Expositions

 

 

Jardins d'Orient, de L'Alhambra au Taj Mahal

 

 

 

Espace clôt, replié sur lui-même, tournant le dos à l'environnement qu'il soit urbain ou champêtre, un dedans opposé à un dehors, le jardin oriental, à l'inverse du jardin occidental, qui depuis la Renaissance est une sorte de transition entre la nature et la demeure, est un paradis secret – notre mot paradis vient d'ailleurs du persan et signifie enclos de plaisir, lieu délicieux, jardin en définitive –, un paradis privé fait pour la délectation du maître, de sa famille, de ses invités. Dans des pays où la nature est souvent excessive, aride, il est un refuge de fraîcheur, de couleurs, d'odeurs, de sons où jouir du calme et de la beauté, – ah le délicieux ramages des oiseaux auquel fait écho celui des instruments de musique, les fragrances entêtantes de la rose et du jasmin, la palette infinie des fleurs...

 

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L'Institut du monde arabe à Paris propose une belle exposition sur un thème aussi séduisant. Elle se déroule en deux parties : un parcours classique, peut-être un peu brouillon mais si intéressant, fait de photos anciennes, des dessins, de peintures, de miniatures, de sculptures et d'objets, on y a même ajouté quelques créations contemporaines... Bon... Dans un second temps, le visiteur est invité à déambuler dans la reconstitution d'un de ces jardins où plutôt son évocation sur le parvis. Orangers, citronniers et autres palmiers à l'ombre desquels un ruisseau gazouille et des fleurs jettent une note de gaité, offrent une halte rafraîchissante et agréable pour siroter un thé à la menthe, mollement affalé sur des sièges confortables tout en conduisant une de ces agréables conversations désultoires entre amis qui font le charme de la vie, le tout à l'ombre d'une immense rosace en anamorphose surplombant le tout.

 

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Au commencement était l'eau, problème millénaire, en ces pays arides, sinon désertiques. Sa quête avait quelque chose d'héroïque et les solutions étaient, sont encore, aussi imaginatives que variées : la maquette d'un puits, celle d'une vis d'Archimède, les photographies et tableaux représentant un chadouf - puits à contre-poids vieux comme le monde inventés par les anciens égyptiens -, les norias, ces grandes roues à aubes, si caractéristiques de villes comme Hama en Syrie ; une miniature du 14e siècle, sans doute syrienne, représente une de ces machines complexes servant à extraire l'eau souterraine, elle n'est pas très éloignée de celle que Pierre Dieulefit photographia vers 1909 à Casablanca... Il fallait chercher le précieux liquide parfois très loin : la photo aérienne d'une vaste étendue sèche percée de trous à intervalles réguliers montre la ligne des qanats, ces canaux souterrains qui conduisent l'eau des sources depuis le pied de la montagne jusqu'aux champs et jardins de la plaine et des villes : il ne fallait pas que qu'elle s'évapore en chemin. La photo a été prise en Iran, elle aurait pu l'être en Afrique du Nord aussi bien qu'en Asie. Cette eau, si chèrement amenée, structure le jardin oriental quadrillé qu'il est de canaux, ponctué de fontaines, de vasques, de jets et de cascades. Au second étage, un de ces rus a été remonté, on peut simplement regretter que l'espace sombre et bas de plafond des salles donne une impression de confinement bien éloigné de la réalité.

 

Il fallait des moyens hors du commun, ceux d'un souverain, d'un prince, d'un vizir, d'une favorite pour avoir le pouvoir de confisquer l'eau et les espaces urbains nécessaires à la création de tels lieux enchanteurs ; la majorité devait se contenter, et se contente encore aujourd'hui, d'une grande cour voire d'une simple courette agrémentée d'un puits et de quelques pots de fleurs plus ou moins ébréchés. De grandes gouaches colorées reproduisent les tombeaux quasi pharaoniques entourés de vastes parcs que se faisaient construire les empereurs moghols en Inde. Luxe effréné quand on songe que le commanditaire ne devait guère en profiter, ils étaient quand même mis à le disposition des simples mortels, véritables ancêtres des jardins publics d'aujourd'hui.

 

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On découvrira avec plaisir les dessins européens du début du XIXe siècle, les miniatures arabes ou iraniennes, si fines, si raffinées, les céramiques, les sculptures de marbre ou de grès, les bronzes venant du Khorassan ou de l'Espagne musulmane ; tous, ils évoquent un monde sophistiqué dont il n'existe plus que le souvenir. Les dessins, exécutés par des diplomates ou par les artistes que les ambassadeurs emmenaient avec eux - Pascal Coste, Eugène Napoléon Flandin, Jules Laurens et plus près de nous Jean Marchand - ont fait découvrir à l'Europe cet Orient des parcs secrets et témoignent du raffinement que pouvait atteindre ces lieux. Comment ne pas être séduit par le subtil désordre de Bagdad au bord du Tigre avec dômes, palais, minarets, palmiers se reflétant dans les eaux calmes du fleuve saisi par le consul Pascal Coste ? Ce dernier a su saisir le charme de maisons de Tunis, d'Alep, de Bagdad. Jules Laurens, un des meilleurs peintres orientaliste de la seconde génération a pu dessiner les cours des palais et les kiosques qui peuplaient leurs jardins, tel celui de Tchehel-Sutoun à Ispahan dont la forêt de sveltes colonnes de bois servait de décor aux somptueuses fêtes que le souverain donnait à sa cour. Quelques panneaux de céramiques venant de Turquie et de Syrie, un bas-relief de marbre hindou, une claire-voie de grès évoquent ici le chatoiement des murs dont les vives couleurs se confondaient avec les parterres de fleurs. Les reflets tremblants des eaux, les jeux de lumière et d'ombre de la végétation abolissaient les frontières et les limites de ce monde enchanté, hors de l'ordinaire et de ces réalités. Monde propice à la musique, à la rêverie, à l'amour comme le rappèlent miniatures et instruments de musique.

 

Artistes et artisans trouvent dans ce monde une source inépuisable de thèmes décoratifs : tout un monde d'oiseaux, plus ou moins réalistes et fantastiques, de fleurs et de végétaux plus ou moins stylisés se retrouve sur les objets d'usage quotidien, les plus ordinaires comme les plus luxueux. Dessiné sur la céramique - coupes, bols, plats, panneaux muraux -, tissé ou imprimé sur les vêtements qu'ils soient de brocard, de soie ou de simple coton, brodé sur les panneaux de tente, noués dans les tapis, fondu en bronze pour quelques pièces de prestige, un univers chatoyant et coloré prolonge les plaisirs de ces « paradis » privés... Enfin, il faut bien évoquer une fleur, venue d'Iran, emblème de la dynastie turque des Osmanlis, qui envahit l'Occident : la tulipe, si charmante, si harmonieuse avec ses formes étirées, ses pétales en pointe, ses couleurs subtiles dont l'Europe s'enticha à un point tel que l'on a pu parler d'une tulipomania – d'aucuns s'y ruinèrent - et que sa culture devint une industrie comme le rappèle un tableau de Monet.

 

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Le jardin oriental dont les Romantiques chanteront les beautés découvertes essentiellement dans le sud de l'Espagne, à Séville, à Grenade, devient un type au même titre que le jardin à la française ou le parc à l'anglaise ; Il fait dorénavant partie de la palette du jardinier d'aujourd'hui. La dernière partie consacrée à la diffusion du modèle en Europe clôture dignement l'exposition.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

1 - Vue du Tigre (Bagdad),détail,  Pascal Costes, 20 juillet 1841, Marseille, Bibliothèque de Marseille, fonds patrimoniaux, photo de l'auteur.

2 - Jardins d'Orient, 2016, IMA, photo © Thierry Rambaud.

3 - Panneau de fontaine, empire ottoman, deuxième moitié du XVIe siècle, céramique et métal, Londres, Furusiyya Art Foundation.

4 - Jardins d'Orient, 2016, IMA, photo de l'auteur.

 

 

 

 

 

 

Jardins d'Orient

De l'Alhambra au Taj Mahal

19 avril au 25 septembre 2016

Institut du Monde arabe

1, rue des fossés Saint-Bernard, 75005 Paris

- Tél. : 01 40 51 38 38

- Internet : www.imarabe.org

- Horaires et tarifs : du mardi au vendredi de 10h à 18h et samedi et dimanche et jours fériés 10h à 19h, fermé le lundi ; Plein tarif 12€, tarif réduit, 10€.

- Publications : Catalogue de l'exposition, 212p., 25€ ; hors-série de Connaissance des Arts ; Michel Pena : Jouir, jouer du paysage.- Paris, 2016, Ante Prime AAM éditions, 444p., 24€.

Livret jeunes.

- Animation culturelle : Rencontres & débats, les Rendez-vous de l'histoire du monde arabe; cinémas, spectacles ; Ateliers, parcours etc. consulter le site de l'Institut.

- En marge de l'exposition : Les Plantes des jardins d'Orient au jardin des Plantes ; Aventure botanique en Orient au Cabinet d'histoire du muséum d'Histoire naturelle, 57, rue Cuvier 75005 Paris ; visiter le jardin de la Grande mosquée de Paris, 2,bis, place du Puits de l'Ermite, 01 45 35 97 33.