Expositions

 

 

 

Esquisses peintes de l'époque romantique,

Delacroix, Cogniet, Scheffer...

 

 

 

 

« Les esquisses ont communément un feu que le tableau n'a pas... c'est l'âme du peintre qui se répand librement sur la toile. » Comment ne pas avoir en tête les mots de Diderot en voyant l'ébauche de la Chasse au lion de Delacroix (1854) et en la comparant (en pensée) au superbe tableau achevé - hélas mutilé par un incendie – et conservé aujourd'hui par la musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Les touches de couleurs pures, ivres de liberté, dansent, virevoltent en un maelström quasi abstrait - bien que les principales lignes de la composition finale avec ses riches masses colorées, épaisses, sourdes soient décelables. Cette vibrionnante composition rend admirablement la furie sanguinaire d'une scène de chasse aux fauves. On retrouve ces purs moments de peinture avec la Médée préfiguration de l'important tableau du musée de Lille. Ces deux toiles sont parmi les meilleures de l'exposition qu'a organisée le musée de la vie Romantique à Paris et consacrée à l'esquisse peinte romantique. Outre les œuvres de Delacroix, qui se taille la part du lion (si l'on peut dire), sont présents Géricault, Ary Scheffer, Léon Cogniet (sans doute la découverte de l'exposition), Théodore Chasseriau, Jean Gigoux, Louis Hersent, Joseph-Désiré Court, d'autres encore gravitant autour de ce groupe fondateur.

 

eug_ne delacroix 1798 - 1863 la chasse aux lions 1854 paris mus_e d_orsay   - copie

 

 

 

Esquisse? Le mot possède dans la langue française de nombreux synonymes signe de la richesse de son champ sémantique : ébauche, étude, premier jet, essai, pochade, canevas, maquette, modelo, ricordo... autant de sens, même les emprunts à l'italien, pour dire les différentes acceptions du terme. Prenons, par exemple, l'étude de Géricault pour le Radeau de la Méduse, tableau sur lequel, on le sait, le peintre a longuement travaillé, accumulant les études d'ensemble et de détails. Il utilisa même des pièces anatomiques, empruntées à l'hôpital voisin qui empestaient l'air, pour mieux rendre le calvaire des naufragés. C'est l'un des derniers travaux avant l'exécution finale ; il a enfin trouvé la disposition des figures selon une ligne ascendante qui conduit au Noir brandissant le linge pour signaler le radeau au navire dans le lointain. On remarquera surtout, le coloris, certes sombre, mais bien éloigné des teintes terreuses du tableau achevé. Dans un autre genre on notera la triple étude pour le portait de la vicomtesse de Noailles où Léon Cogniet fait des essais sur la tonalité de l'arrière-plan. L'artiste recherche l'aura la mieux appropriée à la personnalité discrète d'une femme cultivée.

 

ary scheffer 1795 - 1858 les femmes souliotes 1827 pays-bas _ dordrecht dordrechts museumAry Scheffer recevait ici le société intellectuelle de l'époque, il y formait aussi ses élèves. On ne s'en étonnera pas, qu'il soit particulièrement bien représenté. Ses compositions, plus sages que celles de Delacroix ou de Géricault, faisaient l'objet d'une longue maturation à partir de dessins et d'esquisses qui étaient pour lui un instrument de travail incontournable.Parmi la vingtaine d'oeuvres on remarquera la première pensée pour Les Ombres de Paolo et Francesca da Rimini apparaissant à Dante et à Virgile, un de ses chefs-d'œuvres tiré de la Divine Comédie de Dante. L'esquisse, moelleuse et onctueuse, diffère peu de la composition finale plus sèche, mais ce peu change tout : les amants toujours enlacés, en apesanteur, s'éloignent ; l'artiste a finalement redressé la figure de Paolo qui en un spasme dramatique couvre son visage. Enfin il a disposé plus en recul les deux poètes dont la présence méditative souligne l'affreuse destinée des amants. La composition devient plus dramatique même si elle perd en sentimentalité. À côté, le modelo des Femmes Souliotes, immense toile exposée au Louvre mais dénaturée par la résurgence des goudrons, retrouve ses couleurs d'origine. Le tableau retrace l'un des épisodes les plus cruels qui ont précédé la guerre de libération de la Grèce : Leurs défenseurs reculant, les femmes de Souli préférèrèrent se jeter avec leurs enfants dans un précipice plutôt que de finir sur les marchés d'esclaves du Caire ou d'Istanbul.

 

l_on cogniet 1794 - 1880 rebecca enlev_e par bois-guilbert vers 1828L'esquisse peinte acquiert à cette époque un statut officiel à l'école des Beaux-Arts de Paris. En 1816, sur une proposition du peintre Gérard, est créé un concours de Composition historique. D'autres suivront, dont celui de Paysage historique. Ils scandent le cursus que devait suivre le jeune artiste et débouchait sur le Prix de Rome. Le lauréat se voyait offrir un séjour de cinq ans à la villa Médicis. Les différences dans la manière dont les jeunes artistes traitent un sujet identique sont éclairantes. Par exemple, en 1830, L'Allemand Schopin et le Français Signol devant traiter Hercule enchaînant Cerbère (sujet mythologique assez obscur aujourd'hui) font des choix de mises en scène opposés : Le premier, met l'accent sur les trois protagonistes – Hercule, Hadès, dieu des Enfers, son épouse Perséphone – en les cadrant de près tandis que le second, en une mise en scène théâtrale, place les person-nages dans le vaste espace rougeoyant des enfers où s'agitent tout un monde.

 

Le musée de la Vie Romantique, est un des lieux les plus charmants de Paris, ici flottent les ombres de Georges Sand, du maître des lieux, d'Ernest Renan et des Psichari. Les deux ateliers que fréquentaient artistes, écrivains et intellectuels venus en voisins – Ils habitaient pour la plupart le quartier appelé pour cette raison La Nouvelle Athènes, viennent d'être restaurés : la grande bibliothèque aux reliures fauves et or, la commode, les lampes, les petites sculptures, sur un fond rouge comme on l'aimait à l'époque forment un cadre idéal pour ces esquisses. Le visiteur, dès le seuil, a le sentiment de venir ici en invité, plaisir rarement offert par les institutions culturelles.

 

 

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Eugène Delacroix : La Chasse aux lions, 1854, Paris Musée d'Orsay © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay / Gérard Blot

Ary Scheffer : Les femmes souliotes 1827 © Dordrecht, Dordrecht Museum

Léon Cogniet : Rebecca enlevée par Bois-Guilbert, vers 1828 © Orléans, musée des Beaux-Arts / François Lauginie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Esquisses peintes de l'époque romantique

Delacroix, Cognet, Scheffer...

17 septembre 2013 – 2 février 2014

Musée de la vie romantique

Hôtel Scheffer)Renan

16, rue Chaptal 75009 Paris

- Tél. : 01.55.31.95.67

- Fax : 01.48.74.28.42

- Internet : www.vie-romantique.paris.fr

- Horaires et tarifs : tous lmes jours sauf Les lundis et jours fériés de 10h à 18h. Plein tarif 7€, tarif réduit 5€ - Enseignants, plus de 60 ans, chômeurs, familles nombreuses -, demi-tarif 3,5€ - 14-26 ans, RSA -, gratuité – moins de 14 ans, personnes en situation de handicap.

- Publication : Catalogue, Paris, 2013, Paris/musées, 191 pages, nombreuses illustrations, 30€

- Programme culturel : visites guidées ; activités pour les enfants et les élèves des écoles consulter le site du musée.