média, l’exposition ne serait-elle pas elle-même un nuage de particules inventives qui se parlent, se complètent voire s’opposent ? Décidément, la manifestation de Rœulx se révèle de plus en plus complexe à l’analyse.

 

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Clouds fait appel à des artistes confirmés, voire aux classiques de la modernité tels Hans Arp, Man Rey, Magritte ou Pol Bury, mais aussi à des talents plus jeunes et moins confirmés, c’est un de ses charmes, et l’on verra que ces « jeunes pousses », pour employer le jargon d’aujourd’hui, sont tout aussi inventives que leurs aînés. Si la veine surréaliste règne ici, elle n’occupe pas tout l’espace : par exemple Induction de Paul Verschuren, un flux de bois qui semble surgir du sol de l’écurie pour se perdre dans le mur extérieur en une courbe élégante, fait de branches, de brindilles venant de la taille des buissons du parc, relève du Land Art. De même, Ciel sans nuage et Nuage sans ciel de Présence Panchounette, par son absurdité radicale, penche vers le conceptuel. Le champs de la scène artistique est aussi très large qui balaie non seulement l’Europe mais aussi les États-unis et enfin l’Extrême-Orient.

 

img_0088 - copieAu pays de Magritte, une exposition contemporaine ne saurait se concevoir sans quelques tableaux du père du surréalisme belge. Les nuées qui sont devenues au fil de son œuvre un thème récurrent voire une signature au même titre que les pommes, les chapeaux melons, les petits bonshommes en costume.... avaient toute leur place ici. On retiendra la petite toile La Malédiction qui représente quelques nuages sur un fond de ciel bleu uni : la signature de l’artiste écrite du même blanc que celui des nuages se décèle á peine comme si l’homme voulait s’abolir dans ce décor de formes s’effilochant.

 

Nuages, nuées, eau, brumes, brouillards, vapeurs... Certains artistes ont relevé la gageure de travailler sur ce qui justement s’évanouit, sur l’insaisissable. Cécile Beau, Virga, recrée une mini banquise dans l’abreuvoir á chevaux d’autrefois ; Anne Blanchet, Light Drawing Outdoor, laisse aux mouvements de l’air le soin de sculpter la vapeur d’eau s’échappant du bassin du parterre de broderies : les formes, jardin, clocher de l’église qui se profile en arrière, visiteurs, s’évanouissent, réapparaissent dans un univers rendu instable ; dans un registre plus familier et cocasse, Patrick Bailly-Maitre-Grand, Les Matins du monde, photographie á la verticale les tasses de son café où la mousse claire dessine d’étranges monstres, d’inquiétants nuages : on ne se méfiera jamais assez des objets les plus quotidiens.

 

D’autres créateurs ont préféré jouer sur l’antinomie et donner d’une réalité mouvante une interprétation « lourde », Tony Cragg pétrifie dans le bronze une tornade sombre, Must Be, telle celle qui conduisait les Israélites lors de la sortie d’Égypte tandis que sur le boule de granit noir trouée pour pouvoir insérer les doigts de la main en une impossible tentative due à Jan Van Munster, Battery for Five Fingers, la nue défile sur la surface polie. Matières de poids, antinomiques au concept de nuage qui évoquerait plutôt le vaporeux, et changeant, et ce pour mieux en saisir l’essence. Plus ludique mais dans le même esprit, Françoise Coûtant promène en d’improbables poussettes des nuages de résine et de plâtre, Petite Colère, Promenoir á nuages. Perrine Lievens, fait se reposer son nuage, sans doute victime d’une grosse fatigue, sur deux tréteaux, Temps couvert. Quant à Christian Rothacher, il imagine un impossible cale-nuage de bronze, Wolkenkeil.

 

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Il ne saurait être question dans le cadre d’un article de citer toutes les œuvres exposées ici ; cependant notons le troupeau de moutons de François-Xavier Lalanne á la toison en béton d’époxy trompeusement moelleuse ou encore les énigmatiques rochers de jardin chinois datant de l’époque Ming : troués d’air, leurs formes fantastiques sont dues aux eaux acides d’un lac. Leur reflet dans l’eau du bassin se mélange au ciel changeant de la Wallonie en un dialogue sans cesse renouvelé.

 

Difficile de donner des clés de lectures á tant d’œuvres aussi diverses, souvent énigmatiques, chacun trouvera dans le le fil de sa propre histoire, une explication, un message, ou, plus simplement, le simple plaisir d’être surpris, charmé... Mais ce rassemblement ne peut laisser indifférent et mérite plus qu’une simple visite dans un lieu d’exception.

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Jaume Plensa, Marianna et Nuria, 2015, acier inoxydable, 400 sur 420 sur 300 cm, chacure, Piensa © Sabam Bruxelles, photo de l'auteur

- Jan Van Munster, Battery for five fingers, 1995, granit, diamètre 170 cm. collection de l'artiste Van Munster © Sabam Bruxelles, Photo de l'auteur

- Tony Cragg, Must Be, 2012, bronze, 240 sur 325 sur 110 cm. Tony Cragg © Sabam Bruxelles, Photo de l'auteur

- Anne Blanchet, Light Drawing Outdoor, 2015, installation créée pour l'exposition, dimensions variables, © Anne Blanchet, photo de l'auteur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Clouds

Château de Rœulx

21 mai – 18 octobre 2015

Place du château, B – 7070 Le Rœulx – Belgique

E19, sortie 21

Téléphone : +32 (0)64 67 90 55

Internet : www.expo-clouds.com

Horaires et tarif : tous les jours sauf le lundi, du mardi au vendredi de 11h à 18h, samedi et dimanche de 10h à 18h ; 12€ et 9 € (moins de 18 ans, étudiants moins de 25 ans et séniors), gratuit pour les enfants de moins de 7 ans.

Publication : Catalogue, dir. Michèle Moustachar commissaire de l'exposition,. - 2015, Actes Sud: Fondation Croÿ-Rœulx, 144p., 39€