Expositions

 

 

Hubert Robert (1733 – 1808)

Un peintre visionnaire

 

 

 

« Amateur de tous les plaisirs, sans en excepter celui de la table, il était recherché généralement et je ne crois pas qu'il dinât plus de trois fois chez lui dans l'année. Spectacles, bals, repas, concerts, parties de campagne, rien n'était refusé par lui... » En dépit de cette description due à son élève et vieille complice dans le monde Madame Vigée-Lebrun, Hubert Robert fut un bourreau de travail et il a laissé derrière lui plusieurs centaines de tableaux, des milliers de dessins qui font la joie des amateurs depuis plus de deux siècles. Le Louvre lui consacre une monumentale exposition riche de plus de cent quarante œuvres : peintures, dessins, gravures et même le buste exécuté par son ami Augustin Pajou, à voir et à revoir.

 

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Rien ne prédisposait le jeune Hubert Robert à embrasser une carrière artistique, ses parents, au service d'une des plus grandes familles du royaume, les Choiseul, le destinaient plutôt à entrer dans les ordres et pour ce faire, grâce eux, ils purent le faire admettre par le très aristocratique collège de Navarre. Devant des dons évidents pour le dessin, le dessin d'architecture, on le fait entrer, comme élève, dans l'atelier de Michel-Ange Slodtz. Trois ans plus tard, il accompagne à Rome le fils de son mécène François de Stainville, nommé ambassadeur auprès du Pape. Par faveur spéciale, alors qu'il n'a pas passé le concours, il est admis à l'Académie de France – aujourd'hui villa Médicis. Dans la ville éternelle où il reste plus de dix ans, il découvre Panini, Piranèse et le monde effervescent de la ville qui était alors le rendez-vous de l'Europe, avant de revenir à Paris où il brillera autant sur la scène artistique que dans le monde.

 

Robert2Ce séjour dans une ville bouillonnante d'idées, de recherches, d'expéri-mentations esthétiques, sera formateur et irriguera sa carrière future. Là, il travaille sans relâche, il accumule les dessins et les tableaux, toute une documentation dont il fera un large usage. Les ruines antiques l'intéressent au premier chef, mais aussi la ville moderne, les villas, leurs jardins et les paysages des alentours. Il gagne une renommée bientôt internationale qui lui vaudra d'être rappelé à Paris. Son amitié avec Fragonard, garçon tout aussi aimable que lui, est devenue légendaire ; les deux complices arpentent la ville et la campagne et l'on conserve même quelques dessins faits sur le même motif qui diffèrent légèrement selon la disposition de chacun. Une salle est consacré à ce compagnonnage : les œuvres du bon « Frago », plus picturales peut-être, sont moins structurée que celle de son compagnon - ce qui ne saurait étonner. La superbe vue de la Grande Cascade de Tivoli en contre-jour voisinant avec la reproduction de celle d'Hubert Robert en fait une démonstration éclatante.

 

C'est à Rome que Hunert Robert découvre l'art des jardins, il se souviendra de ses promenades dans les allées des parcs de la ville, quand il travaillera plus tard pour le Roi – la laiterie de Rambouillet – ou à Méréville et d'autres parcs. Les toiles et les dessins où il recrée ces lieux sont, sans doute, les œuvres les plus intéressantes, les plus poétiques. On découvre un artiste sensible à la beauté des frondaisons, au foisonnement d'une végétation panique dans laquelle se cachent personnages, statues et débris antiques, à la fraîcheur des eaux jaillissantes. Le Jardin d'une villa italienne qui vient d'Ottawa est des plus belles toiles de l'exposition. Il ne représente pas ici un lieu précis mais un jardin rêvé, un lieu en ruine, quelque peu mélancolique : les balustrades effondrées, les marches ébréchées, le pavement disjoint, le sphinx solitaire, la villa dans le lointain comme un palais de conte fées inaccessible, la fontaine vomissant son filet d'eau dans un sarcophage, tout cela uni par une lumière argentée qui enchantait les contemporain et nous enchante encore. Ces lieux qui furent somptueux mais en pleine déréliction « donnaient à penser ».

 

 

Hubert Robert est le spécialiste des ruines, il a étudié inlassablement celles de Rome et de ses alentours, il en répète les motifs en les arrangeant dans des « caprices » plus ou moins fantaisistes, faisant voisiner des monuments éloignés les uns des autres : il travaille en artiste pas un archéologue. Ces tableaux loin d'être simplement des sujets plaisants et agréables, sont en fait une méditation sur la fin des civilisations – réflexion prémonitoire sur l'agonie d'un ancien monde que va balayer la Révolution française ? On y voit des constructions monumentales aux proportions surdimensionnées dominant tout un peuple affairé, squattant les palais des César. Quelques thèmes reviennent régulièrement : lavandières, ouvriers occupés à des fouilles, dessinateurs en plein travail, visiteurs étrangers faisant le Grand Tour, étudiants mesurant statues et colonnes. La vie, une vie spontanée, allègre, charmante, surgit au sein de paysages au désordre savant... Plus tard, l'administration royale lui commanda une série de toiles monumentales pour orner la salle à manger du Roi à Fontainebleau : monuments du sud de la France, il a peint Nîmes avec la Maison carrée, les arènes, la Tour Magne, le Temple de Diane, mais aussi Orange, le Pont du Gard, les antiques de Saint-Rémy de Provence. Un choix typique d'une époque où le sentiment national s'affirme : on représente en peinture les grands moments de l'histoire nationale, on sculpte les statues des grands hommes.

 

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Hubert Robert est un homme de son temps, un homme des Lumières qui participa aux grands débats de l'époque : Retour à la nature ? Il dessine et crée des jardins, pour le Roi et l'aristocratie, des créations plus souples, plus proches de la réalité que les superbes jardins à la française aux lignes volontaires. On découvrira les dessins pour la Laiterie de Rambouillet, cadeau de Louis XVI à son épouse pour y déguster des laitages ; le mobilier « à la romaine » pour ce bâtiment raffiné et savant est une véritable découverte pour qui n'a pas visité le lieu, le peintre a donné les dessins des sièges réalisés par Jacob. On y verra aussi les coupes en porcelaines en forme de sein qui, a-t-on dit, furent moulées sur la poitrine de la Reine (c'est peu probable et purement fantasmatique).

 

Il imagine, comme ses confrères architectes, de vastes perspectives urbaines idéales et grandioses, parfaitement inhabitables ; un carnet de dessins, récemment acheté par le Louvre, décline à satiété le thème qui nous touche infiniment moins que les croquis intimes et spontanés qu'il dessina au revers des pages trente ans plus tard. Mais ici nul souci de donner un cadre à une société idéale, comme les Le Doux et les Boullée. Simplement une recherche de beauté. Dans un autre registre, la nature sauvage et grandiose qui jusque là faisait peur - on parlait de « solitudes affreuses » -, devient « sublime » : il sait transmettre la beauté des montagnes, des cascades, des forêts impénétrables. Ah le délicieux effroi devant une ville antique en flamme, la douloureuse méditation sur les ruines calcinées de l'Opéra, la leçon d'histoire que donne la destruction de la Bastille ! Il pousse ce goût jusqu'à représenter la Grande Galerie du Louvre en ruine, peuplée de débris architecturaux et de statues antiques. Car Hubert Robert qui a participé à la création du musée avant et après le Révolution donnera de ce lieu des images contrastées entre ce qui est, ce qui sera et ce qui finira.

 

Robert4Il n'a pas tout à fait ignoré la scène de genre même s'il l'a peu pratiquée. Il faut chercher en marge de ces grandes compositions les scènes vivement enlevées où tout un peuple travaille ou se distrait. Certains sujets sont récurrents, comme les lavandières ou les dessinateurs mais d'autres plus poussés sont de véritables tableaux dans la tableau : on peut même se demander si ces sujets secondaires ne deviennent pas le sujets principaux comme, par exemple, dans les grandes toiles représentant l'abattage des arbres du parc de Versailles opposant le labeur des bûcherons aux personnages de la cour qui viennent ici par curiosité ou pour s'amuser.

 

 

Hubert Robert eut quelques ennuis sous la Révolution, c'était fatal, il était trop bien en cour à Versailles. Il connut pendant plusieurs mois la prison et échappa de peu à la Guillotine. Alors pour se distraire de l'angoisse, il peint sur tous les supports qu'il trouve, assiettes, petits panneaux, le quotidien des prisonniers, des paysages idylliques. Vivement troussées, pleines de charme, ces scènes font regretter qu'il n'ait pas poussé plus loin cette veine et ne se soit pas plus intéressé à la vie de tous les jours.

 

 

En conclusion, citons deux petites toiles étonnantes, peintes à Rome, montrant des Polichinelles peintres et musiciens, qui ne sont pas sans évoquer ceux que Giandomenico Tiepolo peindra trente ans plus tard dans sa villa. Pied-de-nez à un monde qui court à sa perte ? À la vanité des arts puisque tout passe ?

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

- Jeune Homme lisant, appuyé sur un chapiteau corinthien, vers 1762-65, sanguine, Quimper musée des Beaux-Arts © Quimper, musée des Beaux-Arts

- L'ancien Portique de l'empereur Marc-Aurèle. 1764, huile sur toile, Paris, musée du Louvre © musée du Louvre / Todd-White Art Photography

- Vue de la Grande Galerie du Louvre en ruine, huile sur toile, musée du Louvre © Musée du Louvre RMN-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi

- Le Ravitaillement des Prisonniers à Saint-Lazare. 1794, huile sur toile, Paris, musée Carnavalet © Musée Carnavalet / Roger Viollet 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hubert Robert (1733-1808)

Un peintre visionnaire

9 mars – 30 mai 2016 (l'exposition sera présentée à Washington du 26 juin au 2 octobre 2016)

Hall Napoléon, musée du Louvre

- Internet : www.louvre.fr

- Horaires et tarifs : tous les jourts sauf mardi de 9h à 18h, nocturenes mercredi et vendredi jusqu'à 22h. Tarifs : tarif unique avec l'entré du musée, 15€, gratuité pour les moins de 18 ans, les moins de 26ans pour les résidents de l'U.E., les enseignants, les titulaires du pass éducation, les demandeurs d'emploi, les adhérents aux Amis du musée du Louvre, Amis du Louvre fammilles, les Amis du Louvre jeunes et de la carte professionnelle du Louvre

- Publications : Catalogue, co-édition musée du Louvre – éditions Somogy, 540p., 300 illustrations, 49€. Album de l'exposition, 48p., 51 illustrations, 8€.

- Autour de l'exposition : conférences et colloques, lectures, Cycle cinématographique, concerts, opéras filmés... Consulter le site du musée, informations au 01 40 20 55 55.