Expositions

 

 

 

 

Un rêve d'Italie

La collection du marquis Campana

 

 

 

 

 

 

Campana5Le marquis était « addict » comme diraient les anglo-saxons, « accro » dirions-nous fami-lièrement aujourd'hui, « accro » aux antiquités et aux œuvres d'art. Il collectionnait tout ce qu'il rencontrait, ce n'était pas toujours de très bonne qualité, il lui est arrivé de se faire fourguer des faux ou des montages approximatifs, voire de les commander à ses restaurateurs les frères Pinnelli. En dépit de cela, il réunit la plus belle collection européenne de son temps ; des milliers de pièces qu'il entassait dans ses palais et villas. À ce jeu-là, on se ruine promptement et l'ennuyeux c'est que le marquis Campana entraîna dans sa chute l'organisme à la tête duquel il était, le mont-de-piété de Rome. Un beau scandale, le marquis s'est promptement retrouvé en prison – l'église catholique a toujours détesté que l'on puise dans ses « saintes caisses ».

 

L'administration papale, sourde à toutes les demandes de l'intelligentsia italienne, décida de mettre en vente la collection aiguisant tous les appétits. Déjà les Russes avaient acquis quelques belles statues antiques, des vases grecs pour l'Ermitage, Londres surtout des sculptures modernes, d'autres encore participaient à la curée. Avant que ce prodigieux ensemble ne soit définitivement dépecé, Napoléon III, fit acheter ce qui restait - en fait l'essentiel - pour un musée à son nom, puis rapidement pour le Louvre et les musées français ; il obtint aussi la grâce du marquis. Notre musée national doit à cet achat, outre un enrichissement spectaculaire de certains départements, quelques-unes de ses pièces majeures : Le Sarcophage des deux époux, une groupe monumental étrusque un des deux seuls exemplaires subsistant aujourd'hui, la Bataille de San romano de Paolo Uccello, tableau d'un décor du palais Médicis à Florence que notre musée partage avec la National Gallery de Londres et les Offices de Florence ; enfin une collection abondante de « petites antiquités » qui font du département antique un des plus riches au monde : il n'y a pas que les chefs-d'œuvres, mais aussi des œuvres courantes, présentées par séries, importantes pour la compréhension des civilisations disparues. Stèles, vases grecs, étrusques, italiotes, plaques, statuettes, vaisselle, etc.

 

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La figure du marquis apparaît au fil des salles nettement plus complexe que ce que ce bref portrait pourrait laisser penser et l'exposition que le Louvre consacre au personnage lui rend enfin justice. Loin d'être un homme douteux, un peu dérangé, ce rejeton d'une dynastie aristocratique récente, élégant personnage, mince, élancé comme en témoigne son portrait dessiné au début du parcours, était un homme de conviction : avait-il réuni cet énorme ensemble en vue de créer un musée à la gloire de la civilisation italienne ? Il s'en est glorifié? Son objet était moins la délectation esthétique – encore qu'il ne l'ignora pas – qu'une description totale de ce qui fait l'originalité d'un pays qui domina un moment le monde méditerranéen. Les Italiens supportaient de moins en moins la dispersion de leur patrie en petits états plus ou moins pittoresques et encore moins l'occupation autrichienne du Nord. Le marquis, sympathisant du « Risorgimento » qui soulevait alors l'Italie, militait pour le rattachement des états du Pape au pays en devenir (d'où peut-être l'incarcération...)

 

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Le marquis Campana était un homme paradoxal, à la fois homme du XIXe siècle, rationnel, méthodique, scientifique, à la fois un charmant filou peu un escroc aux pratiques limites. Il avait classé ses achats selon un plan rigoureusement scientifique mais cela ne l'empêchait nullement, en même temps, de « bidouiller » certaines objets. Est exposée ici une urne cinéraire en verre composée de fragments provenant de plusieurs vases (elle est très séduisante). Le Collier Campana fameux à l'époque n'est que la réunion par un fil d'or de plusieurs boucles d'oreilles authentiques. Quand ce n'est pas un buste en terre cuite ou une tête de marbre tout simplement faux (mais on s'y tromperait). L'exposition ne fait pas l'impasse sur cet aspect de son activité et c'est tant mieux, l'homme nous paraît plus proche, plus familier, moins intimidant.

 

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La collection de vases antiques à figures – plus de 4000 pièces - était prodigieuse si l'on songe qu'elle a alimenté, outre le Louvre qui en a hérité de la plus grande partie, l'Ermitage à Saint Petersbourg, le musée de South kensington de Londres et, dans une moindre mesure, le musée du cinquantenaire de Bruxelles. L'étrurie – la Toscane et le Nord des états pontificaux - était alors le lieu où l'on trouvait la plus grande concentration de ces vases que pour cette raison on disait étrusques ; en fait ils étaient grecs, produits et exportés en masse du VIe siècle av. J.-C au IVe siècle par Athènes et Corinthe principalement. Ils meublaient les tombes familiales et servaient aux banquets funéraires ; pour cette raison ils avaient traversé les siècles en relatif bon état.

 

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L'essentiel des vases Campana provenait des fouilles que le marquis avait mené à Cerveteri, l'antique Caéré. Il y a là la fameuse hydrie de Caéré (VIe siècle avant J.-C.), peinte par un artisan grec installé en Italie représentant Héraclès (Hercule) ramenant le chien à triple tête, Cerbère gardien des enfers, à Eurysthée son frère ainé qui, de terreur, se cache dans un pythos. On peut en comparer le style savoureux et rustique, plein d'humour, avec le cratère d'Antée (toujours les douze travaux d'Héraclès) peint par Euphronios quelques années plus tard à Athènes (malheureusement mal éclairé et difficilement lisible). Son dessin élégant est un parfait exemple de la luxueuse production athénienne (voir un regard une image).

 

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La collection Campana se voulait exhaustive en ce qui concerne la péninsule, elle comportait, outre les antiquités romaines, des peintures, des sculptures, des objets décoratifs de différentes époques, dont une extraordinaire collection de majoliques de la Renaissance ou un riche ensemble de statues en terre cuite polychrome des Della Robia, en un mot toutes les expressions possibles du génie italien. Quelques départements du Louvre avec cette acquisition ont fait un saut à la fois quantitatif et qualificatif. Entre autres, la section des peintures de la première renaissance s'est enrichie de manière spectaculaire : outre le grand panneau de Paolo Uccello, il faut signaler ici la première peinture consacrée à Saint François d'Assise, panneau de la fin du XIVe siècle, la grande croix peinte par Giotto et ses aides, de nombreuses œuvres siennoises, toscanes etc. Il y eut non seulement de quoi compléter les lacunes mais aussi, un siècle plus tard, de créer un musée entier consacré à cette période : celui du petit Palais à Avignon. L'amateur, lui, se réjouira de pouvoir admirer, enfin le grand retable de Lucca Signorelli, L'Adoration des Mages, absurdement absent des cimaises nationales d'habitude.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

- Auguste Raffet, Portrait de Giampetro Campana, 8 février 1850, Bibliothèque nationale de France, département des estampes © BnF, Paris

- Charles Giraud (1819 - 1892), Musée Nazpoléon III, salle des terres cuites au Louvre 1866, Huile sur toile, musée du Louvre, département des peintures, photographie de l'auteur

- Sarcophage des époux, Cerveteri, vers 520 - 510 av.J.-C., musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, © RMN-Grand Palais / Philippe Fuzeau

- Fragment d'un bas-relief de l'Ara Pacis,  entre 13 et 9 av. J.-C., Musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, © RMN - Grand Palais / Thierry Ollivier

- Paolo di Dono, dit Uccello, la Bataille de San Romano, la contre-attaque de Micheletto da Cotignola, vers 1438, musée du Louvre département des peintures, © RMN - Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi

- Andrea della Robbia (1435-1525, Jeune apôtre, photo de l'auteur

 

 

 

 

 

Un rêve d'Italie

La collection du marquis Campana

7 novembre 1018 – 18 février 2019

Hall Napoléon, Louvre

- internet : www.louvre.fr

- Tél. 01 40 20 55 55

- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le mardi de 9hà18h, mercredi et vendredi jusqu'à 22h. Prix unique pour le musée et l'exposition, 15€, gratuité pour tous le premier dimanche du mois, fermé le 1r janvier 2019.

- Publications : Catalogue, sous la direction de François Gaultier, Laurent Haumesser et Anna Trofimova, 576p., 800 ill., 49€. Album de l'exposition; 48p., 40 ill., 8€.

- Animation culturelle, visites et ateliers, cycle de conférences, consulter le site du musée.