Expositions

 

 

 

Constant Moyaux (1835 – 1911)

Du compas au pinceau, l'architecture révélée

 

 

 

 

moyaux 1C'est une simple fenêtre ouverte sur la ville, Rome. Un crépuscule printanier dore le ciel sur lequel se découpe le dôme de Saint-Pierre, l'on devine dans la pénombre le château saint-Ange et les toits. Au premier plan une nature morte dit la présence/absence de l'artiste venant d'interrompre son travail : la table de bois blanc, la planche sur laquelle est épinglée la feuille, le pinceau soigneusement disposé au sec, le récipient d'eau en verre, la boite de couleurs, trois livres, un escabeau paillé. L'auteur, Constant Moyaux (1835 - 1911) jeune architecte lauréat du Prix de Rome a sans doute et sans le savoir signé là son chef-d'œuvre, un chef-d'œuvre tout court. Cette aquarelle appartient à cette espèce rare des ouvrages qui disent plus que ce que leurs auteurs ont voulu dire. Ici Le simple ravissement dû à un beau crépuscule sur une ville merveilleuse, crépuscule exacte-ment rendu se double d'une ombre de nostalgie devant un moment parfait, unique, qui ne sera plus jamais exac-tement le même. Curieusement, ce dessin, exécuté au début des années soixante du XIXe, est plus proche des artistes nordiques du début du siècle que des contemporains du jeune lauréat : on retrouve ici le rendu cristallin de la réalité, les lignes pures à la limite de la sécheresse, les couleurs aussi subtiles que chaleureuses, la construction d'un dépouillement efficace, propres à ces artistes.

 

Constant Moyaux est né à Anzin d'un père menuisier. Sa brillante carrière est typique de la société du nord de la France de l'époque. Normalement il aurait du suivre les traces de son père mais devant ses talents évidents, par un travail acharné, grâce au soutien de philanthropes et d'institutions culturelles qui surent déceler ses possibilités, il put atteindre le sommet de la carrière qu'il avait choisie. L'architecture. Le musée des beaux-Arts de Valenciennes, qui conserve une quarantaine de ses dessins et aquarelles a monté une exposition sur la vie et la carrière de cet enfant du pays. La manifestation, qui se poursuivra jusqu'au 23 mars prochain, est une des plus intéressante de l'hiver, et l'on aimerait bien que le public parisien puisse la découvrir un de ces jours – hélas pas avant quelques années à cause du délai de sauvegarde imposé par la fragilité du matériau qui ne peut être exposé seulement que pendant un laps de temps court et à des intervalles longs.

 

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Le jeune homme suit une carrière sans faute : il commence par intégrer, très jeune, l'école d'architecture de Valenciennes qu'il quitte en 1852 pour gagner la capitale et l'école des Beaux-Arts. En 1861 est le lauréat du grand prix de Rome. C'est la gloire... Sa ville natale, dont il fut le boursier pendant des années, élève des arcs de triomphe pour sa venue comme on le faisait naguère pour la visite d'un souverain... Il séjourne quatre ans dans la Ville éternelle et poursuit, dès son retour en France, un cursus sans faute : inspecteur des bâtiments civils, professeur à l'école des Beaux-arts, puis membre de l'Institut en 1898. C'était un bosseur, un travailleur acharné qui a collectionné toute sa vie les récompenses et les prix. Aujourd'hui, la notoriété de cet artiste qui fut l'un des premiers de son temps, ne dépasse pas le cercle étroit des spécialistes, et c'est dommage : La Cour des Comptes rue Cambon qui fut son grand chantier n'est pas sans mérites. Il a su dominer le handicap d'une rue étroite et d'un terrain banalement rectangulaire pour imaginer un bâtiment aux proportions monumentales – il faut bien affirmer le sérieux et la richesse de la République – allégées grâce à une décoration inventive et mesurée où l'on retrouve tout le charme des constructions de la troisième République triomphante. La bâtisse voisine avec le dôme de l'église de l'Assomption, église polonaise aujourd'hui, élevée au XVIIe siècle par Charles Errard, et la cohabitation des deux édifices, que l'architecte sut harmoniser, font aujourd'hui de la placette Maurice Barrès un des lieux charmants du 1er arrondissement de Paris.

 

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On imagine sans peine l'émerveillement d'un jeune artiste, né dans un pays minier en plein essor industriel avec la pollution qui en découlait, devant la lumière de l'Italie, la splendeur de Rome. Rome qui était encore pour quelques années la capitale des états pontificaux. Moyaux dira plus tard que ces quatre années ont été les plus heureuses de sa vie. Là, il remplit scrupuleusement ses obligations, c'est à dire de faire des relevés des ruines antiques, d'en proposer une restitution, étudier les grands ancêtres. Ces dessins, prêtés par l'école des Beaux-Arts de Paris, montrent un faire scrupuleux dont émerge une beauté et une poésie dues à la minutie d'un travail impeccable alliée à une sensibilité certaine. Moyaux va surtout voyager, dans toute l'Italie, en Grèce où il poussera jusqu'à Istanbul. Il dessine, peint des aquarelles lumineuses, qui forment l'essentiel de l'exposition et font son intérêt. Ses sujets de prédilection? Les monuments bien entendu, mais pas seulement : le Monte Pellegrino qui domine Palerme, le paysage montagneux autour de Ségeste en Sicile, la vue de l'Acropole avec la misérable petite ville à ses pieds – Athènes n'était pas encore la grande métropole polluée et bruyante qu'elle est devenue... Ces petites aquarelles fraîches, sont d'une grande séduction. S'il s'intéresse aux grands monuments du passé, il ne dédaigne pas un environnement plus familier : la treille du sculpteur de Valenciennes Gustave Crauk son compatriote prix de Rome lui aussi, une rue en escalier et la terrasse d'une maison à Capri, un fontaine au bord de la route... On retiendra particulièrement la vision du Parthénon se dressant, isolé, au milieu de blocs de marbre jonchant le sol, tel un symbole de la Raison maîtrisant le désordre du monde. Il rend la lumière implacable de ses régions, le soleil qui tape et durcit les ombres, la fraîcheur des églises avec leurs mosaïques luisant dans l'obscurité. S'il se plie volontiers à l'exercice qui consiste à représenter des sites mille fois illustrés depuis des siècles – vue de Tivoli -, il sait, parfois, en renouveler la vision par des cadrages insolites : la vue du Palais des Conservateurs sur le Capitole, la façade de la ville Médicis vue de sa fenêtre.

 

L'artiste s'est fait aussi le chroniqueur de la vie de Valenciennes, il en illustre quelques événements ; ce n'est peut-être pas le plus séduisant de l'exposition quoique l'Inauguration de la statue de Watteau sous un pluie battante ne soit pas sans humour : la foule qui se presse disparaît sous les parapluies, tandis que les officiels, stoïques, écoutent les discours des personnalités. On espère pour eux que ces derniers surent maitriser les flots d'éloquence qui sont la règle dans ce genre de manifestation. Peut-on citer les Impressionnistes ici? Ce serait abusif, les amis de Moyaux appartenant tous aux cercles officiels.

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Vue de Rome depuis la fenêtre de Constant Moyaux à la villa Médicis, aquarelle sur bristol, 1863, © RMN-Grand Palais/Thierry Le Mage

- Le Monte Pellegrino à Palerme, aquarelle sur bristol, 1863 © RMN-Grand Palais/Michel Urtado

- Athènes, Le Parthénon, côté sud, aquarelle sur bristol, juin 1864 © RMN-Grand Palais/Thierry Le Mage

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Constant Moyaux (1835-1911)

Du compas au pinceau

L'architecture révélée

6 décembre 2013 – 23 mars 2014

Musée des Beaux-Arts de Valenciennes

Boulevard Watteau, 59300 Valenciennes

- Tél. : 03 27 22 57 20

- Fax : 02 27 22 57 22

- Internet : http://musee.valenciennes.fr

- Horaires et tarifs : ouvert de mercredi au dimanche de 10h à 18h, nosturne le jeudi jusqu'à 20h ; lundi réservé aux groupes. Tarifs 5€ et 2,50€.

- Publication : catalogue, 180p., 29€

- Animation culturelle : visites guidées, ateliers, coférences, consulter la site du musée.