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Miniatures et peintures indiennes

 

 

 

 

 

La décoratrice a fait merveille qui a transformé l'espace un peu froid de la Bibliothèque nationale site François Mitterrand en une élégante tente pour un pique-nique du grand Moghol. Est-il meilleur environnement pour présenter les miniatures indiennes de la collection ? Ici le contenant met en valeur le contenu!

1On l'ignore souvent, la Bibliothèque nationale à Paris conserve une remarquable série de 2500 miniatures et peintures indiennes. Et l'on ignore encore plus que cet ensemble fait partie, pour l'essentiel, des collections publiques depuis la fin du XVIIIe siècle. En effet après l'effondrement de l'Inde française à la suite du calamiteux traité de Paris en 1763 et ce jusqu'au début du XIXe siècle, les officiers français se mirent au service des princes et rois hindous. Ces militaires se passionnèrent pour le pays, ses moeurs, ses populations, son art – nous sommes au siècle des lumières - et ramenèrent en France beaucoup d'oeuvres. Le noyau de la collection actuelle de la bibliothèque provient même du don que le chevalier Jean-Baptiste Gentil, qui séjourna plus de trente ans dans le sous continent, fit à Louis XVI.

Cette origine explique la physionomie de la collection : par exemple, les écoles du sud de l'Inde où la présence française était forte, sont bien représentées pour l'époque précédant le traité. En revanche, les peintures mogholes des débuts de la dynastie, sont plus rares – mais de qualité – , elles abondent pour la deuxième moitié XVIIe et le XVIIe siècles.

Meurtre dans un paysage, de l'école moghole peint vers 1580, qui ouvre l'exposition, est exceptionelle. C'est une petite peinture au sujet frénétique : dans un paysage, issu directement de l'art iranien, un homme en égorge un autre. La scène d'une grande cruauté contraste avec le raffinement de son exécution : les couleurs gaies, le paysage aux rochers roses... On admirera le fond tapissant de fleurs élégantes et raffinées sur lequel la miniature est collée. L'oeuvre a été peinte sous le règne d'Akbar (1542-1605) qui fut le véritable initiateur de la miniature moghole.

23On retrouvera encore l'influence persane dans l'illustration d'un livre d'aventure et représentant Zal intercède auprès du Simurgh pour qu'il sauve son fils Rustam (1595-1605). Les deux scènes, la fuite de Rustam et la supplication du père sont séparées par un rideau de rochers directement inspirés de l'art safavide. Le Simurgh animal fantastique est une sorte d'oiseau dragon aux pouvoirs extra-ordinaires, très présent dans la littérature iranienne. La scène est tirée d'une épopée iranienne le Shah Nameh de Firdoussi qui retrace les exploits légendaires des rois iraniens. On sourira aux canards qui s'abattent dans le ruisseau au premier plan, insensibles au prince blessé.

La miniature indienne de l'époque est un art de cour – que ce soit celle du Grand Moghol, ou celle de princes plus modestes - et ses thèmes s'en ressentent : portraits de monarques, de dignitaires, en buste, en pied, à cheval, toujours de profil (les personnages représentés de trois-quarts sont rares ) ; scènes de divertissements ; scènes galantes ; illustrations de romans et d'épopées... Une vie luxueuse et raffinée des grands du monde indien musulman est ainsi illustrée en images aux couleurs fraîches et gaies qui, de tous temps, ont séduit les collectionneurs européens. Pourtant ces peintres n'ignorent pas l'art de l'occident qu'ils connaissent grâce aux marchands et aux missionnaires jésuites. C'est ainsi que le portrait du Général Shayista Khan à cheval qui date de 1666, montre le militaire passant en revue ces troupes : Le groupe qu'il forme avec son cheval juché sur un monticule domine les soldats qui défilent en rang. Le paysage -à l'horizon bas et au vaste ciel -, l'armée qui serpente dans les collines, sont autant d'emprunts faits à l'Occident : on comparera cette effigie à celle de Bahadur Shah monté sur un éléphant qui se détache sur un paysage tapissant occupant presque tout le fond de la miniature (fin XVIIe siècle).


18Les miniatures du sud du Deccan, qui sont l'une des originalités du fond, ont été peintes pour une société hindouiste : un dessin plus grossier mais expressif, des couleurs vives et éclatantes - jaunes, rouges, bleus presque purs -, une facture naïve pleine de vivacité, des compositions à la limite de la caricature... on est loin de l'art un peu compassé de l'Inde musulmane... Mais aussi quelle vitalité!

Enfin les miniatures de la Company school (du nom de la compagnie des Indes anglaise qui exploitait l'Inde), ont été commandées par officiers et marchands que la diversité et la richesse du sous continent fascinaient. Ils les ramenaient dans leurs bagages à titre de souvenir. Ce sont des carnets, généralement de papier européen, dédiés aux métiers, aux types humains, aux objets typiques – il y a un cahier consacré aux palanquins - ou encore de grandes feuilles reproduisant les monuments les plus remarquables. L'extraordinaire est que les artistes locaux pour exécuter ces types de dessin abandonnaient les standards de la miniature indienne pour pratiquer les règles de la perspective occidentale, et ce avec un égal bonheur. La grande représentation du Taj Mahal qui réunit la rigueur de la perspective à la minutie de la facture indienne est un exemple particulièrement réussi de cet art métissé.

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

Meurtre dans un paysage. Ecole moghole, vers 1580 © BnF, département des Estampes et de la photographie

Pacte d'alliance de Sugriva et Rama en présence de Lakshmana et Hanuman. Endra, Masullipatan, entre 1727 et 1738. © BnF, département des estampes et de la photographie.

Atelier de tisseurs, par Iman Bakhsh, Company School, Lahore, vers 1837-1839. © BnF, département des estampes et de la photographie

 

 

 

 

Miniatures et peintures indiennes

Jusqu'au 6 juin 2010

Galerie François 1er

Bibliothèque nationale de France

Site François Mitterrand

Quai François Mauriac, Paris XIIIe

- Horaires : du mardi au samedi 10h-19h ; dimanche 13h-19h. Fermé lundi et jours fériés. Entrée 7€, tarif réduit, 5€.

- Site internet : www.bnf.fr

- Exposition virtuelle : htpp://expositions.bnf.fr/inde/ 126 reproductions commentées. Indispensables pour préparer la visite ou plus simplement si l'on ne peut effectuer le déplacement.

- Publication : Roselyne Hurel : Miniatures et peintures indiennes. - Paris, 2010, Bnf, 280p., 330 illustrations couleurs. 30€