Expositions

 

 

Charles Gleyre (1806 - 1874)

Le romantique repenti

 

 

 

 

Etrange personnage que ce monsieur Gleyre. protestant calviniste, républicain, né en Suisse dans la très morale Suisse romande ! Il fit et réussit une carrière remarquable à Paris, un Paris de la fête impériale, des courtisanes coruscantes, des Révolutions et contre révolutions sanglantes, un Paris bien éloigné des principes de son si sage pays natal. Il fut l'auteur de tableaux à la facture impeccable, sans aspérité, aux couleurs claires, tableaux d'une grande élégance qui séduira le visiteur du musée d'Orsay où se tient une riche rétrospective. Et pourtant, pourtant ! trois œuvres, exposées ici montrent que sous ce dehors lisse, sous cette réussite, se cachait un caractère ombrageux, bouillonnant, frustré : la première peinte à Rome quand il fréquentait la Villa Médicis, représente les apprêts d'un viol, Les Brigands romains(1831), la seconde peinte plus tard, dans sa maturité décrit une froide bacchanale de femmes hors d'elles, La Danse des Bacchantes (1849), tandis que la troisième est consacrée à un des thèmes les plus sombres de la mythologie, rarement représenté en peinture, Penthée poursuivi par les Ménades (1864) : dans un crépuscule funèbre, la silhouette de l'homme qui pour avoir épié un groupe des Bacchantes dont fait partie sa propre mère, est poursuivi par la troupe des femmes en furie qui vont l'écharper. C'est une sorte de danse élégante et meurtrière peinte en une légère contre-plongée. Une dernière composition Le Soir ou Les illusions perdues, très célèbre en son temps, aujourd'hui un des chefs-d'œuvres du musée d'Orsay, parfait le portrait moral d'un grand mélancolique. Sous la glace grondait un volcan mais qui jamais explosa...

 

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Charles Gleyre est né en 1806 à Chevilly dans le canton de Vaud près de Lausanne dans une famille de cultivateurs. À douze ans, il perd ses parents et est accueilli avec ses deux frères, par un oncle qui vit et travaille à Lyon. Celui-ci, sensible aux talents précoces de l'adolescent, l'inscrit à l'école de dessin de la ville, pour travailler pour l'industrie ; il y rencontre Sébastien Cornu et se lie d'amitié avec lui, amitié d'une vie. Les deux compagnons choisissent de se consacrer à la seule peinture et montent à Paris où ils entrent dans l'atelier de Hersent. Il subsiste dans la capitale grâce à une pension que lui donne son oncle et à quelques travaux.

 

En tant que citoyen suisse, n'ayant pas droit à concourir pour le prix de Rome, il décide de partir à pied pour la ville éternelle, toujours en compagnie de Sébastien Cornu. Là il fréquente l'Académie de France, qui l'accueille et lui fait profiter en tant que citoyen francophone des avantages de l'institution. Au cours de ce séjour il peint Les Brigands que vient d'acquérir le Louvre. Toile gênante et intrigante, insolente, au thème scandaleux et réaliste. il s'agit en fait sous le prétexte de dire la réalité sordide du brigandage romain, loin de l'aura romantique qu'on lui a parfois prêtée, de vider ses comptes avec la famille du directeur de l'Institut, Horace Vernet. L'embuscade a réussi : dans un paysage de rochers lumineux se détache un groupe de quatre personnages : trois sombres malfrats entourent une jeune femme à moitié dénudée qui sanglote. Le chef debout regarde l'époux, l'amant, le père qui s'agite en vain lié qu'il est à un arbre ; ses deux complices à genoux jouent à la mora pour savoir lequel des deux aura le privilège de forcer la jeune femme qui cache sa honte. Assis au pied de la falaise un vieillard tient les comptes de l'opération. On a récemment remarqué que le mari ressemble étrangement de Horace Vernet tandis que la jeune femme, nonobstant le fait qu'elle cache le visage de ses mains, serait sa fille la ravissante Louise qui fit tourner la tête à tous les jeunes gens qui fréquentaient la villa Médicis, l'un des trois brigands serait un auto-portrait. Gleyre, amoureux mais pauvre, étranger, protestant, n'avait évidemment aucune chance d'emporter le cœur de la belle, il se serait vengé ainsi. Est-ce exact ? Le fait est qu'il ne s'est jamais séparé de la toile et a toujours refusé de la vendre. Honte ? Remords ? Regret ?

 

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Deux salles de dessins, peintures, aquarelles sont consacrées au voyage de trois ans entrepris en Orient en compagnie d'un mécène américain, John Lowel. Voyage pénible et dangereux, les deux hommes s'aventurèrent dans des contrées inconnues de l'Occident, malsaines ; épuisé, malade, aux portes de la mort, quasi aveugle, Gleyre dut abandonner et revenir. Cette abondante production sur papier et les quelques tableaux qu'il en tira, si séduisants, si riches en couleurs, si précis au point de constituer une véritable documentation ethnographique, fait la part belle au quotidien des pays traversés tout autant qu'aux vestiges romains, grecs et pharaoniques. De retour à Paris, en se basant sur cette documentation dont il avait fait des copies, il s'essayera à l'orientalisme, sans grand succès.

 

Gleyre pratiqua assidument le dessin tout au long de sa carrière ; il joua un rôle fondamental dans son processus créateur. Chaque tableau donnait lieu à une série d'études d'ensemble et de détails. Dessins précis, minutieux, où le volume est donné par une série de menues hachures précisant sans brutalité les formes. On est loin des traits furieux d'un Gros, d'un Delacroix ou d'un Géricault, des formes approximatives mais si expressives de ces grands dessinateurs. Un art maîtrisé. Trop ?

 

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Gleyre va inscrire sa production dans un mouvement pictural, que l'on a appelé l'Anacréontisme, une variante du néoclassicisme, du nom du poète grec. Une peinture aux couleurs claires, aux formes élégantes et précises, linéaires, à l'inspiration doucement élégiaque. Prenons, au hasard, Le Bain : sous un portique deux jeunes femmes baignent un enfant dans une vasque de marbre haute sur pied, l'une d'entre elles est nue. Les silhouettes sont élégantes et pâles, le bambin charmant, l'ensemble est séduisant au point de faire oublier son irréalité. Cela le conduira au succès au point devenir, en 1848, professeur à la très prestigieuse école des Beaux-Arts de Paris. Son atelier sera l'un des plus courus et aussi un des plus ouverts - Il eut pour élève Renoir, Sisley, Bazille et Monet . Sa plus célèbre composition reste Le Soir, rapidement renommé par le public Les Illusions perdues, qui fit qu'on ne l'oublia pas tout à fait pendant le long purgatoire qui suivit sa mort. Dans la lumière pâlie d'un jour qui meurt, un homme mûr, tête fléchie, assis sur une jetée faite de débris antiques, voit, du fond de lui-même et non physiquement, s'éloigner une barque où onze jeunes femmes déclament, chantent, contemplent la nue. Tout est vanité... C'est l'image même de la mélancolie, de la désillusion, et les contemporains ne s'y trompèrent pas qui assurèrent à son auteur une renommée méritée. Cette composition si mystérieuse, si poétique, fascine encore aujourd'hui parce qu'elle autorise toutes les interprétations, toutes les lectures au gré de la sensibilité de chacun, de sa culture. Gleyre devant le succès envisagea de composer un pendant, La Gloire. Mais le projet n'aboutit pas. Faut-il le regretter en regardant le dessin préparatoire exposé ici?

 

Gleyre3Il est un autre aspect de la production du peintre qui retiendra l'attention, la peinture patriotique. Gleyre est né dans le canton de Vaud, un territoire qui s'était récemment libéré de la tutelle des Bernois pour rejoindre la Confédération en tant que partenaire à part entière (1803). Liberté chèrement acquise à l'occasion des troubles dus à la Révolution française. Deux compositions lui furent com-mandées par les autorités cantonales : La première commémore un des épisodes les plus dramatiques qui ont scandé la marche du pays de Vaud vers l'autonomie : l'exécution du Major Davel en 1723. Gleyre a choisi de représenter le moment pathétique où le militaire, qui a tenté de soulever le pays contre la férule des Bernois, s'adresse à ses compatriotes pour leur dire que le combat n'est pas terminé tout en pardonnant à ses ennemis. C'est une composition très simple mais efficace : au centre, tel un Christ, le major le yeux levés au ciel parle. Deux pasteurs éplorés en robe de culte le soutiennent tandis qu'au second plan le bourreau impassible et son jeune aide attendent. Devant l'estrade où va avoir lieu l'exécution, deux soldats. L'un lève le tête vers l'orateur, l'autre cache ses larme. La foule qui assiste à l'événement est à peine évoquée en arrière plan. Le composition, simple, efficace, n'est pas sans rappeler celle des retables de la Renaissance ; pleine de dignité et de douleur contenue, elle avait encore une certaine charge émotionnelle puisqu'en 1980 un inconnu l'incendia. Il n'en reste que le détail du soldat pleurant.

 

La seconde toile plus bizarre, relate un fait peu connu de l'antiquité : La Bataille du Léman ou Les Romains passant sous le joug (1858), elle illustre une défaite des armées romaines devant les Helvètes. Sous les frondaisons d'un chêne centenaire, au milieu d'une foule joyeuse, les centurions rescapés de la défaite passent sous un double joug que bordent deux piques sur lesquelles sont fichés des têtes. La composition bien que touffue s'organise clairement en trois plans : un premier coloré, un second sombre de par l'ombre de l'arbre, un dernier aéré et lumineux avec le lac, les montagnes, le Mont Blanc. On notera les têtes fichées sur des piques, allusions aux événements dramatiques de la Révolution et à la violence légitime des peuples opprimés ?

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

- Les Illusions perdues, dit aussi Le Soir, 1843, huile sur toile, Paris, musée du Louvre © RMN-Grand Palais / Michel Hurtado

- La Danse des Bacchantes, 1849, huile sur toile, Lausanne, musée cantonal des Beaux-Arts, © musée cantonal des Beaux-Arts / J.-C. Ducret

- Penthée poursuive par les Ménades, 1864, huile sur toile, Bâle, Kunstmuseum © Kunstmuseum, Martin P. Bühler

- Les Romains passant sous le joug, 1858, Lausanne, musée cantonal des Beaux-Arts © Nora Rupp, musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne

 

 

 

 

 

 

Charles Gleyre (1804-1874)

Le romantique repenti

10 mai-11 septembre 2016

Musée d'Ortsay

1, rue de la Légion-d'Honneur, 75007 Paris

- Tél. : 01 40 49 48 14

- internet : www.musee-orsay.fr

- Horaires et tarifs : Tous les jours sauf le lundi, de 9h30 à 18h, 21h30 le jeudi. Plein tarif, 12€, tarif réduit, 9€ (familles nombreuses et pour tous lors des nocturnes), gratuité pour tous les premiers dimanches du mois, les moins de 18 ans, les amis du musée, carte jeune du musée, adhérents carte blanche et Musé0, visiteurs de 18 à 25 ans pour les ressortissants de la Communauté européenne.

- Publications : catalogue sous la direction de Côme Fabre, coédition musée d'Osay – Hazan, 272p. 45€ ; Michel Thévoz : l'Académisme et ses fantasmes. Le réalisme imaginaire de Charles Gleyre. - 2016, Paris, éditions de Minuit, 168p., 24 ill., 17€

- Animation culturelle : visites guidées et ateliers pour les enfants et la famille, parcours, Ranc'arts les 20 et 27 juillet pour les 12 – 15 ans, Le romantisme c'est héroïque. Consulter le site du musée.