Expositions

 

 

 

 

"Je suis le Surréalisme" Salvador Dali

 

 

 

Le public n'hésite pas à faire la queue pendant des heures devant le centre Pompidou pour avoir le privilège de visiter l'exposition consacrée à Salvador Dali. Cet artiste qui fut si prometteur et qui a si mal tourné connaît un succès posthume égal à celui dont il jouit de son vivant auprès d'une jet society qu'il distrayait de son ennui. On assiste avec cette exposition à une tentative de réévaluation sinon de justification de la trajectoire d’un artiste dont le génie bouillonnant aurait frayé la voie à ce que l'art d'aujourd'hui compte de plus avancé, Performeurs et autres Arteurs entre autres… Il est bon de rappeler cependant, avant de parler de son œuvre, que le choix qu’il fit de soutenir le Franquisme et de vivre en son sein fut loin d’être innocent comme on tente de nous le faire croire : pendant que le maître gesticulait à Paris, à New York ou à Londres, en Espagne, où il passait l'été, on fusillait, on garrotait…

 

salvador dali aurore midi apres midi et crepuscule 1979 fundacio gala salvador dali adagp paris 2012 - copie

 

 

Salvador Dali est né le 11 mai 1904 à Figueres dans une famille bourgeoise (son père était notaire) de l'Ampurdan, la région du nord de la Catalogne proche de la France. Ses parents, qui avaient perdu, quelques années auparavant, un garçon mort prématurément, lui donnèrent le prénom de cet enfant. Dali racontait que lorsqu'il eut cinq ans on l'amena sur la tombe lui affirmant qu'il était la réincarnation de son frère. Un mort vivant en quelque sorte. Si on insiste ici sur ce fait, c'est que l'on explique souvent le parcours coruscant et paradoxal du maître par ce traumatisme primitif. D'où une fascination pour la mort, la putréfaction, qui marque nombre de tableaux. D’où aussi une timidité maladive qu’il ne surmonta qu’à force de provocations. D’où peut-être enfin ce goût pour les figures politiques despotiques : Staline, Lénine, Hitler, Franco… Il a raconté dans ses mémoires la crise quasi orgasmique qui le saisit adolescent quand le roi d'Espagne visitant son école le remarqua... Le célèbre Piano de Lénine (1931) témoigne de cette fascination : exposé en milieu de parcours il possède une dimension ambigüe, celle des meilleures productions surréalistes. C'est à la fois un hommage (?) au tyran et une intrigante mise en espace d'objets et de personnage incongrus ; on est loin d’une simple provocation gratuite : Que fait l'homme assis ? Sur quoi ouvre la porte du fond ? Quelle est cette partition dont les notes en forme de fourmis s'égaillent? Pour en finir avec sa fascination pour les dictatures, disons que le choix, qui lui fut tant reproché, en faveur de Franco au moment de la guerre civile de 1936 est moins étonnant si l’on se rappelle l'un des slogans des Phalangistes, « Viva la muerte », qui trouvait certainement un écho profond en lui.

 

salvador dali le spectre du sexappeal vers 1934 fundacio gala salvador dali adagp paris 2012 - copieÀ Madrid, il rencontre le poète sévillan Frederico Garcia Lorca auquel le lie une amitié quasi amoureuse qui se dénouera de façon tragique au moment de la guerre civile et l'exécution du poète par les Phalangistes ; à Paris il devient l'un des membres du groupe surréaliste les plus actifs. Ses premiers tableaux étonnent qui le montrent comme un Cubiste convaincu ; cubisme analytique ou cubisme synthétique il pratique les deux avec un égal brio. L'extraordinaire virtuosité de Dali n'a d'égale que celle de Picasso dont il est en quelque sorte la face sombre. Il a abordé toutes les techniques picturales : cubisme donc, figuration traditionnelle au faire minutieux, pointillisme, utilisation de matériaux les plus divers, récupération et dé-tournement d'objets... Au fond tout cela n'avait guère d'importance à ses yeux, ce n'étaient que des moyens, seule comptait l'expression de son délire, de ses phantasmes, de ses trouvailles, grâce à la « méthode de la paranoïa critique », qu'il avait inventée et avec laquelle il avait l'ambition de saisir l'essence du réel au-delà de l'apparence.

 

 

Dali, à l'inverse de ses contemporains, s'est peu intéressé aux recherches formelles, il n'a ni récusé les recettes de la grande tradition picturale européenne, ni même cherché à les renouveler. Il peint dessine et sculpte comme on l'a fait depuis le XVIe siècle au point de paraître un artiste maniériste égaré en plein XXe siècle : les tableaux méticuleusement réalisés en respectant les lois de la perspective, dont la facture parfaite aux couleurs vives, brillantes, acidulées, précieuses comme de l'émail charment le regard ; formes contournées, positions à la limite du déséquilibre, musculatures exagérées des Christs en croix... il reprend volontiers les formules des Florentins de la fin de la Renaissance. Le virtuose Portrait de Mme Isabelle Styler-Tass (1945) est éloquent à cet égard, tout comme La Tentation de Saint Antoine (1946). Paradoxalement aussi il apprécie des peintres du XIXe que ses amis surréalistes honnissaient, que l'on songe à son obsession de l'Angélus de Millet qu'il soumet à la méthode de la Paranoïa critique.

 

Cela ne l'empêchaient nullement d'être sensible à son temps. Jeune, il avait pressenti le rôle majeur que devait jouer le cinéma dans la culture. Avec son ami Lorca et Buel il réalise le film Le Chien Andalou, puis, peu après, avec le seul Buel L'âge d'Or, féroce remise en cause de la morale bourgeoise. Films qui ont trente ans d'avance : l'oeil crevé par un rasoir du Chien andalou fait plus frémir aujourd'hui encore que toutes les « horreurs » sanglantes des films gore. Comme tous les gens de son époque il a été bouleversé par la fission nucléaire et la bombe atomique ; il peint des tableaux aux formes éclatées. L'Assumpta corpuscularia lapislazulina (1952) est une grande toile qui montre la vierge Marie de façon singulière : la tête est celle de son épouse Gala ainsi déifiée, le corps très allongé selon le canon maniériste est transparent, le giron est marqué par un Christ en croix représenté selon une perspective plongeante, le drapé qui l'entoure se composant d'objets bizarres et indéterminés parmi lesquels un reconnaît des cornes de rhinocéros (animal métaphysique dixit le maître), la terre étant représentée par une chaufferette ciselée qui éclate au coeur de laquelle se niche un atome...

 

salvador dali persistance de la memoire 1931 museum of modern art moma new york usa salvador dali fundacio gala salvador dali adagp paris 2012 - copie

 

 

Une exposition sur Dali est toujours un bonheur pour les conservateurs qui peuvent donner libre cours à leur imagination. Celle-ci ne déroge pas qui commence par une salle ovoïde et se termine par une reconstitution du portrait de Mae West tel que Dali l'a imaginé pour le musée-théâtre de Figueres. Et les couples de se faire photographier sur le canapé-lèvres après avoir souri devant les girafes à la crinière en flamme, les montres molles (sait-on que les boutique « design » du faubourg St-Antoine en proposent à la vente aujourd'hui même?), les Grands Masturbateurs et autres trouvailles. Ils ont aussi entendu la voix (désagréable) du maître affirmer « Je suis le Surréalisme », ils ont pu voir les vidéos de ses actions, des objets, le dessin animé imaginé pour Disney etc. Mais ont-ils saisi tout ce que l'oeuvre pouvait avoir de subversif ? Là est la grande ambiguïté d'une oeuvre trop populaire pour être vraiment dérangeante et qui s'est quelque peu banalisée du fait de son succès. Dali amuse, il n'exaspère plus.

 

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- DALI Salvador, Aurore, midi, après-midi et Crépuscule (1979), Figueres, Fundacio Gala-Salvador Dali © Salvador Dali, Fundacio Gala-Salvador Dali / ADAGP, Figures, Paris 2013

- DALI Salvador, Le spectre du sexappeal (vers 1934), Figueres, Fundacio Gala-Salvador Dali © Salvador Dali, Fundacio Gala-Salvador Dali / ADAGP, Figures, Paris 2013

- DALI Salvador, Persistance de la mémoire (1931), musée d'Art moderne de New York © Salvador Dali, Fundacio Gala-Salvador Dali / ADAGP, Figures, Paris 2013

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dali

25 novembre 2012 – 25 mars 2013

Galerie 1, niveau 6

Centre Pompidou

75191 Paris cedex 04

- site internet : www.centrepompidou.fr

- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le mardi de 11h à 23h, ouverture le dimanche à 9h30 pour les visiteurs munis d'un billet acheté en ligne et pourb les adhérents au centre ; 11 à 13€ selon la période, 9 à 10€ pour les tarifs réduits. Le billet donne accès aux collections permanentes et aux autre expositions temporaires. On peut acquérir le billet sur le site du musée.

- Publications : Dali, catalogue de l'exposition.- Paris, 2012, 384p., 450 illustrations couleurs, 49,90€ ; Marie Bertran : Dali, album de l'exposition.- Paris, 2012, 60p., 60 illustrations, 10,50€ ; Jean-Michel Bouhours : Dali, collection monographies.- Paris, 2012, 96p., 60 illustrations couleurs, 12€ ; Edmond Baudouin : BD Dali.- Paris, 2012, coédition Dupuis/Centre Pompidou, 164p., 22€ ; Application Ipad Dali, sur Appstore et Google play, Gallimard/Centre Pompidou, 4,49€.

- Animations autour de l'exposition : films, conférences, colloque, consulter pour le programme le site internet.