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Beauté, morale et volupté

dans

l'Angleterre d'Oscar Wilde

 

 

 

 

 

01-1.adoration_burne-jones - copie

 

Là, tout n'est qu'ordre et beauté

 

Luxe, calme et volupté

 

 

 

 

Ce célèbre distique de Baudelaire, le chantre du spleen, s'applique très bien à l'art anglais de la seconde moitié du XIXe siècle. Et la belle exposition que le musée d'Orsay propose rend bien compte des qualités et des limites de cette troublante période : ta-bleaux, sculptures, meu-bles, céramiques, fer-ronneries, photographies – elles font pour la première fois irruption dans le monde de l'art - illustrent de manière variée et légère un moment particulièrement séduisant de l'art européen.

 

 

 

01-1.adoration_burne-jones - copie 2L'Angleterre est alors à l'apogée de sa puissance, ses usines travaillent pour le monde entier et l'or afflue dans les coffres de ses banques ; par ailleurs le pays parachève, d'une main de fer, la conquête de l'empire colonial le plus étendu de l'univers. Cela se paie : le peuple anglais est un des plus inégalitaire de la planète, un prolétariat misérable grouille dans les villes industrielles, à l'opposé, une gentry richissime vit dans un luxe incroyable tandis qu'une terne middle class raidie dans ses certitudes impose ses valeurs prosaïques. Une atmosphère étouffante faite de religiosité, de moralisme étriqué, de matérialisme épais corsète toute la société, depuis la reine Victoria jusqu'à son plus humble sujet. Il n'est que de lire la littérature de l'époque pour en prendre la mesure : les romans de Dickens, de Trollope ou même ceux des Américains Henry James et Édith Wharton pour ne citer que les plus connus...

 

 

 

02-1.pavonia_leighton - copieUn groupe d'artistes, d'écrivains, de femmes du monde s'insurge contre une société assez hypocrite, un environnement aussi médiocre que laid ; ils se réfugient dans un esthétisme éthéré - « l'art pour l'art » - dont ils bannissent toute sensibilité religieuse, sociale ou morale. Ils opèrent un retour à l'art d'époques révolues qu'ils idéalisent : on ressuscite la littérature médiévale dans laquelle on va chercher les thèmes les plus rares pour les illustrer, on reconstruit une antiquité plus rêvée que réelle - en dépit du sérieux archéologique des recherches des artistes - et l'on découvre un japonisme dont la sobriété et le sens de la ligne expressive séduisent. Les Préraphaélites, les premiers, cherchent à renouveler l'art de leur temps en s'inspirant de la première renaissance italienne ou de l'art médiéval anglais. Leurs successeurs qui se risquent à vivre un amoralisme élégant, dont Oscar Wilde est la figure la plus provocante, vont s'acharner à créer autour d'eux un ambiance de beauté.

 

 

 

L'Aesthetic Movement, se développe pendant les quarante dernières années du siècle, il a pour ambition de transformer l'environnement de ces esthètes en une oeuvre d'art totale : maisons, mobilier, accessoires de la vie quotidienne, vêtements, livres, peintures, jusqu'à leurs femmes, sont transcendés par cet idéal de beauté. La Faustine de Maxwell Armfield est caractéristique de cette esthétique : une dame svelte, vêtue d'une somptueuse robe d'intérieur, la chevelure librement répandue est assise au coin d'un canapé, un être androgyne (homme? Femme? On peut se poser la question) lui caresse la main. Le décor avec ses roses rouges, l'aiguière persane, la tasse à thé en porcelaine évoque le décor raffiné dans lequel évoluent ces gens. Le mouvement va très rapidement dépasser les limites de ce cercle très chic d'artistes excentriques et d'esthètes fortunés pour atteindre un public plus large grâce à des manufactures d'art qui diffusent meubles, tissus, papiers peints, vaisselle, argenterie.

 

 

 

04.fauteuil_alma-tademaL'incontournable Burne-jones ouvre le bal avec la grande tapisserie, récemment offerte par Pierre Bergé, l'Adoration des Mages datant de 1904. C'est une superbe oeuvre à la symbolique un peu appuyée typique de ce maître : un grand ange diaphane et hiératique placé au milieu de la composition sépare le monde divin du mondes hommes représenté par les Mages (sveltes, riches, beaux et recueillis). La Vierge assise sur une botte de foin porte sur ses genoux l'Enfant représenté dans une position contournée et maniérée, le toit de la cabane qui protège le groupe, la palissade et la haie d'aubépines sont tout droit empruntées au moyen âge, ainsi que la flore, Saint Joseph, sous les traits d'un superbe vieillard, rentre de la corvée de bois. L'ensemble est très séduisant, trop peut-être, et par son élégance évacue tout sentiment religieux, mais le visiteur sera sensible à un charme quelque peu décadent. Toute aussi éthérée est l'antiquité revisitée par Frederic Leighton : son célèbre Bain de Psyché (célèbre dans le monde anglo-saxon) représente la déesse nue entre deux colonnes ; sa sveltesse épurée répondant aux lignes impeccables des cannelures forme une composition aussi froide que « fashion ». En revanche le même peintre quand il représente sa maîtresse italienne, vaguement travestie en allégorie sous le titre de Pavonia, sait faire preuve de sensualité. On le lui a reproché d'ailleurs. Mais l'artiste qui domine la section picturale est, bien entendu, James McNeill Whistler, ici pas d'élégant moyen-âge, pas d'antiquité époussetée, mais un Londres très actuel transfiguré par la poésie. La Symphonie en blanc n°2, la Petite Fille blanche représente une jeune fille vêtue de blanc ; elle rêve nonchalamment acoudée à une cheminée de marbre blanc. On remarquera le reflet du visage dans le trumeau qui offre une seconde vision : souvenir du portrait de Mme Moitessier d'Ingres, dont l'artiste regrettait de ne pas avoir été l'élève ? Ou plutôt influence du peintre italien de la Renaissance Savoldo dont le portrait de Bernardo di Salla était accroché au Louvre ? L'artiste revenait d'un séjour prolongé à Paris.

 

 

 

08-1.thire diamant_dresserMeubles et objets forment la majorité de l'exposition. Il y a là quelques pièces exceptionnelles dessinées par des artistes : le buffet peint par Burne-Jones ; l'incroyable fauteuil « grec » dont les contemporains admiraient la véracité archéologique, dessiné par Alma-Tadema, un artiste hollandais spécialisé dans les reconstitutions du monde antique, laissera pantois le visiteur. Cette accumulation de glands, de pompons, de passementeries et de marqueterie paraît plutôt destinée à un satrape qu'à un contemporain de Périclès. On remarquera, à contrario, la sobriété du mobilier dessiné par Edward William Godwin, surtout son Buffet tout en lignes orthogonales directement inspiré par l'artisanat japonais. D'autres pièces destinées au grand public, bien que plus simples étaient d'un raffinement extrême. On s'étonnera du modernisme dont fait souvent preuve cette production principalement dans l'art de la table. La soupière en argent de Christopher Dresser avec ses formes simples et pratiques, le théière diamant du même designer préfigurent ce qui se fera pendant la première moitié du XXe siècle.

 

 

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

- Sir Edward Burne-Jones, l'Adoration des Mages, 1904, tapisserie, Paris, musée d'Orsay, don Pierre Bergé © Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt

 

- Frederic Leighton, Pavonia, 1858/9, Londres, Victoria & Albert Museum © V&A Images

 

- Sir Lawrence Alma-Tadema, fauteuil, 1884/6, Londres, Victoria & Albert Museum © V&A Images

 

- Christopher Dresser, Théière diamant, vers 1879, Londres, Victoria & Albert Museium © V&A Images

 

 

 

 

 

 

 

 

Beauté, morale et volupté dans l'Angleterre d'Oscar Wilde

 

13 septembre 2011 – 15 janvier 2012

 

Musée d'Orsay

 

1, rue de la Légion d'honneur, 75007 Paris

 

Tél. : 01 40 49 48 14

 

Internet : www.musee-orsay.fr

 

Horaires : du mardi au dimanche de 9h30 à 18h, le jeudi jusqu'à 21h45

 

Tarif : droit d'entrée au musée 8€ ; tarif réduit, 5,50€

 

Animations culturelles : Cinéma et concerts, cafés littéraires, animations à destination des jeunes publics, pour la programmation voir le site internet .

 

Publications : Album de l'exposition, 224 p., 165 ill., coédition musée d'Orsay / Skira-Flammarion, 25€ - Expo Express, dépliant d'aide à la visite destiné au jeune public, disponible gratuitement.