Expositions

 

 

 

 

 

C W Eckersberg (1783 – 1853).

Artiste danois à Paris, Rome et Copenhague

 

 

 

 

 

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Eckersberg, peintre danois du début du XIXe siècle que la fondation Custodia présente en ce moment à Paris, n'est pas tout à fait un inconnu en France. Outre le tableau que le Louvre a acheté il y a quelques temps, les amateurs d'un certain âge n'ont pas oublié la mémorable exposition du Grand Palais consacré à l'âge d'or de la peinture danoise, il y a trente ans. Le peintre qui y était présent avec plus de cinquante tableaux et dessins s'y taillait la part du lion. Ce n'était que justice car son apport fut décisif dans l'éclosion d'une école encore trop peu connue en France. Décisif de par son œuvre et aussi de par son rôle en tant que professeur et chef d'atelier à l'Académie de Copenhague. Le curieux ne doit pas laisser passer l'occasion qui lui est offerte aujourd'hui de rentrer dans l'intimité d'un créateur aussi modeste que sympathique et surtout séduisant.

 

ECK1Eckersberg se situe dans la mouvance du néoclassicisme, il en adopte toutes les caractéristiques : peinture claire, couleurs émaillées, subtilité des teintes, dessin précis, perspective stricte, compositions calmes et parfaitement équilibrées. Mais il apporte une note personnelle qui fait son originalité au sein de l'esthétique qui régnait alors en Europe : il se fait l'observateur attentif de la réalité qui tempère quelque peu la froideur de bon nombre de ces artistes. Il n'est que de regarder les portraits de la bourgeoisie danoise pour noter cette différence. Si ces dames sont représentées, comme leurs consœurs françaises, italiennes ou anglaises, dans l'apparat de leurs atours les plus raffinés dont il note le luxe et l'élégance, il ne peut s'empêcher de noter leurs mains rougies et un peu déformées par les travaux ménagers. Car les bonnes dames de Copenhague à l'inverse de leurs consœurs européennes qui ne faisaient strictement rien de leurs dix doigts, menaient une vie active. De même lors de son long séjour à Rome il a délaissé les représentations des grands monuments du passé, des jardins prestigieux, des sites célèbres pour se consacrer aux aspects plus intimes de la ville : une cour, la pseudo maison de Raphaël, l'escalier de l'Aracoeli. Ce n'est pas non plus l'homme des grands mouvements héroïques même s'il a, comme tous les artistes contemporains abordé les grands thèmes antiques ou religieux : voyez le geste familier d'Ulysse fermant le bouche de sa nourrice qui l'a reconnu à une cicatrice sur la jambe dans son tableau le plus davidien Le Retour d'Ulysse peint à Paris en 1812.

 

Eck7Christofer Wilhelm Eckersberg est né en 1783 à Blakrog au sud du Danemark. En 1803, il rentre à l'Académie royale des Beaux-Arts de Copenhague où Il est l'élève d'Abildgaard, un peintre néoclassique assez bizarre et subit l'influence de Jens Juel dont, plus tard, il épousera la fille. Il acquiert assez rapidement une certaine reconnaissance et peut alors financer grâce à une pension, à des prêts ou des pré-achats d'amateurs un séjour à Paris et à Rome. Il part en 1810 et ne reviendra qu'en 1816. Voyage fondamental qui transforme un artiste provincial en un créateur sûr de ses moyens, influent, apprécié non seulement dans son pays mais dans tout le Nord de l'Europe. Il transmettra son regard d'une originalité profonde à ses élèves, à l'école qu'il a fondée.

 

À Paris il fréquente pendant un an l'atelier de David qui l'apprécie et l'aurait bien retenu. Il peint et dessine d'abondance. Il porte un regard singulier sur la ville et sa population dont il loue la gaité, le courage, l'insouciance. Le dessin de sa logeuse préparant sur un braséro son repas est caractéristique de cette approche familière ; il préfère décrire le Restaurant Ledoyen qui n'était alors qu'une sympathique bicoque proche de la place de la Concorde plutôt que la noble ordonnance de Gabriel qui se profile à l'arrière plan. À Rome, il s'installe dans la maison dont Thorvaldsen occupe un étage. Il s'ensuivra une amitié et un profond respect mutuel. Eckersberg peint le portrait de son aîné, un des plus beaux qui soit avec ce regard clair, cet air songeur... Parmi les paysages de la ville éternelle on remarquera ce chef-d'œuvre qu'est la Vue à travers trois arches du Colisée, 1815. Cette image simple, séduisante est en fait le résultat d'une construction complexe : il a fallu juxtaposer trois points de vue, un par arcade, pour pouvoir montrer le vaste panorama, sinon à droite et à gauche on aurait du se contenter des parois des piliers : ce qui paraît si évident, si aisé, est en fait le produit d'un processus subtil et discret.

 

ECK5Nommé dès son retour en 1816 professeur à l'Académie royale des Beaux-Arts, il devient l'artiste le plus important du pays. Sa renommée s'étend dans tout le Nord de l'Europe, à Berlin particulièrement. Il aborde tous les genres, le nu, la peinture d'histoire, les scènes religieuses, le portrait, les paysage, et même, plus rarement, la scène de genre. Sa réussite est bien évidemment inégale. On ne peut pas dire qu'il ait excellé dans les scènes mythologiques : Une toile charmante représentant La Nourrice d'Alcyone est en fait le fragment découpé d'une composition plus ambitieuse jugée maladroite. En revanche, il est plus à l'aise dans le portrait de La famille Nathanson. Interprétation réussie des conversation pieces néerlandaises et anglaises. On soupçonne difficilement les nombreux repentirs qu'il a du faire au cours de la réalisation finale. Les enfants accueillent le couple au retour d'une audience avec la Reine. La souplesse et la vivacité des enfants s'oppose à l'attitude souriante mais plus grave, plus raide, des parents. Tout aussi élégant est le double portrait des deux filles ainées du couple, admirablement équilibré il les montre l'une de face, l'autre de profil. Aurons-nous le mauvais esprit de voir une allusion polissonne dans le fait que l'une d'entre elles joue avec l'oiseau encagé ? Sans doute pas, Copenhague n'était pas Paris et le XVIIIe siècle était bien fini... La question mérite cependant d'être posée. Eckersberg n'était pas un parangon de vertu : il divorça de sa première femme, eut une liaison avec son modèle préféré italien (il ne fut pas le seul, certes !), sa seconde épouse était enceinte de plusieurs mois lors de la cérémonie, et enfin se remaria en son âge avancé avec une femme bien plus jeune. Il peignit de nombreux nus, des deux sexes, mais ce n'était pour lui que des exemples destinés à ces élèves, tout érotisme en était banni ; il fallait pallier l'interdiction de travailler à partir d'un modèle vivant.

 

Vers la fin de sa carrière il aborde la peinture marine, disons plutôt le portrait des navires de guerre dont il n'omet ni le moindre cordage, ni la moindre voilure. Peinture claire, de plein air, il a su saisir les nuances de la lumière si particulière de la mer ou celle filtrée par les nuages. Plusieurs études de ciels montre sa recherche obstinée du ton juste et de la couleur très particulière de ces espaces. On sent l'iode et le sel. Notons qu'il représente surtout des mers calmes, lisses, ou modérément agitées. Pas de tempête ou alors bien sages qui n'ont rien à voir avec ce que font les romantiques anglais ou français qui aiment représenter les éléments furieux, déchaînés. Eckersberg n'est décidément pas l'homme des orages, même désirés !

 

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Peinture sereine, calme. Et pourtant, pourtant, il vécut ainsi que tous les Danois une période trouble et tragique : le bombardement et le siège de Copenhague par la flotte anglaise en 1807 qui fit plus mille huit cents morts et ruina plus du quart de la ville, la séparation d'avec Norvège après la chute de Napoléon, enfin la grave crise économique qui s'ensuivit. En dehors d'un tableau représentant la ville en flamme, mais qui paraît bien académique, rien de tout cela ne transparaît dans sa peinture ainsi que dans celle de ses élèves ou de ses compatriotes. Ce refus du tragique a quelque chose d'héroïque.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

- Vue à travers trois arches du Colisée à Rome, 1815, huile sur toile © Statens Museum for Kunst, Copenhague.

- Le Repas est prêt. La Logeuse d'Eckerberg à Paris (?),1812, graphite, plume et encre, lavis © Statens Museum for Kunst, Copenhague.

- Bella et Hanna, les filles aînées de Mendel Levin Nathanson, 1820, huile sur toile © Statens Museum for Kunst, Copenhague.

- Modèle masculin assis. Peter Kristrup, 1837 © Académie des Beaux-Arts du Danemark, Conseil de l'Académie, Copenhague

- Une Flotte russe au mouillage près d'Helsingør, 1826, huile sur toile © Statens Museum for Kunst, Copenhague.

 

 

 

 

 

 

C. W. Eckersberg (1783-1853)

Artiste danois à Paris, Rome et Copenhague

Jusqu'au 14 août 2016

Fondation Custodia

121, rue de Lille, Paris, 75007

- Tél. : 01 47 05 75 19

- Internet : www.fondationcustodia.fr

- mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le lundi de 12h à 18h ; plein tarif 10€, tarif réduit, 8€.

- Publication : C. W. Eckersberg. Artiste danois à Paris, Rome et Copenhague. - Paris, 2016, fondation Custodia, 336p., nombreuses illustration en couleurs, 40€. Petit guide, 58p., gratuit.