Expositions

 

 

Eugène Delacroix, (1798 - 1863)

 

 

 

Les grandes toiles exposées dans les premières salles de par leur taille comme par leur simple voisinage clament l'originalité et la puissance d'un génie dont la force ne s'est nullement atténuée au fil des ans : la richesse de la palette, son éclat, la puissance de la matière picturale, la monumentalité des formes, le dynamisme de la construction, la nouveauté et l'originalité des thèmes, tout dans ces quelques tableaux de grand format proclame la singularité d'un génie que Baudelaire, dans un poème célèbre, n'hésita pas à placer dans les « Phares » de l'art au même titre que Michel-Ange ou Léonard de Vinci.

 

« Delacroix, lac de sang hanté de mauvais anges

Ombragé par un bois de sapins toujours vert,

Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges

Passent, comme un soupir étouffé de Weber »

 

Ces toiles du début de sa carrière, donnent la quintessence d'un art formidable : Dante et Virgile aux enfers(1822), Scènes des massacres de Scio (1824),La Grèce expirant sur les ruines de Missolonghi (1826) – voir, Un regard, une image, sur le site - , La Liberté guidant le peuple (1830),La Bataille de Nancy, Mort de Charles le Téméraire (1831),disent la singularité d'un artiste qui puise son inspiration dans l'actualité la plus brûlante, comme dans le passé national ou la littérature.

 

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Ce peintre si familier des Français, sa « Liberté conduisant le peuple » une des images iconiques de notre roman national, eut une destinée cahotique. Né dans un milieu aisé, résolument bonapartiste, à la toute fin du XVIIIe siècle d'un père, ministre, préfet de la République puis de l'Empire, il s'est retrouvé, à la mort de ce dernier et surtout à celle de sa mère une piètre financière, ruiné tout comme ses frères et sa sœur ; il dut se chercher une carrière. Sur les conseils d'un oncle maternel, le peintre Léon Riesener et devant ses dons pour le dessin, ce fut la peinture. Il entre dans l'atelier de Guérin, disciple de David. Il y acquit les bases solides du métier, mais rien d'autre, son esthétique se situant à l'exact opposé de la doxa néoclassique. Il y rencontra Géricault, son aîné de quelques années, un ami, un mentor. Ajoutons le Louvre, un Louvre, certes dépouillé des confiscations faites dans l'Europe entière au gré des conquêtes révolutionnaires et impériales, mais encore le musée le plus vaste d'Europe, le plus riche grâce aux collections royales et aux confiscations. Il y étudie et copie Rubens et les Flamands, Rembrandt et les Hollandais, les Italiens ; mais aussi il découvre, chez ses amis les Guillemardet, Goya, dont la famille conservait le portrait du premier représentant de la République à Madrid (aujourd'hui au Louvre) ainsi que la série des Caprices.

 

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Delacroix était un homme frêle, de petite santé, élégant, un rien dandy, cultivé et policé, qui fréquentait l'élite intellectuelle de la capitale, son amitié pour George Sand et Frédéric Chopin est célèbre. Il y a comme un gouffre entre cette vie de grand bourgeois et l'inspiration héroïque, quelque peu paroxystique, voire provocatrice de sa production. Dante et Virgile aux enfers, son premier succès au salon de 1822, il a tout juste vingt-cinq ans, fit sensation par la nouveauté du sujet et la puissance de sa conception. Dans l'atmosphère tragique de la Géhenne - au loin rougeoie l'incendie infernal -, les deux poètes tentent de garder leur équilibre alors leur barque tangue sous l'effort désespéré des damnés accrochés à ses flancs. Ces derniers, comme on l'a remarqué depuis longtemps sont les fils tragiques des joyeuses des drôlesses, je veux dire des naïades, que Rubens peignit au premier plan de l'arrivée de Marie de Médicis à Marseille. On pourrait jouer à ce jeu des filiations au fil des salles : n'a-t-on pas parlé de la Vénus de Milo à propos du buste de la Liberté dans la toile de 1831 ? Le travail du peintre qui semblait si brutal à ses contemporains est au contraire nourri de culture classique, de références à l'antiquité comme aux œuvres des grands ancêtres de la Renaissance et de l'Europe classique mais tout cela retravaillé par une imagination fébrile : grands fauves, chevaux barbes, combats à mort, enlèvements, mythes antiques tragiques, drames de Shakespeare, de Walter Scott, son œuvre baigne, pour l'essentiel, dans une atmosphère d'héroïsme et de pulsions sauvages. Baudelaire, encore lui, a su le définir le mieux : « Hymne terrible composé en l'honneur de la fatalité et de l'irrémédiable douleur » .

 

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Comme tous les jeunes de cette génération, le mot liberté le fait vibrer lui dont la jeunesse s'écoula sous la Restauration, un régime réactionnaire que l'Europe imposa à la France dans une dérisoire tentative de faire oublier les souvenirs nettement plus enthousiasmants de la Révolution et de l'Empire. Il trouvera dans le combat des Grecs pour leur indépendance un exutoire. Il n'ira pas comme Lord Byron jusqu'à mourir de fièvres à Missolonghi mais il peint deux grands tableaux manifestes :la Grèce expirant sur les ruines de Missolonghi et Les massacres de Scio. Rappelons que l'île de Scio s'étant révoltée la réponse des Ottomans fut aussi terrible que prévisible : villages incendiés, hommes exécutés, femmes et enfants vendus sur les marchés d'esclaves de Smyrne, d'Istanbul et du Caire, l'événement a révulsé l'Europe, intellectuelle et artistique.

 

Delacroix a beaucoup dessiné, c'était compulsif chez lui. Tous les jours, il pratiquait le crayon comme la plume ou l'aquarelle et ces tableaux qui nous paraissent si spontanés sont en fait le produit d'une longue réflexion et d'un travail en amont important. Les dessins et aquarelles qui émaillent le parcours ne peuvent que séduire par leur invention et leur expressivité. Le visiteur remarquera aussi les lithographies où il illustre le Faust de Goethe. Ici, l'influence de Goya est manifeste que l'on songe à Macbeth et les sorcières ou aux silhouettes trop minces aux contours torturés, aux visages quasi caricaturaux des personnages. L'éclairage a-réaliste exprime le côté obscur de ce drame d'amour, de mort, de damnation, de rédemption.

 

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Delacroix eut sa part d'aventure avec le voyage qu'il fit au Maroc en marge de l'ambassade que Louis-Philippe envoya au sultan pour calmer ses inquiétudes dues la conquête de l'Algérie. Les merveilleux dessins qu'il en a rapporté nous séduisent par leur spontanéité et la fraîcheur du regard qu'il porte sur une civilisation qui le fascine. Il inscrit sur de petits carnets croquis, réflexions, souvenirs, touches d'aquarelles. Il n'a pas le temps, saisit, au vol, un paysage dans son essentiel, un groupe de cavaliers, la disposition d'une maison, les personnages rencontrés... Ce matériel, accumulé en quelques mois, irriguera sa production orientaliste jusqu'à se mort. Le peintre, comme les hommes de l'époque, rêvait d'un Orient, largement fantasmatique, où tout était possible loin d'une Europe si prosaïque, si bourgeoise, si ennuyeuse : un ailleurs où la vie avait plus de couleurs, était plus mouvementée. Amours transgressives, tragiques, aventures héroïques, grands sentiments d'amitié exaltants...

 

Paris au XIXe siècle fut un vaste chantier pictural. Les différentes administrations commandèrent de véritables cycles pour décorer bâtiments officiels et églises ; ces dernières avaient beaucoup souffert pendant la Révolution ; il fallait aussi meubler les nouveaux lieux de culte construits pour faire face à l'essor de la population. Au milieu de cette abondante production, assez fade il faut bien le dire, les toiles commandées à Delacroix se détachent par leur vigueur et leur originalité. Son Saint Sébastien secouru par les saintes femmesqui est venu de l'église Saint Michel de Nantua de même que Le Christ au jardin des oliviers qu'il faudra monter voir dans les salles du XIXe siècle avant son retour dans l'église Saint-Paul-Saint-Louis du Marais à Paris, la chapelle des Saints Anges de l'église Saint-Sulpice ou la Crucifixion de La Cohue à Vannes, sont d'une originalité extraordinaire de par leur construction, leur expressivité et leur coloris chauds et acidulés. Ils font de lui l'un des grands maîtres de la peinture religieuse, ce que l'on attendait pas d'un artiste plus sensible aux violences de l'Orient ou au tragique de la littérature.

 

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Au moment de quitter cette fascinante réunion d'œuvres, on ne peut taire ses interrogations : si les débuts du peintre sont bien mis en valeur, on ne saurait en dire autant des grands décors du Sénat et de l'Assemblée nationale qui occupèrent une grande partie de sa vie ; ils sont pratiquement absents ; ne parlons pas des dernières années évoquées par une morne série de petits tableaux qui n'ajouteront rien à sa gloire, alors qu'il dédiait ses dernières forces aux superbes peintures murales de Saint-Sulpice, simplement évoquées... N'était-il pas possible d'en faire des reproductions grandeur nature ? Alors que le moindre chantier parisien s'orne de bâches publicitaires sur des surfaces énormes... On aurait pu au moins faire sentir au visiteur la dimension et le souffle de ces grandes compositions. Dommage oui...

 

Cependant ce qui reste de par sa splendeur mérite largement la visite.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

1 - 28 juillet 1830. La Liberté guidant le peuple, 1830, Huile sur toile, Musée du louvre © RMN-Grand Palais, / Michel Hustado

2 - Jeune tigre jouant avec sa mère, huile sur toile, 1830, musée du Louvre © RMN-Grand Palais / Franck Raux

3 - Dante et Virgile aux Enfers, 1822, huile sur toile, musée du Louvre © RMN-Grand Palais /Franck Raux

4 - Femmes d'Alger dans leur appartement, 1834, huile sur toile, musée du louvre © RMN-Grans Palais / Franck Raux

5 - Le Christ au jardin des oliviers, 1824-27, Paris, église Sazint-Paul-Saint-Louis, COARC © COARC / Roger Viollet

 

 

 

 

 

 

 

Delacroix (1798 – 1863)

29 mars – 23 juillet 2018

exposition organisée avec le Metropolitan Museum de New-York

Hall Napoléon

Musée du Louvre

- internet : www.louvre.fr# expoDelacroix

- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le mardi de 9h à 18h, nocturnes jusqu'à 22h les mercredi et vendredi. Tarif unique pour le musée et l'exposition 15€.

- Publications : Catalogue sous la direction de Sébastien Allard et Côme Fabre. Coédition musée du Louvre / Hazan, 480p., 280 ill., 45€ ; Album de l'exposition, 48p., 40 illustrations, 8€ ; Documentaire, 52 minutes, 2018. Visites et ateliers, conférences, concerts, consulter le site du musée.