Expositions

 

 

Claude Monet (1840 - 1926)

 

 

 

 

L'oeuvre de l'Impressionniste Monet se développe en majesté dans les galeries du Grand Palais à Paris. Qu'on en juge : cent soixante quinze tableaux décrivent l'itinéraire d'un artiste, dont on a dit qu'il n'était qu'un oeil, itinéraire qui le conduira de l'observation maniaque de la nature et des vibrations de la lumière jusqu'aux portes de l'abstraction. Plus de soixante ans de pratique picturale quotidienne, l'élaboration de techniques de plus en plus sophistiquée pour saisir la fugacité de l'instant, sont ainsi retracés, lieu par lieu, étape par étape, en une trajectoire exemplaire.

 

Dès ses premiers paysages, fortement charpentés et structurés, il se met à l'école des peintres de Barbizon qu'il admirait fortement. Les deux toiles peintes alors qu'il avait vingt-cinq ans et représentant le Pavé de Chailly dans la forêt de Fontainebleau disent déjà son originalité : le cadrage est quasiment identique, mais la lumière poudreuse d'un soir d'automne qui éclaire le premier contraste avec la luminosité d'un coup de soleil fugitif qui sculpte vigoureusement les formes dans le second. Toute sa démarche future est déjà présente dans ces premiers essais. La Pie peinte quelques années plus tard est une oeuvre merveilleuse. Construit sur quelques plans parallèles en contre jour, ce paysage de neige est éclatant de par les variations subtiles d'un blanc qui passe du bleuté de l'ombre au crème du reflet du soleil. La ponctuation noire de l'oiseau, charmante note familière, offre un contrepoint plein de tendresse.

la grenouillre

 

Monet cherche les sujets de ses premiers tableaux dans son environnement immédiat : la côte normande (il a passé son enfance et sa jeunesse au Havre), ses ports, ses plages, Paris et ses environs, les bords de la Seine et les plaisirs nautiques qu'ils offrent. Mais à travers ces paysages il traque ce qui fait la modernité de son époque : s'il est fasciné par les reflets changeants du fleuve, le scintillement de la mer, le frémissement des feuillages dans le vent, il n'ignore pas la réalité de la civilisation industrielle. Les berges de la Seine? Les régates bien sûr mais aussi le morne travail des Déchargeurs de Charbons ; le Paris des grands boulevard ? Bien entendu mais encore l'architecture mouvante des fumées sous la marquise de La Gare St-Lazare, ou la charpente métallique du pont d'Argenteuil, ou encore la silhouette d'un train en arrière fond d'un paysage ; enfin il rend la houle des drapeaux claquant au vent de La rue Montorgueil, fête du 30 juin 1878 par une série de petites virgules colorées qui disent la joie d'un jour de liesse.

 

la_capeline_rouge - copieA la différence de Manet qui plaçait l'humain au premier plan, Monet peuple ses paysages urbains, ou même les toiles où il représente les plages, les côtes de la Manche, voire la Grenouillère - un lieu de plaisir sur les bords de la Seine où l'on pouvait se rafraîchir, danser, se baigner - d'une foule de petites silhouettes parfois à peine esquissées – croquées non sans humour souvent. Il a pourtant peint et avec un rare bonheur quelques grandes toiles ambitieuses consacrées à des figures : le Portrait de Mme Gaudibert, l'épouse de son premier mécène, est étonnant. La dame, qui pose dans un décor semblable à celui des photographes de l'époque, détourne la tête et l'on ne voit que son profil perdu ce qui est assez paradoxal pour un portrait et attire l'attention du spectateur sur la somptueuse robe de soie. Camille ou La femme à la robe verte, en fait sa compagne qui sera souvent son modèle, est une figure vigoureuse que n'aurait pas désavoué Courbet. Plus connus sont les fragments de Déjeuner sur l'herbe, immense composition qu'il n'achèvera pas et découpera ; c'est un véritable manifeste de la joie de vivre sous le Second Empire. On doit signaler l'étrangeté des Femmes au jardin, une des toiles phare de l'Impressionnisme, due au fait qu'il y a représenté quatre fois Camille dans des robes différentes : semblable, dissemblable, cette légère dissonance donne un plus à une composition qui sans cela serait simplement agréable. Plus loin l'apparition, à travers une porte fenêtre, de celle qu'il finit par épouser, emmitouflée dans un grand châle rouge dans un jardin glacial d'hiver, est comme une allégorie de la disparition. Disparition qui deviendra effective deux ans plus tard. La toile de Camille Monet sur son lit de mort, étonnant témoignage d'un deuil inconsolable, peinte en traits hachés gris-bleus et chair, montre le visage de l'aimée qui se dissout, s'estompe, inexorablement...

Monet ne poursuivra pas dans cette veine, malgré un bref retour au thème humain dans les années 86/90 ; on peut le regretter. Ses paysages, de Vétheuil où il séjourne quelques années, du sud de la France, de Londres, de Venise sont pratiquement vides de présence humaine.

 

glycines - copieDans les années 90, le peintre aborde un cycle de paysages en séries qui ont assuré sa gloire posthume au XXe siècle : des sujets uniques représentés pratiquement sous le même angle et peints à différents moments de la journée. La cathédrale de Rouen lui inspira une trentaine de tableaux dont cinq sont exposés ici ; les meules de foin sous le gel, plus de quinze versions ; les peupliers... Roy Lichtenstein à la fin des années 1960 a repris le thème des cathédrales en le désincarnant par des procédés photographiques. Ce travail a toujours fasciné critiques et artistes. Mais en a-t-on souligné la signification profonde? Au-delà du simple constat, du souci de saisir l'instant qui se dérobe, n'y a-t-il pas chez Monet une interrogation sur la fugacité du moment, un regret mélancolique devant la fuite impitoyable d'un temps qu'il est vain de retenir?

 

Vers le mitan de sa vie, le peintre fait de sa propriété de Giverny le socle stable de son existence. Il crée de toutes pièces un jardin qui devient son motif préféré, quasi exclusif. Les nymphéas, le pont japonais, leurs reflets dans l'eau, les teintes changeantes de la lumière. Les formes se dissolvent dans des tableaux qui atteignent la peinture pure. Il frôle l'abstraction... Le visiteur devra achever sa visite par celle du musée du Jeu de Paume où ont été ressuscités les nymphéas, acmé d'un itinéraire artistique unique en son temps.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

La Grenouillère, 1869 © Metropolitan Museum of Art, dist. Servisse presse Rmn / image of the MNA

La Capeline rouge, portrait de Mme Monet, 1873 © The Cleveland Museum of Art.

Glycines, 1917-1920, © Musée d'art et d'histoire Marcel-Dessal, Ville de Dreux/Photographie Jean-Louis Losi

Claude Monet

(1840-1926)

Galeries nationales du Grand Palais

www.monet2010.com

Ouverture : Tous les jours de 10h à 22h, sauf mardi jusqu'à 14h seulement et jeudi jusqu'à 20h. Pendant les vacances scolaire de 9h à 23h. Fermé le 25 décembre.

Publications : Catalogue, 384p., 300 ill.. 50€ ; Album de l'exposition, 48p., 40 ill., 9€, également sur iPad, 4,99€ ; Petit Journal, 16p., 30 ill., 3,50€ ; Monet l'expo, 335p., 18,50€ ; DVD, Claude Monet à Giverny, la maison d'Alice, par P. Piguet, ed. rmn/FTD, 22€.