Expositions

 

 

Les Nabis et le décor

 

 

 

Nabis2La peinture du bonheur existe et le musée du Luxembourg en apporte la preuve avec la charmante exposition consacrée au décor des Nabis. En plus de quatre-vingt tableaux, dessins, projets, objets, vaisselles, vitraux etc. elle décrit comment des artistes que réunissait un goût commun pour leur temps, leur ville – Paris -, leur société – la bonne bourgeoisie éclairée -, ont conçu d'une façon étonnement moderne un environnement quiet, confortable, mais exigeant esthétiquement parlant, dans lequel ils se sentaient en parfaite harmonie. Ce monde où les jeunes filles savaient chanter avec âme, voire toucher le clavier non sans sensibilité, où quelques femmes en chemisier clair, groupées autour de la lampe à pétrole enjuponnée, se livraient à divers travaux d'aiguille tout en papotant, où une joyeuse marmaille parfaitement éduquée, surveillée par des nounous en bonnet s'égaillait dans les jardins publics et jamais au grand jamais ne piétinait les pelouses... ce monde, si exquisément policé, si cultivé, peut paraître suranné aujourd'hui et l'on serait tenté d'en sourire si l'on ne se rappelait que ces gens, si modérément révolutionnaires à nos yeux, ont posé les premières pierres de l'art contemporain et ont su créer une peinture aussi novatrice que séduisante.

 

Fin des années 1880, l'Impressionnisme après avoir révolutionné l'art semble ne pouvoir rien apporter de nouveau ; il est presque devenu un académisme. Pierre Bonnard, Maurice Denis, édouard Vuillard, Ker-Xavier Roussel, Aristide Maillol, Paul Sérusier, Félix Valloton, Paul Ranson qui s'étaient rencontrés au hasard de leurs errances dans les ateliers parisiens qu'ils fréquentaient et qu'un goût commun réunissait, goût pour la modernité comme pour la recherche de voies nouvelles dans l'expression picturale - Gauguin sentant un peu le soufre faisait figure d'ancêtre, de guide, de modèle (voir l'exposition le Talisman au musée d'Orsay) - ont la volonté de dépasser le factuel de leurs aînés et de réintroduire une sorte de supplément d'âme dans la peinture non sans parfois flirter avec l'évanescence du Symbolisme. Ces garçons qui vont s'appeler de manière un peu provocante Nabis – prophète en hébreux et en arabe - pratiquent une peinture figurative mais non réaliste et fortement intellectualisée. Tandis que les uns, à l'instar des graveurs japonais qu'ils collectionnaient, se libèrent des règles de la perspective comme des lois du modelé en combinant des formes stylisées peintes en à-plats soulignées de noir, les autres au contraire à l'aide petites touches sculptent les formes qui se fondent en une sorte de brouillard pictural extrêmement poétique ; tous, expérimentent des points de vue et des cadrages aussi insolites qu'expressifs puisés aux mêmes sources.

 

Nabis1

 

Rien de pompeux, rien de sérieux dans ces décors destinés à orner les maisons d'amis ou de mécènes, pas de divinités, de nymphes, de nus, d'allégories, d'épisodes héroïques, mais des scènes chaleureuses, intimes, illustrant les « plaisirs et les jours » d'une bourgeoisie alors à son nadir. La campagne et ses joies, les jardins, les maisons et leur pièces si accueillantes - salles à manger, salons où se converser sous la lumière de la lampe, voire écouter un pianiste ami, bibliothèques, chambres à coucher -, ces espaces à vivre leur inspirent des compositions aussi simples que subtilement savantes.

 

Nabis3

 

Pierre Bonnard ouvre le mouvement avec quatre petits panneaux oblongs, premier décor nabi connu (1891). Ce sont les feuilles d'un paravent qu'il a plus tard détachées pour en faire des œuvres autonomes. Elles représentent quatre femmes et on sera sensible à l'humour de ces personnages, silhouettes sinueuses traitées comme une marquèterie. Ah le chien distordu dans sa cabriole joyeuse, la chat en boule nerveuse, ces dames d'âges divers semblant illustrer les âges de la vie... Plus loin, quatre jeunes filles grimpent sur une échelle en une sorte de ballet immobile dans le grand panneau que Maurice Denis peignit pour le peintre et collectionneur Henry Lerolle. Cette échelle de Jacob profane destinée au plafond de la salle à manger du collectionneur est une réussite où les tons froid de la verdure s'opposent avec bonheur aux couleurs chaleureuses rose thé des jeunes filles. L'artiste affectionne particulièrement ces figures féminines, jeunes, fraîches, un peu rondelettes, tout comme sa jeune fiancée Marthe. Un symbolisme discret habite les différentes compositions faussement naïves que le peintre multiplie à l'envie. À l'inverse Édouard Vuillard, le plus talentueux de la bande, du moins dans ce genre de travail, pratique une peinture saturée de teintes sourdes appliquées par petites touches. Les formes se diluent dans une sorte de continuum peint, comme une tapisserie ; il faut prêter une certaine attention pour lire la composition. Les deux ensembles peints pour les Natanson et le docteur Vasquez, scènes d'intérieur pour le médecin illustrant les occupations d'une famille cultivée, scènes de jardins pour le créateur de la revue blanche toutes dédiées à l'enfance dont on retiendra l'audacieux premier plan vide du panneau principal.

 

 Nabis4

 

Sur l'initiative du marchand Belge Bing, par ailleurs importateur de gravures et d'objets japonais, un des promoteur de l'Art Nouveau, ces artistes, ne se cantonnent pas aux recherches picturales mais s'intéressent aussi aux arts décoratifs. Pour eux l'art n'est pas seulement un tableau, une sculpture, un objet décoratif exceptionnel destiné à orner un intérieur, mais doit inspirer les objets les plus ordinaires. En fin de parcours, on sourira devant les motifs pleins d'humour tendre que Maurice Denis et Paul Ranson ont dessinés pour des papiers peints : des bateaux un tortillard, des harpistes,pou le premier, des canards pour le second. Hors ces projets charmant on peut être dubitatif devant assiettes peintes, les boîtes à cigares, les projets de vitraux tout cela est plus curieux que convaincant et il faut bien noter une baisse de tension à la fin de l'exposition.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Nabis et le décor, Bonnard, Vuillard, Maurice Denis...

13 mars – 30 juin 2019

Musée du Luxembourg

19, rue de Vaugirard, 75006 Paris

- Tél. : 01 40 13 62 00

- wifi : www.museeduluxembourg.fr

- Horaires et tarifs : ouverture tous les jours de 10h30 à 19h, nocturne les lundis jusqu'à 22h. Tarifs, 13€ et 9€ ; spécial tarif jeunes 16-25 ans, 9€ pour deux personnes du lundi au vendredi à partir de 16h.

- Publications : Catalogue, coédition RMN/Grand Palais et les musées d'Orsay et de l'Orangerie, 192p., 250 ill., 39€, en vente en librairie et aussi surwww.boutiquesdemusees.fr.Le Journal de l'exposition,Camille Viéville, coédition RMN/Grand Palais et les musées d'Orsay et de l'Orangerie, 24p., 40 ill., 8€. 

- Programmation culturelle et médiation, cunsulter le site.