Expositions

 

 

 

 

 

Rosa Bonheur (1822-1899)

 

 

 

 

 

 

Nous vient de Bordeaux l'exposition consacrée à Rosa Bonheur. C'est l'occasion, en ces temps de féminisme militant, d'une véritable Rosa Bonheur mania... Certes c'était un peintre de talent, et une artiste habile. Fut-ce un génie? On peut en douter, ce qui suit est l'article sur la manifestation de Bordeaux. Bonne visite.

 

Rosa Bonheur (1822-1899) fut un peintre animalier et connut en son temps une renommée qui paraît incroyable aujourd'hui. Elle a beaucoup vendu dans les pays anglo-saxons où elle jouit encore d'une estime certaine. Et ses admirateurs du monde entier lui offraient des animaux exotiques qui encombraient son charmant château de By à l'orée de la forêt de Fontainebleau ; elle dut même faire construire un vaste cage pour sa lionne qu'elle caressait et prenait dans ses bras tel un gros chat. De plus sa vie privée, elle était adepte d'une sororité militante et comme telle a revendiqué son droit à vivre selon ses choix, a quelque chose de prémonitoire pour ses descendantes et leurs revendications. L'exposition insiste sur cet aspect de sa vie et les organisateurs ont eu raison car c'est peut-être cette existence hors norme qui reste le plus exemplaire de son héritage.

 

 

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Peintre animalier ? Certes elle a peint la ruralité dans son acception la plus complète mais les humains sont toujours représentés en relation avec le monde animal et, si l'on peut dire, en illustration : charbonniers, laboureurs, bergers, palefreniers... bien qu'à la fin de sa vie, elle fut fascinée par la personnalité extravertie de Buffalo Bill et l'exotisme des indiens qu'il avait recrutés pour son spectacle, cet aspect de son œuvre est sinon anecdotique du moins marginal par rapport à une production massivement consacrée au monde animal. Prenons une de ses toiles les plus célèbres celle qui a assuré durablement sa notoriété, Le Labourage nivernais appelé aussi Le Sombrage (1849). Le tableau, monumental et acheté par l'état, aujourd'hui au musée d'Orsay, est construit sur une puissante diagonale ascendante qui transmue le travail du paysan en un épisode épique, où hommes et bêtes, lourds, entêtés, arrachent à la terre au prix d'un harassant labeur le blé, élément de base de la nourriture alors. On remarquera comment elle a retournée la commande de l'état - « l'art de tracer des sillons d'où sort le pain qui nourrit l'humanité tout entière » - en privilégiant l'irrésistible force des bovins par rapports aux figures humaines stéréotypées, disposées en second plan ; elles offrent un contraste avec les figures animales, soigneusement décrites – quelques critiques ont pu restituer leurs races – où elle chante leur sombre énergie.

 

 

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Car Rosa Bonheur ne peint pas des bêtes anonymes, elle en fait le portrait avec leurs traits individuels, leurs attitudes, leur manière d'être et cette exigence leur confère une présence exceptionnelle. Pour certains sujets elle n'hésite pas à les transformer en êtres symboliques : Le Roi de la forêt (1878), figure d'un cerf hautain qui contemple le visiteur est typique de même El Cid (1879) buste d'un vieux lion à la figure bougonne et quelque peu méprisante. L'artiste frôle alors l'anthropomorphisme et même le ridicule avec Le Lion chez lui (1881) où le roi des animaux est peint en compagnie de sa lionne et de leurs adorables petits. Papa, maman et les enfants.. on est loin de la plus élémentaire observation des habitudes de ces félins qui vivent en groupe avec un mâle dominant se réservant les faveurs des femelles, les jeunes mâles étant priés de partir ou d'attendre la chute du roi. La bonne Rosa Bonheur s'égare ou plutôt flatte outrageusement son public avec une image de la famille nucléaire chère à la société bourgeoise de l'époque, comme si ce choix était naturel et non culturel.

 

Le père de l'artiste, personnage fantasque et assez peu responsable, lui-même peintre (médiocre) assura sa formation. D'ailleurs toute la famille pratiquait une discipline artistique : ses frères furent sculpteurs, animaliers eux aussi, et ils ont largement profité de la notoriété de leur sœur, voire d'un coup de main. À part cela elle s'est formée elle-même et ce n'est pas l'un des moindres intérêts de l'exposition que d'insister sur ce travail : esquisses peintes, dessins, aquarelles, sa virtuosité est exceptionnelle, même pour une époque où tout le monde dessinait admirablement. Les tableaux où elle fait cohabiter les études d'animaux en différentes positions sont d'une grande séduction et nous parlent plus aujourd’hui que tant de compositions ambitieuses.

 

 

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Un savoir-faire exceptionnel, une virtuosité incontestable, cela suffit-il à faire d'un artiste un des phares de la peinture pour reprendre Baudelaire ? Là, il faut bien parler d'une insatisfaction pour le visiteur. Certes le parcours de l'exposition est très agréable mais jamais son enthousiasme n'est sollicité, jamais il n'est transporté dans un monde où la réalité se transcende ; un réalisme élégant mais un peu plat, Rosa Bonheur n'est pas ce malotru de Courbet encore moins Delacroix dont les fauves, moins vrais sans doute, sont tellement plus expressifs, plus sensuels... Prenons son chef-d'œuvre le Marché aux chevaux (1855) dont est présentée ici la copie qu'elle exécuta avec l'aide de sa compagne Nathalie Micas. Que voyons-nous ? Un tumultueux défilé venant du fond de l'espace et tournant pour s'en retourner d'où ils est venu, une sorte de parade. Les bêtes piaffent, se cabrent, trottent, galopent, et bizarrement, les palefreniers restent figés, impassibles, dans leur rôle. On ne sent ni la poussière, ni la chaleur, ni les odeurs, encore moins la lutte paroxystique de l'homme et de la bête, tout est figé, comme glacé. On retrouve une impassibilité identique dans La Foulaison (1899) exposée au musée des Beaux-Arts de Bordeaux, difficilement transportable de par ses dimensions. On se contentera du quelques études. Les animaux échevelés tournent au galop, conduits par des paysans impassibles. Impossibilité de rendre les sentiments humains chez cette artiste si talentueuse par ailleurs ?

 

Mais au fond qu'importe tout cela. Ainsi que le faisait remarquer un charmant écrivain suisse, Guy de Pourtalès à propos des géants de la renaissance italienne : « … il arrive que ces sommets (Michel-Ange), par leur hauteur même nous dépassent trop... alors qu'un artiste placé moins loin (Le Pérugin)... tout à coup nous retient... » à notre tour laissons-nous retenir par Rosa Bonheur...

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

  1. Labourage nivernais, dit aussi Le Sombrage, 1849, huile sur toile, © musée d'Orsay, photo Patrick Schmidt

  2. El Cid, tête de lion, 1979, huile sur toile,© Photo archive, Museo nacional del Prado, Madrid

  3. Le Marché aux chevaux, 1855, huile sur toile © The National Gallery, Londres

 

 

 

 

 

 

 

 

Rosa Bonheur (1822-1899)

Jusqu'au 15 janvier 2023

Musée d'Orsay

Esplanade Valéry Giscard d'Estaing 75007 Paris

- Horaires et tarifs : Tous les jours sauf le lundi,  de 9h39 à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h45. Tarifs 16€ et 13€.

- Catalogue sous la direction de Sandra Buratti-Hasan et de Laïla Jarbouai.- Coédition du Musée d'Orsay et de Flammarion, mai 2022, 288p., 45€…