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Monumenta

 

« L'incroyable Cité » des Kabakov au Grand Palais à Paris

 

 

 

 

dsc_0953 - copieOn retrouve un peu la magie de l'enfance dans l'installation des Kabakov au Grand Palais à Paris, ce qui n'est un de ses moindres charmes ; cela n'étonne guère non plus quand on se rappèle qu'Ilya Kabakov, né en 1933 à Dnipropetrovsk, a fait des études à l'école des beaux-Arts de Moscou, qu'il a obtenu son diplôme d'illustrateur en 1957 et qu'il a commencé sa carrière en illustrant des livres pour enfants. Emilia, son épouse et collaboratrice, née elle aussi à Dnipropetrovsk, a eu un parcours plus surprenant : après des études musicales, elle s'installe à Moscou et se spécialise dans la langue et la culture espagnoles, avant de rencontrer celui qui deviendra son époux et avec lequel elle travaille depuis. Ils vivent tous deux aujourd'hui aux états Unis.

 

Les Kabakov, dont la France conserve quelques installations, travaillent sur la psyché humaine ; le souvenir, la nostalgie, le rêve, l'imaginaire, irriguent leurs créations et leur donne un cachet rare dans l'art actuel qui est plus cérébral que sensible ; cela devrait toucher profondément le grand public.

 

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L'incroyable cité est une sorte de village méditerranéen, éclatant de blancheur, replié sur lui-même et semblant se protéger du trop grand espace offert par le lieu. Il n'occupe pas toute l'étendue de la vaste nef du Grand Palais, ce qui renforce l'impression d'un bourg à l'écart, isolé. Le visiteur n'est pas obligé de rentrer dans la phraséologie des artistes encore moins de suivre le parcours recommandé, il est cependant invité à faire un détour, comme une sorte de déambulation de pèlerinage, par le nord : là, sous une sorte de coupole métallique renversée, énorme pavillon d'un phonographe démesuré, le son réverbéré de la vie quotidienne, de musiques se marie aux spots lumineux jouant sur un portail blanc un peu maigrichon qui n'est pas sans évoquer quelque ruine exotique. Ce passage obligé fait en quelque sorte office de sas pour s'abstraire des bruits et des agitations de la ville. Détour nécessaire avant d'entreprendre le parcours sinueux, au travers salles et ruelles aux murs courbes, sous les arches, de bâtiment en bâtiment, qui nous conduira aux deux « chapelles » finales, l'une dédiée à l'intime, l'autre à l'officiel des artistes.

 

dsc_0964 - copieLe « Musée vide » se présente en premier ; c'est une sorte de salle rectangulaire décorée, comme l'étaient les musées du XIXe siècles ou encore les palais moscovites et Saint Pétersbourgeois, de corniches, de moulures, aux murs tendus de rouge sombre ; ici l'on peut s'asseoir, se reposer. Rien, ni tableau, ni sculpture, sinon des jeux de lumières sur les parois et la Passacaille de Jean-Sébastien Bach diffusée en continu. Halte? Espace de réflexion? De repos? C'est selon. Antichambre, en tous les cas, du monde enchanté que propose les époux Kabakov. Monde à la fois sophistiqué et naïf où la symbolique côtoie le rêve, l'imaginaire la réflexion.

 

Ouverture sur l'univers, sur l'irrationnel, sur la sensibilité... Voire sur l'impulsif... Les deux premières maisons consacrées au thème de la porte, du Portail et de la baie, de la fenêtre invitent à sortir du quotidien ou plutôt à entrer dans un monde différent, celui de l'imagination, de l'insolite. L'organisation est semblable dans les deux maisons : au centre une installation de l'objet de taille normale et autour des œuvres qui déclinent le thème. Pour le portail une série de triptyques peints ou dessinés représentent des sortes d'arcs de triomphe que l'on devine dans l'obscurité ou qui se fondent dans la brume...

 

Plus intrigant est l'espace consacrée à la ville imaginaire de Manas. On entre ici dans l'univers futuriste de certaines bandes dessinées de science fiction. Les artistes donnent ici une interprétation très personnelle et actualisée d'une cité plus ou moins mythique qui exista autrefois dans le Tibet. La ville qui s'étale autour d'un lac la mettant en relation avec le monde chthonien est dominée par huit pics montagneux surmontés d'installations chargées de capter l'énergie de l'espace. Ville entre deux mondes, celui d'en haut, celui d'en bas, ville construite dans un espace minéral, géométrique, où l'homme, écrasé par la grandeur de son environnement se dépersonnalise, la maquette plaira aux adultes comme aux enfants. Cependant son charme, son élégance ne sauraient faire oublier que l'on se trouve ici dans un univers collectiviste (souvenir de la Russie socialiste?) peu propice à l'épanouissement personnel.

 

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Suit un espace consacré à la grave question : « Comment rencontrer un ange? ». Les Kabakov humanisent avec humour le monument à la Révolution de Tatlin : une série d'échafaudages et d'échelles à l'équilibre incertain permettent à un petit personnage de tendre les bras à un ange surgissant de la nuée. Les plasticiens revisitent ainsi une œuvre emblématique de la modernité en Russie avant le glaciation stalinienne, et la marie avec ce personnage imaginaire inventé par la piété sulpicienne : l'ange gardien. Pourquoi cette quête? On n'en saura rien en regardant les dessins, les maquettes, les sculptures naïves qui ressemblent à des jouets. Ici les anges survolent un groupe d'humain, d'autres tendent la main à un petit personnage si ordinaire, loin au-dessus dans les nuages, du Grand palais... À chacun de leur donner le sens qui lui convient. D'un côté le monde utopique de la ville imaginaire, monde quelque peu concentrationnaire, de l'autre celui d'une aspiration à une autre dimension.

dsc_0938 - copieLe parcours se termine par deux « chapelles » en fait deux maisons. La première, la Chapelle blanche, est entièrement consacrée au souvenir qui s'efface inexorablement avec le temps. Des fragments de scènes peintes, ainsi que des bribes de mémoire, sont insérés dans les parois : l'isba de l'enfance, le camp du goulag, une campagne sous la neige, un visage, une usine obsolète, une carrière, quelques personnages, une place etc. Fragments perdus flottant dans le grand espace de l'oubli.

 

La Chapelle sombre, au contraire contient d'immenses compositions d'un sombre réalisme,ils évoquent la peinture officielle de la belle époque du réalisme socialiste. Sur ces grandes toiles les motifs se bousculent, voisinent sans aucune logique, voire, dans la majorité des cas, sont disposés tête en bas ou basculés de quatre-vingts dix degrés. Images d'un monde bouleversé, chamboulé, culbuté, qui a perdu les repères qui le maintenaient en équilibre. Celui de deux artistes à cheval sur deux époques, sur deux civilisations, sur deux continents.

 

Ainsi va l'œuvre de ces plasticiens qui oscille entre plusieurs pôles : d'un côté une recherche sophistiquée voire ésotérique, de l'autre la vision fraîche, quasi enfantine, d'un monde plein de poésie.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Clichés de l'auteur :

Une "ruelle" de l'incroyable cité

Les Portails

Comment rencontrer un ange, détail d'un des tableaux

La Chapelle sombre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Monumenta 2014

L'étrange cité d'Ilya et Emilia Kabakov

10 mai au 22 juin 2014

Nef du Grand Palais, Paris

- Internet : www.grandpalais.fr

- Horaires et tarifs : ouverture tous les jours sauf mardi. Jeudi, vendredi, et samedi de 10h à minuit ; dimanche, lundi et mercredi de 10h à 19h ; Tarifs, 6€ et 3€ (16 à 25 ans), gratuit pour les moins de 16 ans.

- Animation : visites guidées et ateliers ; en outre, 33 animateurs accueillent les visiteurs et leur donnent toutes les informations dont ils pourraient avoir besoin, musiciens, comédiens artistes il offrent une approche non conventionnelle de la manifestation dont il font bénéficier le visiteur (service gratuit) ; animation culturelle, films, concerts, lectures consulter le programme sur le site.

- Publications : Jean-Hubert Martin et Bertrand Domergue : Ilya et Emilia Kabakov, monographie. - juin 2014, Paris, Rmn/Flammarion, 272p., 45€ ; Album de l'exposition, 88p. 60 illustrations, Rmn, 12,90€ ; Monumenta Kabakov, L'étrange cité, le guide : l'application mobile, gratuit.