Expositions

 

 

 

Edvard Munch, le peintre de l'effroi

 

 

 

Le Centre Pompidou et le musée des beaux-Arts de Caen célèbrent le Norvégien Edvard Munch. Contrairement aux apparences les deux expositions ne font pas double emploi. Caen explore le monde personnel du peintre avec une quinzaine de tableaux prêtés par Kunstmuseum de Bergen et une cinquantaine de gravures issues de la collection de Pål Georg Gundersen. Le musée d'Art moderne, lui, retrace sa place dans la modernité.

 

 

 

L'Univers d'Edvard Munch

 

 

dsc_0457 - copie« J'ai reçu en héritage deux des plus terribles ennemis de l'humanité, la tuberculose et la maladie mentale. » C'est par cette phrase d'un rare amertume que le peintre norvégien Edvard Munch se décrit. Munch naît à Løten en Norvège fin 1863, très rapidement la famille vient s'installer à Kristiana, la future Oslo. Il a cinq ans quand sa mère meurt de la tuberculose, plus tard ce sera sa soeur Sophie âgée de 15 ans qui succombera à la maladie, enfin son père fera une grave dépression. Ces expériences douloureuses le hanteront durant toute sa vie. Lui-même, plus tard, devra entrer en clinique pour se désintoxiquer d'un alcoolisme récurrent, enfin la dépression le rattrapera... Malgré tout il s'éteindra à plus de quatre-vingts ans chargé d'ans et d'honneurs.

 

 

 

Il fait ses études artistiques au sein de l'école royale de dessin de Kristiana et très rapidement participe à la vie bohème de la capitale, il rencontre artistes, intellectuels, écrivains. Il fait partie de l'avant-garde norvégienne. Il expose ses premiers tableaux qui sont reçus par la critique, disons, avec une certaine réserve, car son originalité éclate dès ses débuts. Désireux de connaître autre chose que le centre un peu provincial qu'était le Kristiana de l'époque, il part, et cela deviendra une habitude, à la découverte des principaux centres artistiques de l'Europe : il visite Berlin où au début ses toiles font scandale, Bruxelles, Paris surtout où il va demeurer un peu plus longtemps. Il entre d'ailleurs dans l'atelier du peintre officiel Léon Bonnat, ennemi juré de tout ce qui fait la modernité, ce qui ne l'empêche pas de fréquenter Van Gogh, Seurat, Signac, Toulouse-Lautrec. C'est là aussi qu'il va se perfectionner dans l'art de la gravure qui est pour lui un domaine aussi important que la peinture.

 

 

 

dsc_0472 - copieQuelques toiles exposées ici montrent qu'il ne fut pas insensible à ce qui se faisait alors à Paris. Par exemple le Paysage de Nordstrand (1891) qui date de son séjour dans la capitale, montre qu'il a vu Cézanne ; de même L'Avenue Karl-Johan au printemps (1890) se situe sous l'influence d'un Impressionnisme mâtiné de Pointillisme ; le Nu assis (1896), lui, doit quelque chose à Toulouse-Lautrec. En dépit de ces bonnes lectures il élabore une facture très personnelle qui a pu rebuter le public et la critique classiques : il peint en longues touches de couleurs, fluides, sinueuses, lyriques qui dessinent les formes ; pas ou peu de modelé, peu d'empâtements, la toile transparaît souvent sous la couche de peinture. Mais plus que la facture profondément originale, ce sont les thèmes qui surprennent et ont heurté. Munch ne peindra que son monde, que ses peurs, que ses fantasmes et pourtant ses oeuvres si personnelles résonnent en écho dans l'inconscient de l'homme moderne. Il a su créer des images qui parlent à tous. Sait-on en France que son célèbre « Cri » est l'oeuvre moderne la plus souvent reproduite sur toute la planète? En est exposé ici une lithographie rehaussée d'aquarelle. Soir sur l'Avenue Karl-Johan est une inquiétante image métaphorique de la solitude : une silhouette sombre remonte la chaussée, à droite du tableau, sur le trottoir, la foule des passants, hallucinés, l'oeil exorbité, déambulent, l'ignorant. La toile pourrait illustrer la phrase que Bernanos écrira cinquante ans plus tard : « L'homme moderne n'a plus de prochain... » Glaçant.

 

 

 

La majeure partie de l'exposition de Caen se compose d'estampes. Munch a essentiellement pratiqué le bois et la lithographie, mais aussi le zinc, le cuivre... Son travail sur bois est profondément original par sa brutalité expressive : il ne travaille pas sur des plaques de bois de bout comme il est d'usage de la faire pour obtenir une certaine finesse de trait mais sur des planches dont il utilise les veines et les nodosités comme autant de moyens expressifs. Le Baiser IV est caractéristique à cet égard avec son couple fusionnel se détachant sur le fond vibrant de fibres. Dans ce domaine, il reprend essentiellement les thèmes de ses toiles mais il les retravaille pour en faire des oeuvres à part entière, différentes et souvent plus expressives. On peut analyser ce cheminement sur les cimaises de la première salle. Deux femmes sur la plage, Åsgårdstrand, une peinture de 1904, est reprise dans une série de gravures : il simplifie les lignes du tableau en ne gardant que quelques éléments du paysage, la mer et le ciel confondus, le cap et la baie sans détails, trois rochers ; les deux femmes, la plus jeune qu'il dresse debout, la seconde assise tout contre elle, ont plus de présence que dans la peinture où elles se fondent dans le paysage. Il va faire une série de tirages en changeant les couleurs entre chaque état, voire en modifiant à la gouge quelques traits – il creuse une ligne, ajoute un rocher etc... il colorie la plaque directement d'encres de plusieurs couleurs, pour en tirer de véritables monotypes. Ainsi il propose à partir de cette composition des oeuvres très différentes d'ambiance autour du pivot immuable que forme le groupe de la jeune et de la vieille femme, cette dernière drapée dans un manteau noir a tout de la Faucheuse. Ce personnage inquiétant prend plus ou moins d'importance en fonction des tons clairs ou sombres. Le visiteur pourra faire les mêmes observations sur d'autres séries.

 

 

 

dsc_0435 - copieLa femme, vénéneuse, fatale, est le thème récurrent de ces oeuvres où le sexe, l'angoisse, la solitude, la mort se mélangent inextricablement. La célèbrissime « Madone »? Une séductrice nue, le corps ondulant, les yeux clos, emprisonnée dans un étroit cadre où serpentent des spermatozoïdes, tandis qu'un foetus, dans le coin gauche lève des yeux pleins de reproche vers elle. Vampyr, Cendres, Jalousie, Séparation... Ces titres se passent d'explication. L'Ève, la Tentatrice, qui se joue de l'homme, ce pantin, est un des poncifs de l'époque repris par de nombreux artistes autour de 1900 mais Munch lui donne une authenticité tragique que l'on chercherait en vain chez d'autres. Il eut une vie amoureuse compliquée, violente et ne s'est jamais marié, de crainte de transmettre le terrible héritage. Son Autoportrait ne laisse aucune ambiguité : le visage fin, sensible surgit d'un noir profond ; son bras posé sur le bord inférieur de la planche, comme l'aurait dessiné quelque peintre de la Renaissance, n'est plus qu'ossement. Memento mori... Ce pessimisme le place à part dans un monde qui abordait l'avenir avec confiance et, quand on sait ce qu'allait être ce âge d'airain que fut le XXe siècle, on ne peut que saluer sa prescience.

 

 

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Le soir, rue Karl Johan, 1892, ©Werner Zellien, Kunstmuseum de Bergen © The Munch Museum/The Munch-Ellingsen Group / Adagp, Paris 2011

- Cri, gravure coloriée à la main, © Collection Gundersen © The Munch Museum/The Munch-Ellingsen Group / Adagp, Paris 2011

- Vue d'une salle de l'exposition

 

 

 

 

L'univers d'Edvard Munch

 

Peinture du Kunstmuseum de Bergen

 

Estampes de la collection Gundersen

 

5 novembre 2011 – 23 janvier 2012

 

Musée des Beaux-Arts de Caen

 

Le château, 14000 Caen

 

Tél. : 02 31 30 47 70

 

Internet : www.mba.caen.fr

 

- Horaires : de 9h30 à 18h, fermé le mardi. Fermeture exceptionnelle les 25 décembre et 1r janvier

 

- Tarifs : 3 et 5 €, accès aux collections permanentes avec le billet

 

Publication : catalogue, 36 p. couleurs, 9€ (Hors-série de Connaissance des Arts)

 

- Autour de l'exposition : conférences, lectures, projections, ateliers pour les jeunes, consulter le site du musée ou téléphoner au 02 31 86 85 84