Expositions

 

 

 

 

 

L'Art de manger

 

Rites et traditions

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

vignikinManger, n'est-ce pas une nécessité, un plaisir, et la réplétion un état de béatitude commune à l'humanité entière? Le musée Dapper propose, en quelques cent quarante pièces et ce jusqu'au mois de juin, expositions à long terme dont le sujet concerne tout un chacun : l'Art de manger, rites et traditions. Les organisateurs ont limité leur enquête à l'Afrique, l'Océanie et l'Insulinde, ce que l'on pourrait peut-être regretter car il n'y a pas une si grande différence dans le fond entre nos pratiques occidentales et celles des peuples dits « premiers ». Une exposition à voir et à déguster.

Comme toujours, le visiteur entre dans la première salle où un artiste africain contemporain propose quelques-unes de ses créations inspirées par le thème traité plus loin. Des œuvres que le Béninois Julien Vignikin - il vit et travaille en France – propose, on retiendra surtout deux ensembles d'une grande force : Le dîner de fantômes (1912), une table et un siège couverts de clous enfoncés dans le bois, décrit avec humour et férocité le banquet de la modernité auquel les Africains sont trompeusement conviés. Dans Indigestion I et II (2006) il s'inspire des Tirs de Niki de Saint-Phalle pour dire son indignation devant la gabegie de l'économie mondiale qui gave l'hémisphère nord et affame le sud. Constructions simples et efficaces d'un artiste dont il faudra suivre la trajectoire.

 

plat

 

Un étrange « autel » Boli aux formes massives et rebondies, ressemblant plus à une sculpture contemporaine qu'à un objet de culte opère une sorte de transition entre le monde de Julien Vignikin et celui de ses pères. Cette masse rubiconde évoquant vaguement la silhouette d'un buffle est en fait un amalgame de poudres, d'objets, de sang et de matières sacrificielles. Il était fabriqué au sein de l'ethnie Bamana du Mali, et l'on pense qu'il était en relation directe avec le domaine de la nourriture. Sa masse sombre et mystérieuse dans la pénombre de la niche où il est exposé possède une grande force de par son esthétique brutaliste. C'est une des pièces les plus intéressantes de la manifestation.

 

cuillerL'homme ne vit pas seulement de pain, et la nourriture ne saurait se borner à la simple nécessité de se sustenter. Les étapes qui scandent le vie humaine ont toujours été marquées, quel que soit le lieu, l'époque, ou l'événement par un repas pris en commun, voire un banquet. Peu importe que ces agapes réunissent quelques intimes, la famille, les amis, le village, la cité, ils sont un des éléments incontournables de la cérémonie et de ses rituels. Dans les contrées illustrées ici, la « vaisselle » utilisée, par sa forme, son décor se double d'une importante charge symbolique. Le splendide plat venant des îles de l'Amirauté dans l'archipel Bismarck, grand monoxyle aux formes épurées simplement orné de légers reliefs et de deux superbes anses, est une des pièces les plus spectaculaire. Le plat contenait des morceaux de porc cuits que l'on servait à l'occasion de festins tels que mariages ou obsèques etc. - Il arrivait que toute la communauté soit conviée. Sa forme parfaite aux lignes épurées était aussi utilitaire que prestigieuse. Elle proclamait la richesse et l'importance sociale de son propriétaire ; la décoration des anses, une merveilleuse dentelle de bois, avait certainement une forte connotation religieuse ou héraldique ; le sens profond en échappera au visiteur mais cela ne diminuera pas son admiration.

 

Outre les outils, récipients qui servaient à la culture, à la chasse, à la conservation ou la cuisson de la nourriture et portant la marque de leur propriétaire, on notera la variété et le raffinement des deux éléments du couvert traditionnel : le couteau, la cuiller. Les participants au festin mangeaient soit avec les doigts, soit piochaient dans le plat commun à l'aide d'un petit outil fortement personnalisé: le cuiller. Rappelons que la fourchette est quasiment absente des sociétés traditionnelles, c'est d'ailleurs une invention européenne assez récente puisqu'elle ne date que de la fin du XVIe siècle. L'incroyable collection de cuillers en bois, en métal ou en ivoire qui est exposée ici étonnera par la richesse de l'invention décorative. Les deux fines cuillers Benbe du Congo avec leurs cuillerons directement copié sur l'argenterie européenne et leurs manches en forme de statuettes masculines sont deux beaux objets métissés ; on pourra leur préférer les deux autres en ivoire, Fang du Gabon, que ne désavouerait pas un designer d'aujourd'hui par leurs lignes épurées ; enfin celle de l'ethnie Guro décorée simplement de deux cornes de gazelles, est d'une facture parfaite. C'étaient des objets personnels qui témoignaient du statut social de leur propriétaire. Trois cuillers de l'île de Timor, en corne décorées de fines arabesques et de figures, relèvent d'un souci identique, bien que leur décor relève d'une esthétique plus luxuriante, plus baroque. Plus frappantes encore sont les énormes louches à long manche utilisées par les Dan de Côte d'Ivoire lors des festins – elles font plus de soixante centimètres de longueur, leur cuilleron est à l'avenant qui mesure une portion entière. Celle que conserve le musée Dapper et qui appartient à une série bien connue, est un objet carrément surréaliste : le cuilleron crânement campé sur deux jambes est une véritable statuette qui ne déparerait pas un musée Magritte.

 

bamana

 

Nourrir les vivants mais aussi nourrir les dieux et les Morts. L'art de l'offrande aux dieux, le banquet funèbre sont des activités vieilles comme le monde, tout comme l'art du sacrifice. Tout un matériel sacré : masques, parures, autels, coupes pour boissons et libations, statues à réceptacles est exposé ici. Les organisateurs n'ont pas fait l'impasse sur ce qui pose problème dans l'imaginaire occidental : le cannibalisme ou plutôt, pour employer un terme plus noble l'anthropophagie. Un long article du catalogue en décrit l'essence rituelle, son apparition historique comme sa disparition et rappèle ses liens étroit avec la guerre. On oublie aussi trop souvent, que qui mange son prochain, pourrait bien être mangé à son tour ; qu'il ne s'agit nullement de rapports de dominants à dominés au sein d'une même société, mais de conséquences des rapports agressifs entre ethnies. La fourchette à quatre dents des îles Fidji aux lignes si épurées était destinée à la préhension cette chair d'exception que l'on ne saurait saisir avec les doigts. Les crânes, sur-modelés ou non, témoins d'expéditions des chasseurs de têtes exposés non loin de la calebasse cérémonielle Bamum ornée de mâchoires humaines ont une présence terrible.

 

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Julien Vignikin, Le dîner des fantômes, 2012, bois métal, porcelaine, verre et clous, coll. Particulière © Archives musée Dapper, photo Olivier Gallaud

- Plat, Mélanésie, archipel Bismarck/îles de l'Amirauté, bois et pigments, L 114cm, coll. Particulière, © Photo Hugues Dubois, Paris, Bruxelles

- Cuiller, Dan

- Bamana, Mali, bois et matières sacrificielles, h. 43 cm, collection particulière © Photo Thierry Ollivier

 

 

 

 

 

 

 

 

L'art de manger

rites et traditions

Jusqu'au 12 juillet 2015

Musée Dapper

35bis, rue Paul Valéry, 75116 Paris

Tél. : 01 45 00 91 75

- E-mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

- Internet : www.dapper.fr

- Horaires et tarifs : Tous les jours sauf le mardi et le jeudi de 11h à 19h. Tarif, 6€, tarif réduite, 4€ (seniors, familles nombreuses, enseignants, demandeurs d'emploi), gratuité pour les Amis du musée Dapper, les moins de 26 ans, les étudiants et le dernier mercredi du mois.

- Publication : « L'art de manger, rites et traditions en Afrique, Insulinde et Océanie », catalogue, 2014, éditions Dapper, 448p., nombreuses illustrations en couleurs et en noir et blanc, 39€ édition brochée, 50€ édition reliée sous jaquette.

- Conférence : « Manger l'autre », samedi 14 mars à 14h40, rencontre avec Georges Guille-Escuret et Gilles Bounoure, modératrice Isabelle Lepic.