Expositions

 

 

 

 

Rodin, 1840 – 1917

l’exposition du centenaire.

 

 

 

 

 

 

Les volumes des vastes et hautes salles du Grand Palais se prêtent particulièrement bien aux sculptures de Rodin qui ont trouvé ici un espace à leurs dimensions. En entrant on est ébloui par le rassemblement de ses créations les plus populaires : L’âge d’airain, L’Homme qui marche, le Penseur, Les Bourgeois de Calais, pour le Baiser il faudra attendre encore un peu quelques pièces plus loin ; la présence ici d’une haute statue en bronze peint, comme taillée à la serpe de Baselitz, qui n’appréciait pas particulièrement le maître, apparaitrait comme une incongruité si justement la liberté de l’ancêtre n’avait pas permis l’émergence de cet art brutal, expressionniste. C’est l’un des intérêts de l’exposition que de confronter ainsi l’œuvre du précurseur avec celle de ses lointains successeurs. Le parcours déroule un dialogue constant entre hier et aujourd’hui, entre maître et héritiers, entre celui qui a ouvert la voie et ceux qui ont bénéficié de sa liberté créatrice : au second étage, le dialogue de l’homme qui marche de Giacometti et le sien est assez éloquent…

 

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Admiratifs que nous sommes envers l’homme qui a conçu quelques-unes des sculptures emblématiques du XXe siècle, au point pour certaines d’être devenues des icônes – Le Penseur, le Baiser -, nous avons peine à imaginer que son œuvre ait rencontré de fortes oppositions. Les contemporains de Rodin ont été déconcertés, même s’ils furent admiratifs devant son évidente virtuosité. Ne l’a-t-on pas accusé d’utiliser des procédés indignes comme d’avoir procédé à un moulage pour exécuter le corps si vivant de l’Âge d’airain ? Rodin dut se justifier en publiant la photo de son modèle. Ils furent aussi dérangés par un art qui privilégie l’expression à l’encontre du fini, de la correction. Certes un Préault avait déjà ouvert la voie, mais rien de comparable avec le Balzac par exemple dont les audaces rebutèrent un public pourtant averti, celui des hommes de lettres. C’est que sa manière était unique et n’avait pas de précédent ; l’idée, l’impulsion, l’élan vital, avaient la primauté sur la correction. Dans ce dernier cas, il voulut rendre l'énergie de ce formidable démiurge que fut l’écrivain, le puissant créateur et, plus qu’un portrait de grand homme comme il en fut tant sculpté à l’époque, il s’attache à rendre le flux irrépressible, l’énergie compulsive qui attacha cet homme à sa table de travail des heures durant pour accoucher de tout un monde, celui de la Condition Humaine. C’est laid, à la limite grotesque mais grandiose, l’écrivain en robe de chambre, cambré comme un mauvais acteur défie un monde qu’il jauge d’un œil de rapace. Rodin était à la fois capable de sculpter les séductions du Baiser et d’accoucher dans le même temps un aussi splendide monstre.

 

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Cependant malgré les réussites d'une œuvre profuse et d'une diversité extraordinaire, il y a en lui comme une faille, un échec, celui de la Porte de l'Enfer. Une commande de l'état en 1880 à laquelle il ne cessa de travailler jusqu'à la fin sans jamais être satisfait du résultat. Il y revint sans cesse peaufinant les thèmes et en livrant plusieurs versions ; il invente ainsi une sorte de « work in progress » cher à nos contemporains, un ouvrage jamais terminé, une œuvre dont la justification se trouve non dans son achèvement mais dans le cheminement de sa création, plus riche, plus intense de par son inachèvement. Pour cet immense chantier, il a réalisé quelques-unes de ces œuvres les plus connues, le Penseur par exemple, Ugolin... La commande était destinée à l’accès d’un futur musée des arts décoratifs, projet rapidement abandonné. La porte une haute construction architecturée strictement et richement moulurée avec ses piédroits, ses corniches, ses linteaux et ses panneaux. Cet immense ouvrage, à la symbolique complexe puisée dans la Divine Comédie de Dante et empruntée aussi à l’œuvre poétique de Baudelaire, décrit la destinée tragique de l’humanité. Une foule de personnages désespérés et bouleversés s’agite, parfois, en un effort héroïque, un acteur surgit hors du cadre ce qui dynamise encore l’ensemble. La Porte de l’enfer, conçue comme un immense poème, fut la matrice de la révolution qu’il apporta à la sculpture.

 

 

Rodin3Rodin était un modeleur, un inventeur, un concepteur. Il était entouré d’une armée de praticiens, d’aides, d’ouvriers et sa villa de Meudon avait des allures de village tout ce monde vivant sur son lieu de travail dans des baraquements. On ne compte pas ses ateliers en ville ni l’hôtel Biron, futur musée Rodin, qui servait plus de lieu d’exposition que de lieu de vie. Il livrait une étude, généralement en terre cuite ou en plâtre, participait activement à la maquette et, s’il laissait à des praticiens le soin de rendre en marbre l’ébauche ou de fondre le bronze, voire d’appliquer la patine, il surveillait étroitement la réalisation Il avait une conception originale de son art. Inspiré par les sculptures antiques - il les collectionnait - qui ne nous sont parvenues souvent que sous forme de fragments, il jugeait qu’un corps, un visage, sans cou, sans épaule, pouvaient être aussi expressif qu’une figure intégrale.

 

Les éléments composant les œuvres étaient moulés en plâtre, soigneusement conservés et classés. Il les réutilisait - corps, visages, membres - pour composer une autre œuvre totalement différente de forme et d’esprit. S’inspirant de Michel-Ange dont il avait vu les esclaves inachevés de la grotte des jardins Boboli à Florence semblant vouloir s’extraire douloureusement de leur gangue, il multiplie les figures comme engluées dans le bloc de marbre à peine dégrossi. Comme si, nouveau démiurge, il arrachait la forme à le matière rebelle. C’est très fort. Il n’hésite pas, enfin, à accoupler deux, voire trois, versions de la même statue pour en amplifier l’émotion. L’exemple le plus célèbre étant les trois « Ombres » qui somment la Porte.

 

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Le grand public le sait moins mais Rodin fut aussi un grand dessinateur. Ses premiers dessins, dits noirs, de petits formats, ne sont pas à proprement parler des études pour des sculptures précises, mais de petites œuvres où la pensée se libère. Il ne s’intéressait qu’à la figure humaine. Plus radicales sont les aquarelles qu’il exécutera plus tard - il en a renouvelé le genre. La figure, simplifiée à l’extrême, devient pur mouvement, essence de la sensualité. Elles firent scandale mais, paradoxalement, soulevèrent l’enthousiasme à Prague quand elles seront exposées pour la première fois.

 

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L’atelier de Rodin fut très fréquenté, élèves venant du monde entier, collaborateurs dont certains eurent plus que du talent, songeons à Camille Claudel ou à Maillol, mais il n’eut pas de disciple à proprement parler. Les meilleurs, comme Maillol qui fut son collaborateur pendant dix ans, durent se libérer d’un exemple écrasant pour suivre leur chemin propre. « Il ne pousse rien à l'ombre des grands arbres » dira Brancusi qui fréquenta, un bref temps, l’atelier. Il a libéré les formes et les procédés, il a rendu sa grandeur à la laideur, il a affirmé l’irépressible force de la sexualité – songeons à la quasi pornographie de l’Iris, messagère des Dieux, nue, cuisses écartées. Et les salles du premier étage, confrontant son œuvre à celle de ses héritiers sont fascinantes. Ce n’est pas le moins passionnant et ces confrontations renouvellent notre regard sur une production devenue trop familière pour que nous en sentions aujourd’hui la nouveauté et la force.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

- Exposition Rodin, la première salle, photo de l'auteur.

- Rodin, Détail des Bourgeois de Calais, plâtre, 1889, épreuve moderne, Photo de l'auteur.

- Rodin, Balzac, 1898, Plâtre, Paris, musée Rodin, donation Rodin 1916, photographie de l'auteur.

- Ivan Mestrovic, Zdenac zivota (Fontaine de vie), 1905, Zagreb, musée Ivan Mestrovic, atelier Mestrovic, photographie de l'auteur.

- Rodin, Iris, messagère des Dieux, bronze, 1895, collection particulière, photographie de l'auteur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rodin, l’exposition du centenaire

Jusqu’au 31 juilletGaleries nationales du Grand Palais - Paris

Entrée Clemanceau

Téléphone : 01 44 13 17 17

Sites internet : www.grandpalais.fr ou www.rodin100.org, www.histoire-image.org

Réseaux sociaux : #ExpoRodin

Horaires et tarifs : tous les jours suf le mardi de 10h à 20h, nocturne le mercredi jusqu’à 22h. fermé le 1r mai et le 14 juillet. Le 20 mai, Nuit européenne des musées ouvert jusqu’à 1h. Tarifs, 13€, tarif réduit 9€ - 16-25 ans, familles nombreuses, demandeurs d’emploi), tarif tribu (quatre personnes dont deux jeunes 16-25 ans) 35€. Moins de 16 ans (bénéficiaires du RSA et du minimum vieillesse), gratuité.

Publications : Catalogue, sous la direction de Catherine Chevillot et d’Antoinette Le Normand-Roman, Paris, 2017, éditions RMN-Grand Palais, 400 p. 420 ill. 49€. Joseph Wassili, éditions RMN-Grand Palais, Rodin, l’album du centenaire, 48p., 55 ill., 10€. Marie Sellier et Hélène Pinet, graphiste Paper ! Tiger ! (Aurélien Farina), Autour de Rodin (7 – 12 ans), éditions RMN-Grand Palais, 64p., 65 ill., 16,90€. Catherine Chevillot, Rodin, l’invention permanente, Hors-série Découvertes Gallimard, coédition Gallimard/RMN-Grand Palais, 48p. 40 ill., 9,20€.

Films de l’exposition : Auguste Rodin, coffret de deux DVD, 21,90€. Bruno Aveillan dir., auteurs Zoé Balthus et Stephan Levy-Kuentz, Et Rodin créa la porte de l’enfer – Divino Inferno, 60 minutes. Claire Duguet dir. Auteurs, Claire Dughet et Leslie Grunberg, La Turbulence Rodin, 52 minutes.

Offres numériques : L’application de l’exposition, audioguides, 2,99€, module gratuit Photo sculptée ; édition numérique E-Album Rodin, l’exposition du centenaire-format tablette, 4,99€

Programmation culturelle : Rencontres et films, performances, Weekend en famille, danse, concert… consulter le site de l’exposition