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Louis Boilly

 

 

 

 

 

 

 

Boilly (1761-1845), virtuose dans l'art de la représentation, eut une très longue carrière. Il a abordé avec bonheur et un extraordinaire talent le dessin, la peinture comme la gravure - la lithographie pour être plus précis. C'est avant tout un portraitiste aussi ne faut-il pas s'étonner que dans les nombreuses scènes de genre qu'il a créées la figure humaine tienne une place prépondérante : pas de paysage ou si peu, l'environnement n'est qu'un décor et n'a pas de vie propre. Chantre du monde parisien n'a-t-il pas pratiquement évacué toute représentation de la ville ? Enfin ayant connu l'ancien régime, la Révolution, la Restauration, on chercherait en vain, en dehors de rares exceptions, une trace des évènements dans ses tableaux. Il s'est borné à l'illustration d'un monde, le sien, celui de la bourgeoisie et du petit peuple, et dans ce registre il est incomparable. S'il nous touche aujourd'hui ce n'est pas pour ces seules raisons mais parce que, au delà d'un amour quasi obsessionnel du réel, il atteint la poésie, voire l'étrangeté quand il livre ces trompes-l'oeil où le regard s'égare entre le faux et le vrai.

 

 

 

loge - copieLe Palais des Beaux-arts de Lille consacre une monumentale exposition à cet artiste qui fut célèbre de son temps mais que la postérité, assez injustement, n'a jamais placé parmi les plus grands, les « phares » pour reprendre Baudelaire. L'extraordinaire et quasi exhaustif rassemblement de ses oeuvres au musée permet de réévaluer un peintre dont le seul tort est de paraître d'un abord si facile. Cet art qui semble si prosaïque confronté à celui de ses contemporains peut s'avérer profond si on se donne la peine de l'étudier avec attention. Oui ses tableaux paraissent modestes, sages, comparés aux grandes fanfares de David, de Gros, plus tard de Delacroix ; timides ses gris subtils, ses roses, ses bleus opposés aux éclatants coloris de leur palette ; il n'est jusqu'au fini impeccable de sa facture qui ne pâlit devant les rageurs coups de brosse des romantiques. Et pourtant, pourtant, Boilly, à l'instar de ce poète qui prétendait qu'il n'y a pas de voyage plus dangereux que celui que l'on fait entre la quatre murs de sa chambre, frôle souvent le vertige du réel du fait d'une observation maniaque. Qu'importe la mièvrerie de telle scène de genre ! Ce qui compte c'est le cassé d'une faille froissée, le poli d'un accessoire de cuivre, le velouté d'un bois exactement vernis, tous ces accessoires d'un confort bourgeois où le regard comme l'âme se perdent... Trompeuse et inquiétante illusion d'une apparence qu'il minéralise...

 

 

 

Louis Boilly est né à La Bassée, près de Lille, en 1761. Son père était maître sculpteur sur bois, artisan modeste certes mais dont le métier n'était pas étranger au monde de l'art. Le jeune homme fait ses études artistiques auprès de différents peintres du nord de la France puis il s'installe à Douai et Arras comme portraitiste – on prétend qu'il peignit quelques trois cents portraits dans ces villes. Période de formation importante car dans le Nord la tradition des peintres hollandais du siècle d'or dont il s'est imprégné était bien vivante ; les collections locales conservaient de nombreuses toiles. Plus généralement, en France, on observe un retour à cette esthétique, Louis XVI fait même acheter des tableaux pour le futur muséum ancêtre de notre Louvre. En 1785 il s'installe à Paris...

 

lincroy - copie

 

 

 

Il se spécialise dans la portrait et la scène de genre : la représentation de scènes familières à tonalité sentimentale, morale, voire humoristique et même légèrement grivoise. Il demeure un incomparable témoin de la vie de son temps. Comme la majorité des Français de son époque il traverse sans encombres, sinon sans émotions, les turbulences de la Révolution française et du Directoire, les guerres du Consulat et de l'Empire, la réaction, sanglante, de la Restauration. Une pieuse légende familiale rapporte - sous la Restauration - qu'il peignit Le Triomphe de Marat pour se dédouaner d'une tiédeur révolutionnaire suspecte. Il a simplement répondu au concours de l'An II organisé par la Constituante dans un double souci de propagande et d'aide aux artistes. Sont exposés le dessin préparatoire et la peinture sur papier marouflée sur toile. On remarquera combien l'artiste en plaçant l'action un peu en arrière du premier plan s'en distancie. On notera aussi la composition en frise typique du néoclassicisme, procédé que l'on retrouvera dans la plupart de ses tableaux de groupes. Enfin on s'étonnera de la médiocrité de la taille d'un tableau dont le thème supporterait une plus grande surface. C'est qu'il n'était pas fait pour l'épopée, ni pour les grands formats. Si certaines composition paraissent monumentales, elles le doivent à la perfection de la construction, voir à ce propos le Portrait de La Fayette que l'on imaginerait facilement grandeur nature.

 

 

 

dtail incroyablesIl s'est contenté de représenter avec familiarité et indulgence ses contemporains avec leurs manies, leurs ridicules mais aussi dans leur humanité. Représentation qu'il poussera jusqu'à la caricature dans la célèbre série des Grimaces. On regrettera l'absence les portraits charges des « Incoyables » et des « Mèveilleuses » on se consolera avec L'Incroyable Parade (1797) un tableau critique de la société de l'époque qui défile au premier plan tandis que dans le fond un nouveau riche, juché sur son phaéton, s'accroche pour ne pas être précipité dans le vide par son cheval emballé. Il y a là une « tricoteuse » , des bourgeois, un jeune couple élégant, des escrocs, des voleurs, des militaires... Bref un instantané de la société de l'époque, non sans un regard moralisateur : le jeune couple, riche, jeune, bien sage opposé aux énergumènes.

 

 

 

Sa fécondité est stupéfiante : on dénombre plus de 4500 de ces effigies, petites pour la plupart, bustes de quelques dizaine de centimètres en hauteur et en largeur, qui font irrésistiblement penser à des photos d'identité. il les brossait en une séance de deux heures à la grande admiration des contemporains. Ce n'est jamais monotone, il savait saisir ce qu'il y a d'unique en chaque individu, même le plus conventionnel. Aurait-il inventé la série chère à nos artistes contemporains? Il a bien entendu des portraits plus élaborés où il se révèle sensible, lui l'artiste néoclassique, au préromantisme (voir Un regard une image) et charge ses modèles d'une aura nostalgique.

 

salon disabey - copie

 

 

 

Boilly a peint son entourage, sa famille, ses amis qui - comment s'en étonner? - comportent beaucoup d'artistes. C'est sa grande originalité. Toute l'élite artistique de l'époque défile ainsi devant son chevalet : musiciens, Boieldieu peint devant son pianoforte, sculpteurs, le grand Houdon qu'il a représenté au travail ou entouré de ses élèves dans l'atelier, des peintres bien entendu : L'Atelier d'Isabey (1798), réunit autour du maître qui se penche sur son chevalet une trentaine d'artistes, le gratin de la jeune génération : l'acteur Talma, les peintres Girodet, Carle Vernet, Gérard, Drölling, Redouté, le sculpteur Chaudet etc. La variété des attitudes, la vérité des physionomies – Plus de vingt esquisses peintes montrent le sérieux du travail – décrivent l'ambiance amicale d'une réunion sans prétention. Noter le décor à l'antique du à Percier et Fontaine présents dans le tableau, décor dominé par un grand buste de Minerve. Ce tableau est important car il est l'un des premiers jalons d'un genre typiquement français : des réunions d'artistes rendant hommage à un maître ou simplement défendant une esthétique. Tradition qui perdurera jusque chez Picasso ou les Surréalistes. Que l'on pense à L'Hommage à Delacroix de Fantin-Latour ou à Cézanne de Maurice Denis...

 

 

 

L'esthétique de Boilly est une esthétique de théâtre : Ces compositions, soigneusement mises en scène, semblent directement issues de pièces. Nous y assistons comme des spectateurs. Peut-on lui reprocher d'avoir été plus sensible à la comédie, au drame bourgeois qu'à la tragédie antique dont raffolaient ses contemporains? C'est peut-être là sa grande originalité et sa modernité...

 

 

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'effet du mélograme, vers 1830, huile sur toile, Versailles, Musée Lambinet © RMN - Philip Bernard

 

L'Atelier d'Isabey, huile sur toile, salon de 1798, Paris, Musée du Louvre © RMN – Doits réservés

 

L'Incroyable Parade, Huile sur bois, collection particulière © Collection particulière – Suzanne Nagy

 

L'Incroyable Parade, détail

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Boilly, Rétrospective

 

4 novembre 2011 – 6 février 2012

 

Palais des Beaux-Arts

 

Place de la République – 59000 Lille

 

- Tél. : 03 20 0678 00

 

-Internet : www.pba-lille.fr

 

- Horaires : du mercredi au dimanche de 10h à 18h, lundi de 14h à 18h ; nocturnes jusqu'à 21h les vendredi 25 novembre, 23 décembre et 27 janvier

 

- Tarifs : exposition seule, 7,50€ et 6€ ; exposition et collections permanentes 11€ et 7,50€

 

- Publication : catalogue de l'exposition, Boilly (1761 – 1845). Sous la direction d'Annie Scottez-de Wanbrechies et Florence Raymond.- Lille, 2011, éditions Aurore de Neuville, 287p., 39€

 

- Animations culturelles : conférences, concerts, films, consulter le site du musée