Expositions

 

 

Le Paris de la Modernité, 1905-1925

 

 

 

 

 

Paris, « Ville de l'éternelle jeunesse » pour Stefan Zweig, Paris qui se renouvelait sans cesse en un tourbillon d'évolutions perpétuelles, de révolutions esthétiques se chassant l'une l'autre, était comme une seconde patrie... Ce Paris du premier quart du siècle, un peu mythique pour nous, fait l'objet d'une de ces exposition chorales dont le musée du Petit Palais a le secret. Il y a un peu de tout ici : dessins, caricatures, libelles, tableaux, sculptures, bibelots, films, meubles de Ruhlmann, robes de Poiret, de Jeanne Lanvin et d'autres, bijoux, cristaux de Lalique, jusqu'à un avion, une voiture (la « Bébé Peugeot » de 1913) et des moteurs occupant un vaste espace au centre du parcours ; tout cela dresse le portrait d'une époque fascinante à la fois optimiste et tragique.

 

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1905-1925 ? Un moment trouble et contrasté : c'est, au lendemain de la conclusion un peu mitigée de l'affaire Dreyfus qui fractura en profondeur la société française et de sa conséquence la loi instituant la séparation de l'église et de l'état, la décennie de grâce que nous avons appelé « belle époque », suivie de la tragédie que fut la guerre mondiale de 1914/18, suicide collectif de la civilisation occidentale, puis la misère de l'immédiat après-guerre dans un pays ruiné, ravagé sur le quart de son territoire par l'occupation allemande et enfin les débuts des années folles où un pays s'étourdit dans une fête sans fin dont l'acmé se situe dans l'Exposition Universelle des Arts décoratifs clôturant le parcours.

 

Sur le plan des Beaux-Arts c'est aussi le temps des révolutions du regard et de leurs transcriptions esthétiques : Fauvisme, Cubisme, Dada, Surréalisme, Retour à l'ordre, pour les grands mouvements et nous ne comptons pas leurs avatars. Au lendemain de la guerre et l'élimination de ses deux grandes rivales Berlin et Vienne, Paris devient vraiment la capitale mondiale de l'art et attire plus que jamais les jeunes artistes soucieux de se confronter à la modernité, ils viennent d'Europe mais aussi du monde entier et une large place leur est faite ici. La géographie de la bohème et de la création se modifie aussi, sans que Montmartre devenu trop cher soit tout à fait oublié, le centre se déplace à Montparnasse dont se sont les grandes heures.

 

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« Vivre vite » l'époque se caractéristique par une sorte d'accélération syncopée de l'existence. Les inventions, les modes se bousculent en une sorte de folie dont témoignent les nouveaux media émergents : cinéma, musique révolutionnée par le jazz et les musiques « barbares », arts du spectacle, radiodiffusion qui connaît une expansion exponentielle, Beaux-Arts - architecture, sculpture, peinture – revivifiés par la découverte d'autres esthétiques orientales, africaines, amérindiennes, pacifiques, photographie qui acquiert le statut d'art à part entière, littérature enfin explorant les confins de la psyché humaine... l'inventaire donne le vertige et prête à l'exposition qui a le souci de tout représenter un petit côté chaotique qui n'est pas sans charme et surtout ouvre l'appétit du curieux. Le Cheval Majeur de Raymond Duchamp-Villon (1918) symbolise bien cette dynamique fiévreuse. Peut-on discerner une ligne générale à cette évolution d'une aussi extrême diversité ? Peut-être le triomphe de la géométrie des formes et l'éclat des couleurs pures et claires... Le Cubisme pur, s'il se développa sur une brêve période, eut une influence décisive, il irrigue la mode comme l'architecture, les arts décoratifs, le théâtre, et même le cinéma. Manifestation de cette vogue où un révolution esthétique d'une exigence drastique se dissout en une mode, les quelques toiles monumentales des « petits » cubistes, Albert Glaizes et Jean Metzinger témoignant de l'affadissement du mouvement. Dans un autre registre le petit film burlesque « Rigadin, peintre cubiste. » (1910) de Georges Monca, tout en amusant le visiteur, montre l'incompréhension voire le désarroi du grand public devant une radicalité dont il ne possédait pas les clefs.

 

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On citera en vrac et sans souci de hiérarchie quelques œuvres d'artistes peu connus et qui méritent mieux qu'une citation dans ce portrait d'une époque : Marie Vassilieff avec son Scipion l'Africain (1916) livre une toile audacieuse à plus d'un titre ; d'abord par l'inversion du sujet : une femme peint un homme nu, l'usage est généralement contraire, ensuite l'œuvre est d'une sensualité bien étrangère aux effigies cubistes d'un Picasso, enfin la construction reposant sur une opposition du Noir et le la silhouette blanche à peine esquissée au second plan montre que l'artiste se souvient de l'Olympia de Manet. La peinture en dépit de son format modeste est monumentale. « Les Soudanais » (vers 1919) de Méla Muter, importante toile carrée, outre qu'elle témoigne du drame de ces Africains entrainés par la Métropole dans un conflit qui n'était pas le leur, offre une image saisissante, expressives, des deux exilés, résignés et accablés. Peints en touches épaisses et vives à même la toile imparfaitement recouverte selon les recettes des Fauves le tableau est d'une profonde humanité de par son empathie. Nous sommes loin de Joséphine Baker qui électrise le Paris nocturne et inspire plus loin Van Dongen.

 

Il faudrait tout citer ici, mais c'est impossible ; alors il ne reste au visiteur qu'à s'attarder, venir revenir...

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

1 - Béchereau, Deperdussin, Aéroplane Deperdussin B, 1911, © musée de l'air et de l'espaceLe Bourget, photo de l'auteur.

2 - Maria Vassilieff, Scipion l'Africain, 1916, huile sur toile, Paris coll. Particulière, Photo de l'auteur.

3 - François Pompon, Ours blanc, 1922/25, Plâtre patiné, Paris, Muséum National d'histoire naturelle, en dépôt au mlusée de l'Homme. Photo de l'auteur.

 

 

 

 

 

Le Paris de la modernité 1905-1925

Jusqu'au 14 avril 2024

Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris

Avenue Winston Churchill, 75008 Paris

- Tél. : 01 53 43 40 00

- Internet : www.petitpalais.paris.fr

- Horaires et tarifs : tous les jours sauf les lundis, de 10h. À 18h., nocturnes les vendredis et samedis jusqu'à 20h. Tarifs, 15 et 13€.

- Publications : Juliette Singer dir., Le Paris de la modernité, 1905-1925.- Paris, 2023, 368p., 280 ill., 49€.