À la une

 

Louis Valtat, à l’aube du fauvisme

 

Le peintre Louis Valtat (1869 – 1952) a côtoyé les plus grands, il fut apprécié d’eux. Les critiques de l’époque ont rendu hommage à son talent ; et pourtant il n’appartient pas à ce premier cercle d’artistes dont le nom vient spontanément aux lèvres quand on parle de l’art français et de ses révolutions esthétiques au tournant des XIXe et XXe siècles. C’est cette profonde injustice que le musée de Lodève répare, quelques années après Bordeaux, en lui consacrant une copieuse rétrospective de cent quatre vingt numéros, tableaux, dessins, gravures, sculptures, céramiques. Mais alors que la manifestation bordelaise insistait sur son étroit compagnonnage avec les Nabis, ici les organisateurs insistent sur son rôle dans la naissance du fauvisme.

 

in the sunshine-figures au soleil-okLouis Valtat est né à Dieppe en 1869 dans une famille fortunée et à la différence de nombre de ses pairs il n’eut jamais besoin de gagner sa vie. Son père, peintre amateur qui connut un certain succès, ne combat pas sa vocation. Sa formation au sein de l'Académie Jullian et de l'école des Beaux-Arts de Paris, est classique. C'est là qu'il va rencontrer et nouer des liens d'amitié avec la jeune génération d'artistes des années 90, Pierre Bonnard, édouard Vuillard, Maurice Denis, Félix Valloton, Paul Sérusier... Très tôt, il fit preuve d'une grande indépendance. C’est lui, par exemple, qui entraînait ses amis à déserter l’atelier pour chercher des modèles rue Saint-Denis (haut lieu de la prostitution à Paris où l’on pouvait trouver des modèles moins « académiques »). Très rapidement il se fait un nom auprès de la critique d’avant-garde par l’audace de sa palette et la vigueur de sa touche. Il tâte un peu de tout, le pointillisme postimpressionniste comme le synthétisme de la forme cher aux Nabis. Au fameux salon d’automne de 1905, il rate de peu la gloire : il n’est pas exposé dans la fameuse salle où Matisse et Derain firent scandale et n'a donc pas fait partie de la « cage aux fauves ».

 

 

 

C'est que toute sa vie il refusa de se plier à la discipline d'une école ou d'un mouvement, de s'inféoder à une de ces chapelles esthétiques qui abondaient dans l'art français au tournant des XIXe et XXe siècles. Il l'a payé cher en terme de notoriété. Il ne se sentait à l'aise que dans une totale liberté et, comme Molière, il prenait son bien où il le trouvait et l'utilisait sans chercher d'autre cohérence que celle inhérente à l'oeuvre sur laquelle il travaillait. C'est cela sa grande originalité : tantôt, par exemple il refuse la profondeur comme le modelé, à l'instar de Nabis ; tantôt, sa touche proche de celle des Pointillistes se fait virevoltante, papillonne sur la toile qui devient ainsi une sorte de tapisserie ; il emploie souvent des couleurs pures volontiers arbitraires comme ses amis les Fauves ; enfin, surtout dans son oeuvre graphique et pour quelques figures féminines, il adopte une ligne sinueuse et molle typique de l'art nouveau. Pourtant ses tableaux, ses esquisses, ses dessins tranchent sur ce qui se faisait à l'époque par une foisonnante exubérance païenne. Ses bouquets de fleurs jaillissent des vases (des « fleurs saignantes » écrira Alfred Jarry), ses jardins touffus forment comme un refuge à de jeunes femmes qui se reposent à l'ombre : est caractéristique à cet égard le charmant groupe de Figures au soleil – une femme et un enfant – qui se protègent de l'ardeur de l'astre au sein d'un buisson. Les ocres, les rouges, les verts, les bleus des végétaux et de la terre forment une somptueuse mosaïque qui envahit presque toute la surface de la toile, seule une échappée en bleu pâle dans le coin gauche en haut aère la composition et lui donne de la profondeur. La jeune femme et l'enfant simplement esquissés se détachent sur l'outre-mer foncé de l'ombrage protecteur. On sent de manière presque palpable le soleil implacable, la fraîcheur du couvert, le richesse d'une nature généreuse.

 

 

 

vue danthor les rochers rouges-1908 - copieLa pâte est riche - certains l’accuseront même de peindre à la truelle : « est-ce l’avenir ? » déclarera un critique belge ; le coloris est soutenu voire violent, il ne craint pas de heurter le regard par un voisinage de teintes que le « bon goût » réprouve... voir à ce propos Femme sur la plage avec ses orangés et ses jaunes. Et s'il adopte souvent le pointillisme il le transforme profondément. Le délicat brouillard pâle devient une sauce épicée aux tons sourds et puissants dont les touches se bousculent dans Pins au bord de mer, Anthéor, 1899. Sauce qui va jusqu'à avaler personnage et sujet (Les Lavandières, 1900). C'est que ses tableaux s'organisent plus par la couleur que par la ligne et finalement correspondent bien à la fameuse définition de son ami Maurice Denis : « Se rappeler qu'un tableau... est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » La vue d'Anthéor, les rochers rouges de 1908 est caractéristique de cette dynamique : Le rouge orangé puissant des roches posé par de larges coups de pinceaux structure la toile ; en contraste le bleu-vert sombre de la mer, le blanc de l'écume, le vert des buissons, les reflets sur l'eau disposés en touches grasses composent les éléments mouvants d'un paysage plein de vie. Mais il sut aussi se faire plus subtil, le Sous-bois de 1898 est un poudroiement de teintes légères et la Nature morte aux grondins du musée des Beaux-arts de Bordeaux, 1898, est aussi subtile s'y ajoute un note d'ironie assez rare dans ce type de tableau.

 

 

 

Arrivé au terme de ce parcours, ne serait-on pas tenté d'affirmer, non sans quelque malveillance, que son grand problème fut d'avoir de trop bonnes lectures et de ne pas avoir su s'en libérer au profit d'une démarche plus rigoureuse et cohérente? Le monde de l'histoire de l'art aime les parcours bien balisés même dans le cas d'une révolution permanente. Juger Louis Valtat à cette aune, ne serait-ce pas mésestimer l'originalité profonde d'un artiste qui a tout sacrifié à un seul dieu : la peinture?

 

 

 

 

 

Gilles Coÿne

 

 

 

Louis Valtat, Figures au soleil, non daté, Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery/ Central Art Archives/Kirski, Halcola © ADAGP Paris 2011

 

Louis Valtat, Vue d'Anthéor, les rochers rouges, 1908, collection particulière Paris © ADAGP Paris 2011

 

 

 

 

Louis Valtat à l'aube du fauvisme

 

Jusqu'au 16 octobre 2011

 

Musée de Lodève

 

Square Georges Auric, 34700 Lodève

 

Tél. : 04 67 88 86 10

 

Fax : 04 67 44 48 33

 

Internet : www.lodevoisetlarzac.fr

 

Renseignements pratiques : Ouvert tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h ; tarif, 7€, tarif réduit – étudiants, groupes et perles vertes, 5,50€, 1€ par personne la visite commentée