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Jacob Jordaens (1593 - 1678)

Mercure et Argus (vers 1620)

 

 

 

 

Jupiter tombe amoureux de Io, prêtresse du temple de Junon - son épouse! -, et, pour la protéger de son courroux, la transforme en une génisse blanche. Junon qui s'est fait confier l'animal le place alors sous la garde d'Argus, un monstre possédant cent yeux dont cinquante peuvent dormir pendant que les autres font vigilance. Le roi des dieux n'ayant pas renoncé à l'amour de Io charge son fils Mercure de la libérer. Ce dernier – l'astucieux dieu des voleurs et des commerçants – va utiliser la ruse : il endort le gardien avec sa musique, avant de lui couper la tête...

 

8.mercure et argus lyon mba-photo alain basset. - copie

 

 

Jordaens, pour la première fois dans la peinture européenne semble-t-il, a tiré le sujet de son tableau des Métamorphoses d'Ovide, poème bien connu de l'élite cultivée de l'Europe d'alors. Il le transpose dans un monde campagnard délibérément prosaïque. À première vue nous sommes devant une scène de paysannerie et il faut en analyser longuement les détails pour décrypter l'histoire : Argus est devenu un vieillard décrépit, Mercure apparaît comme un jeune homme un peu benêt sous son chapeau de paille tandis que Io, qui se détache du troupeau de bovins, rumine. Il n'est jusqu'au chien très réaliste – figure récurrente dans les tableaux du maître que l'on retrouve sur d'autres toiles ici même - qui ne n'égare le spectateur inattentif. On notera enfin l'opulence de la végétation, l'échappée sur la droite vers un paysage de près et de bois.

 

Jordaens a représenté le moment le plus dramatique de l'histoire, l'instant où tout est suspendu avant l'action brutale : La tête d'Argus dodeline, il va sombrer dans un sommeil qui sera sa perte ; Mercure à jeté la flûte dont le son lancinant a eu raison de la vigilance du gardien, il se saisit (en douce) du glaive avec lequel il va le décapiter. Le chien, impassible, paraît étranger au drame. Étrange instant de calme tension juste avant la déferlement de la violence.

 

bassetNous sommes au début des années 20 du dix-septième siècle, Jordaens a quitté l'atelier de Rubens pour créer le sien, il vient de peindre le beau portrait de sa famille qui dit sa réussite. Il est en pleine possession de son art. Comme Molière plus tard, il prend son bien où il le trouve ici dans la doxa caravagesque : ce vieillard aux chairs flapies, n'est pas sans rappeler les saints ou les spadassins, des caravagesques nordiques – ses exacts contemporains -, de même le musculeux garçon à la peau blanche – il n'est pas nu mais déshabillé -, au visage androgyne est le cousin des voyous qui peuplent leurs toiles. Anvers était à l'époque l'un des centres du commerce des oeuvres d'art. Jordaens connaissait parfaitement, lui qui n'avait jamais fait le voyage en Italie, l'art de la péninsule, mais aussi ce qui se faisait dans la proche Utrecht capitale du caravagisme nordique.

 

La toile est organisée sur le triangle inversé que forment Mercure et Argus. On notera le riche chromatisme du tableau : le rouge, le bleu, les ocres lumineux, les verts profonds. La texture épaisse et onctueuse de la touche. Tout ce qui fait de cette oeuvre un pur moment de délectation picturale.

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jordaens (1593-1678)

19 septembre 2013 – 19 janvier 2014

Petit Palais

Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris