Expositions

 

 

 

 

 

Lambert Sustris

Un artiste de la Renaissance entre Venise et l'Allemagne

 

 

 

Le musée des Beaux-Arts de Caen conserve un rare tableau de Lambert Sustris (1510-1515/1553?), Le Baptême du Christ. L'œuvre, signée et datée, contient, ce qui la rend encore plus rare, les armoiries de son commanditaire, le cardinal Otto Truchsess von Walfburg-Trauchburg, un des grands ecclésiastiques allemands de l'époque. Autour de ce tableau, Benjamin Couilleaux, qui travaille sur l'artiste, a réuni treize peintures qui rendent bien compte de l'itinéraire d'un peintre encore très mal connu du grand public comme des spécialistes.

 

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La chronologie de Lambert Sustris n'est pas sûre et est en grande partie conjecturale : on ne connaît pas la date de sa naissance – entre 1510 et 1515 – ni celle de sa mort - après 1553. Si nous savons qu'il est né à Amsterdam c'est uniquement sur ses dire. On suppose, pour des raisons stylistiques, que sa formation artistique s'est faite au sein de l'atelier de Jan Van Scorel (1495-1562) à Utrecht et ce après 1524. Un Moïse frappant le rocher, datant de cette période ouvre l'exposition : le rocher assez irréaliste qui clôt la vue appartient à une esthétique déjà dépassée, tandis que les personnages annoncent des temps nouveaux. Un séjour à Rome, pas plus documentés, est attesté par un graffiti sur les parois de la Maison Dorée de Néron qui venait juste d'être découverte, où il signe sa présence ici avec deux autres artistes néerlandais, Marteen van Heemsckerck et de Herman Posthumus, vraisemblablement ses compagnons de voyage. Il séjourne ensuite à Venise et à Padoue autour des années 1540. Enfin il quitte la Vénétie pour l'Allemagne, Augsbourg, où il travaille pour l'évêque cité plus haut. Le Baptême du Christ, signé et daté (1553), est la dernière date sûre que l'on possède à son sujet. À partir de ce dernier repère on perd sa trace.

 

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Lambert Sustris appartient à l'univers du maniérisme, on connaît de lui des tableaux de chevalet – une quarantaine – et des fresques dans deux villas des environs de Padoue. C'est essentiellement un peintre de paysage, mais il a abordé aussi la figure avec des bonheurs divers ; à Caen deux peintures, l'une venant d'Angleterre l'autre de Lille, représentant une Judith sortant de la tente d'Holopherne en emportant la tête du militaire ; deux tableaux assez peu convaincants. Ici nulle agitation, nulle angoisse, nul linge sanglant encore moins de détail anatomique gênant : la dame, parée comme pour un bal, assez placide, sort du lieu du meurtre, tenant la tête comme si elle venait de faire son marché. On remarquera la beauté plantureuse de la Vénitienne qui a posé pour les deux compositions, ses chairs compactes, ses traits fins, sa blondeur. Notre jugement peut paraître sévère mais c'est que nous avons en tête les tableaux des caravagesques sur le même sujet autrement plus expressifs, plus inquiétants, plus sauvages, comme l'histoire qu'ils nous content.

 

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Le Baptême du Christ de Caen est un vaste et clair paysage ; entre deux massifs de montagnes rocheuses serpente le Jourdain sur les rives duquel s'élève une ville mêlant fabriques contemporaines et ruines antiques. Au centre de la composition la scène du baptême proprement dite se détache du reste de la foule qui se déshabille et se prépare à recevoir le sacrement. Deux anges tiennent les linges qui vont servir à sécher et vêtir le Messie. À droite sur un rocher au bord du fleuve une nymphe dénudée regarde vers le ciel où Dieu le père bénit son fils tandis que la colombe du Saint Esprit plane vers le groupe central, plus à droite un groupe d'Orientaux, présence à la signification peu claire - des prophètes juifs ? L'un d'entre eux porte un livre -, regardent le scène. Les personnages élégants, aux attitudes contrastées, l'érotisme des corps nus, les couleurs claires et subtilement contrastées, forment un cocktail étonnant et piquant... Religieux ?

 

Lambert Sustris, peintre savant, élabore des compositions complexes dont la signification risque d'échapper au visiteur d'aujourd'hui. Prenons Le repos pendant la fuite en égypte, peint à Venise - le tableau sans doute le plus séduisant de l'exposition. Il représente le groupe charmant d'une mère et son enfant assis. Le couple se détache sur le fond sombre d'une végétation tandis qu'à droite une échappée vers un lointain montagneux aère la composition. Dans l'ombre de la végétation Joseph conduit l'âne vers un plan d'eau pour le faire boire. L'élégance de la mère, vêtue à l'antique – remarquer la sandale – le charme du poupon, ne doivent pas nous cacher l'ambiance crépusculaire du paysage, qui avec ses fabriques rustiques doit beaucoup à Giorgione, et aussi, au premier plan, un panier rempli de fruits à la riche symbolique : la pomme du péché originel, le raisin de la passion (« Ceci est mon sang »), le linge de la mise au tombeau.

 

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Lambert Sustris s'adressait à un public cultivé, friand de religiosité qui goûtait ces allusions pieuses mais ne souhaitait nullement être confronté à certaines cruautés de la fable chrétienne. Il offrait à ce même public, féru d'antiquité et de mythologie, des scènes directement inspirées de l'histoire et de la littérature romaines ou grecques. Une toile prêtée par le musée de Besançon, Le Cercle de la Fortune, est typique de ce genre de production. L'œuvre, extraite d'un cycle de cinq tableaux consacrés à la destinée humaine, s'inspire d'un poème de la basse antiquité. L'accumulation des scènes, leur symbolique parfois absconse, leur moralité obscure, rendent cette œuvre beaucoup moins séduisante que Diane et Actéon de Londres ou Le Bain de Vénus de Vienne. C'est que ces deux compositions se déploient dans de merveilleux paysages : une fraîche forêt ombrée pour l'un, une plaine peuplée de fabriques et de ruines à l'antique pour l'autre.

 

On remarquera que l'artiste réussit mieux les personnages de petite taille qui s'ébattent dans des vastes espaces lumineux et habilement organisés. Les silhouettes, prestement peintes, pleines de vie, s'agitent et se meuvent avec beaucoup d'esprit et de légèreté et l'on préfèrera ces composition mouvementées à des toiles plus sérieuses telles que le Noli me Tangere du musée de Lille, au fond un peu ennuyeux avec son Christ et sa Madeleine, occupant toute le toile, figés dans une disposition conventionnelle. Un tableau qui annonce la Contre-Réforme dans ses aspects les moins séduisants.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

- Le Baptême du Christ, vers 1552/53, huile sur toile, Caen, musée des Beaux-Arts

- Détail du Baptême du Christ de Caen

- Le repos pendant la fuite en Egypte, fin des années 1540, Huile sur panneau, Vicence, Museo Civico du Palazzo Chiericati

- Le bain de Vénus (ou Femmes au bain dans des ruines antiques), vers 1550/53, huile sir toile, Vienne Kunsthistorischs Museum, Gemälde Galerie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lambert Sustris

Un artiste de la Renaissance entre Venise et l'Allemagne.

18 novembre 2017 – 4 mars 1018

Musée des Beaux-Arts de Caen

Le Château – 14000 Caen

Tél. : 02 31 30 47 70

www.mba.caen.fr

- Horaires et tarifs : du mercredi au vendredi de 9h30 à 12h30 et de 14H à 18h, le weekend de 11h à 18h. Fermé le 25 décembre et le 1r janvier. Trifs, 3,50€ et 2,50€, gratuité pour les moins de 26 ans et le premier dimanche du mois.

- Publication : Benjamin Couilleaux : Lambert Sustris. Un artiste de la Renaissance entre Venise et l'Allemagne.- 2017, Caen, Musée des Beaux-Arts de Caen, 72p. 17€

- Autour de l'exposition : visites commentées, visites croquis un crayon à la main, mercredi du musée (une visite, un repas), visites descriptives (en direction des mal-voyants), Visites en familles et ateliers quatre mains etc. consulter le site du musée.