Expositions

 

 

 

 

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Le voyage de Matisse à Tahiti

 

 

 

 

A la fin de années 20, Matisse est dans une impasse esthétique. Il pense être au bout du chemin qu'il avait emprunté quelques vingt ans auparavant avec des toiles aussi audacieuses que Grand Nu bleu ou la Bohémienne du musée de l'Annonciade. Il se réfugie dans une peinture intimiste qui lui vaut de la part de quelques critiques le qualificatif, un rien condescendant, de « peintre bourgeois ». Bien que les mots le révulsent, il sent bien qu'il tourne en rond. De surcroît il se sent quelque peu étranger aux révolutions esthétiques qui agitent la scène artistique parisienne dominée alors par la révolution surréaliste et l'émergence d'une nouvelle forme : l'abstraction opposée à la figuration. Il ne se reconnaît pas dans cette opposition qui pour lui n'a pas de sens.

 

Partir, peut-être... La tentation de Tahiti... Le souvenir de Gauguin, aussi dont il vient d'acheter une toile...

 

 

Tahiti et la luminosité unique de ces îles ; Tahiti le mythique paradis perdu dans l'océan tropical. Un de ses amis, le jeune poète et romancier Marc Chadourne qui connaît bien la région où il fut chef de cabinet du gouverneur puis administrateur colonial des Îles sous le vent, lui donne les recommandations nécessaires pour faciliter les choses auprès des autorités et des quelques personnalités cultivées vivant à Papetee. On le débarrassera de tout souci en lui fournissant une maison, l'usage d'une voiture.

 

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Matisse part avec peu de matériel, juste de quoi dessiner et un appareil photographique : il n'est pas venu pour travailler sur le motif ou ramener quelques tableaux plus ou moins pittoresques, mais bien pour s'imprégner d'une ambiance, relancer son inspiration. Il est fasciné par la luxuriance de la végétation, par l'intensité des couleurs, par la limpidité de l'eau, toute une vie sous-marine évoluant dans le lagon. Une ambiance d'une tranquille sensualité qui le séduit et le décourage à la fois, et parfois encore l'inquiète, voir le dépasse : « Le point délicat est le travail. Je ne suis pas sûr de faire quelque chose – il y a trop à voir. » Apparemment, ce voyage a été peu productif, un tableau – pas des meilleurs – et quelques dessins. En fait, il faut attendre la production de ses dernières années pour retrouver le fil subtil de la leçon tahitienne. C'est le thème d'une petite mais passionnante exposition que propose le musée de la Nacre et de le Tabletterie de Méru.

 

dsc_0516Dans la première salle sont accrochés les clichés exécutés par le peintre, autant pour se rappeler les moments les plus intenses du séjour, que pour accumuler les documents en vue d'une production future. Autant le dire tout de suite l'intérêt documentaire l'emporte sur le plaisir esthétique. On cherchera en vain ici la trace de ce « Feuillage beau, vert riche profond et lumineux » qui l'affolait. Matisse, à la différence de tant d'artistes, comme son ami Pierre Bonnard, est un photographe consciencieux mais ce moyen d'expression n'est pas le vecteur de son émotion. « Impossible de décrire tout ce que j'ai ressenti ici depuis mon arrivée. »

 

La seconde salle est dominée par la lumineuse tapisserie, Polynésie, la mer, 1948, tissée par la manufacture de Beauvais, acmé d'une lente maturation, longue de plus de quinze ans, qui le conduit jusqu'aux papiers découpés.

 

L'année suivante à Paris, Skira lui propose d'illustrer des poèmes de Stéphane Mallarmé dont il compte faire une édition de luxe. L'ouvrage paraît en 1932. Le peintre, dont s'est une des premières incursions dans le domaine de l'illustration, fournit des dessins où la primauté est donné à la ligne. Une ligne sinueuse, vire-voltante, capricieuse qui représente tout en se libérant des conventions figuratives ; une ligne qui se déploie selon sa propre logique s'évadant de la tyrannie du cadre. La Chevelure, visage de femme représenté à l'envers dont les mèches se gonflent, s'enroulent, envahissent la feuille de papier, tels des serpents ou plutôt telle une végétation lourde de sève sur le point d'exploser ou encore Nymphe et faune couple massif à la lourde sensualité. On retrouve la même ivresse, le même synthétisme dans les illustrations du Florilège des Amours de Ronsard, publié seize années plus tard : la face féminine torchée en quelques traits qui relèvent plus du graffiti que du dessin est saisissante et éclaire cet aveu du maître : « J'ai atteint une forme décantée jusqu'à l'essentiel. »

 

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Liberté de la ligne et, bientôt, l'aboutissement : la liberté de la couleur. Ce seront les papiers découpés. Les feuilles recouvertes de peinture sont découpées aux ciseaux et assemblées en une composition figurative qui bien entendu n'a rien à voir avec le réalisme. Plus de modelé, de dégradé, la forme, la couleur seules. Sont exposées ici les ensembles réalisés pour l'éditeur Tériade, plusieurs couvertures pour la revue Verve mais surtout le fameux Jazz qui se déploie sur toute une paroi. Dans les dernières années de sa vie, Matisse aimait épingler sur les murs des pièces qu'il habitait des formes découpées évoquant son univers rêvé : végétaux, oiseaux, poissons, algues, madrépores... il les assemblaient en compositions sur divers matériaux. L'une d'entre elles, la tapisserie dont il est parlé plus haut, dont le carton était un tableau mural fait de papiers découpés, clôture en beauté cette charmante exposition, son tire, Polynésie, la Mer (1948), est un adieu à une région qui l'enchanta.

 

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Le musée de la nacre et de la tabletterie de Méru, occupe une ancienne usine consacrée à la fabrication de boutons en nacre, cette nacre que l'on faisait venir de Tahiti entre autres. Le lien est tout trouvé... Le visiteur aura intérêt à visiter ce charmant écomusée consacrée à une industrie familiale, aujourd'hui morte. Le bâtiment (1857), superbe exemple d'archéologie industrielle sans autre ornement que le jeu de la brique, n'est pas sans évoquer quelque bâtisse gallo-romaine. il n'en est que plus élégant dans son austérité. On pourra visiter les différents ateliers, voir fonctionner les machines, découvrir ainsi un savoir-faire disparu. Méru et sa région au XVIIe siècle était un des lieux préféré pour les parisiennes qui cherchaient un nourrice. Elles confiaient leurs enfants aux paysannes à qui bien entendu défendu de faire autre chose de crainte que leut lait ne tarisse. Alors, pour s'occuper et gagner quelques sous, ces femmes fabriquaient en ivoire ou en os de petits instruments d'hygiène : cure-dents, cure-oreilles, peignes etc. Une petite industrie est née ainsi qui s'est développée aux XVIIIe et XIXe siècles. À Méru on fabriquait des boutons, dans les villages voisins, s'étaient de pièces de jeu (dominos, dés...), des éventails, des boîtes etc.

 

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Méru, Musée de la Nacre et de la Tabletterie, la façade, cliché de l'auteu

- La Chevelure, eau-forte pour Poésies de Stéphane Mallarmé, 1932, coll. Part., © Succession Henri Matisse.

- Polynésie, la Mer, Tapisserie en Laine, coll. De la ville de Beauvais, 1948, © Succession Henri Matisse.

- Exposition Matisse, vue des salles, cliché de l'auteur

- Méru, Musée de la Nacre et de la Tabletterie, vue des ateliers cliché de l'auteur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le voyage de Matisse à Tahiti

25 septembre – 27 décembre 2014

Musée de la Nacre et de la Tabletterie

51, rue Roger Salengro – 60110 Méru

- Tél. : 03 44 22 61 74

- Fax : 03 44 22 07 52

- Internet : www.musee-nacre.com

- Horaires et Tarifs : Ouvert tous les jours sauf mardi de 14h à 18h30 ; tarif exposition seule 3,50€, musée et exposition 7€ ; moins de 5 ans gratuité, moins de 16 ans et étudiants 3,50€

- Publications : catalogue, Geoffrey Martinache dir. : le voyage de Matisse à Tahiti.- 2014, éditions Snoek, 176 p., 25€

- Animations : conférences, L'illustration pour Henri Matisse : origine, portée, importance, 25 octobre à 15h ; Le textile dans l'œuvre de Matisse, 22 novembre à 15h ; Le thème de la danse dans l'œuvre de Henri Matisse, 20 décembre à 15h.