Expositions

 

 

 

Un Bestiaire japonais

 Vivre avec les animaux à Edo-Tokyo (XVIIIe – XIXe siècles)

 

 

 

 

 

La Maison de la culture du Japon à Paris propose une exposition sur le thème du monde animal dans la ville de Edo pendant l'ère du même nom qui voit le japon se refermer sur lui-même et celle qui l'a suivie en 1868 l'ère Meiji où le pays s'ouvre et entre dans la modernité ; plus d'une centaine de pièces prêtées par le Edo-Tokyo Museum déclinent le sujet non sans humour et empathie. Outre son attrait, le visiteur trouvera ici amplement matière à réflexion sur les convergences comme le divergences des civilisations européennes et extrême-orientales : ces « étranges étrangers » nous paraissent bien souvent proches et sympathiques...

 

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Edo - devenue Tokyo - a donné son nom à la plus longue période de paix qu'ait connu le Japon au cours de son histoire. Elle a duré plus de deux cents cinquante ans, du début du XVIIe siècle à 1868. En dépit de quelques moments de crises économiques et d'émotions populaires, ce fut un moment heureux où la capitale s'est développée de façon spectaculaire, elle atteint un million d'habitants ce qui était considérable et faisait de la ville une des plus peuplées de la terre. La classe moyenne connait une expansion extraordinaire et développe un style de vie heureux fait de simplicité et de chaleur humaine qui a laissé de nombreuses traces que ce soit en gravures, en peintures ou encore en produits de l'artisanat d'un raffinement incomparable. Les gravures sur bois, les fameuses estampes ukiyo-e, décrivent une vie quotidienne faite de ces mille petits rien cocasses ou émouvants qui émaillent une vie heureuse.

 

Une paire de grands paravents peints, copies fidèles d'originaux daté de 1634, décrivent la ville bâtie autour des châteaux fortifiés du shogun et de la noblesse, avec ses grandes avenues, ses canaux, et ses petites maisons, ses boutiques et restaurants ouverts sur la rue, ses quartiers de plaisir... Dans la campagne alentour on peut suivre aussi les chasses que ces grands personnages pratiquent assidument. Les documents, bien que difficiles à lire à cause des conventions de la perspective japonaise si différentes des nôtres et surtout par le fait que l'on n'aperçoit la ville qu'au travers des trouées des nuages dorés qui la couvrent en partie, fourmillent de détails décrivant une vie quotidienne animée.

 

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L'osmose entre la cité et son environnement immédiat était étroite et en dépit de ses dimensions la capitale était plus proche de la nature que bien des agglomérations européennes. La faune sauvage était présente partout jusque dans les signes du zodiaque emprunté aux Chinois. Les Shoguns avaient réservé les alentours de la ville à la chasse, reléguant les cultures plus loin sur les pentes des montagnes environnantes, de véritable battues étaient organisées qui rassemblaient des foules considérables comme le montrent certains rouleaux peints : Cerfs, biches, grues, mais aussi canards, faisans vivaient dans ce no man's land. Gravures et manuscrits décrivent ce petit monde et son destin tragique. Plus familièrement pour les citadins, l'arrivée des premiers coucous annonçait le printemps tout comme sur les marchés les premières bonites.

 

Le spectacle de la rue pouvait étonner, les piétons en étaient les rois : portefaix, promeneurs, peu de bêtes de somme ou de chevaux destinés à la noblesse, mais des hordes de chiens en liberté errant ; les passants les nourrissaient, les soignaient, les enfants jouaient avec eux et, au grand étonnement des premiers visiteurs européens, personne ne les dérangeaient lorsqu'ils faisaient la sieste au milieu de la chaussée. On les voit, replets et courtauds, au milieu des passants et des porte-faits dans une estampe d'Hiroshige, tandis que dans une autre de Kuniyoshi ils attendent manifestement que les élégantes clientes de la pâtisserie Funabashiya leurs donnent quelque miette. Un auteur atrabilaire de l'époque se plaignait entre autres pollutions des merdes de chiens, cela dira quelque choses aux vieux Parisiens...

 

Dans les maisons, les animaux de compagnie chiens, les chats occupaient l'espace - Ah le matou goguenard croqué par Utigawa Kunisada qui se considère comme le maître des lieux!-, mais aussi lapins, oiseaux, poissons rouges (à chaque printemps des marchands ambulants en proposaient dans les rues) –, en revanche l'indulgence que l'on portait aux souris, volontiers envahissantes est surprenante (on ne les chassait pas, elles étaient considérées comme les messagères du dieu de la richesse Daikokuten). Ne parlons pas, encore plus baroque à nos yeux, des grillons dont les crissements ravissaient les amateurs, des lucioles que l'on chassait au printemps, enfin des cailles pour lesquelles on organisait des concours de chant... 

 

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Traditionnellement, il existait des maisons de thé où l'on pouvait admirer des oiseaux sauvages dans des cages, mais il faudra attendre l'ouverture du pays et l'influence de l'Occident pour qu'apparaissent les premiers zoos, éléphants, tigre (en fait une panthère) et chameau. C'est aussi à cette époque que sont organisés les premiers transports collectifs et les premières courses de chevaux. Le spectacle de la plus noble conquête de l'homme, jusqu'alors privilège des militaires et de la noblesse, se démocratise si l'on peut dire.

 

L'originalité et la puissance de l'art japonais n'est plus à démontrer de même que son influence sur l'art occidental dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ici, on sera séduit par ces dessins si fins, si élégants, par ces gravures si expressives, par cet art d'aller à l'essentiel et de renouveler notre regard par des cadrages insolites, par l'empathie envers nos « frères inférieurs » qui ne l'étaient pas aux yeux des Japonais.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

1 - Trente deux façons d'Être : être agaçante - Façons d'être d'une jeune femme de l'ère Kansei, Tsukioka Yoshitoshi, 1888, Collection du Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum.

2 - Coutumes et bonheur de l'Est : les souris de la prospérité (détail), Yôshû Chicanobu, 1890, Collection du Metropolitan Edo-Tokyo Museum.

3 - Eceinte extèrieure du Château de Chiyoda : La prise de la grue (détail) Yôshû Chkanobu 1897, Collection du Metrpolitan Edo-Tokyo Musweum

 

 

 

 

 

 

Un Bestiaire japonais

Vivre avec les animaux à Edo-Tokyo (XVIIIe – XIXe siècles)

Jusqu'au 21 janvier 2023

Maison de la culture du Japon

101bis quai Jacques Chirac, 75015 Paris

Tél. : 01 44 37 95 00/01

www.mcjp.fr

- Horaires et tarifs : du mardi au samedi, de 11h à 18h., jusqu'à 21h. Le jeudi, fermé les jours fériés et pendant les vacances de noël ; tarifs, 5 et 3€.

- Publication : catalogue.- Novembre 2022, coédition, Gourcuff Gradenigo / MCJP, 160 p., 22€.

- Conférence : Des animaux dans une culture du végétal, le mercredi 11 janvier à 18h30, entrée libre sur réservation sur www.mcjp.fr