Gilles Aillaud

Encyclopédie de tous les animaux y compris les minéraux

 

 

 

 

Les visiteurs de l'exposition qui s'est tenue au Grand Palais et consacrée à la Figuration narrative se souviennent des animaux tristes encagés dans les zoos. Le plasticien prenait à témoin le visiteur de l'indignité qui leur était faite et, ce faisant, le renvoyait à sa propre aliénation. Depuis, le regard du peintre sur les « êtres inférieurs » est toujours aussi aigu, plein de sympathie pour ce monde que nous côtoyons sans toujours y prêter l'attention qu'il mérite.

002 kangourouLa bibliothèque Nationale à qui les héritiers de l'artiste viennent d'offrir les quatre tomes de son Encyclopédie de tous les animaux y compris les minéraux, expose dans l'allée Julien Cain du site François-Mitterand les cent quatre-vingt quatorze lithographies qu'il a réalisées de 1988 à 2000 pour cette ouvrage. Grands et petits y trouveront leur bonheur.

 

Cette encyclopédie en quatre volumes est une entreprise unique de par sa qualité, son ampleur et son ambition en cette fin du XXe siècle. Gilles Aillaud a voyagé sur tous les continents pour dessiner dans leur cadre naturel, ses modèles. Pour les deux derniers volumes volumes, il a même organisé en pleine brousse un atelier lithographique. Les dessins étaient effectués directement sur la pierre, qui le soir même était tirée : une photo le montre assis sur un pliant de toile, la pierre sur les genoux, dessinant. Cela donne une spontanéité unique aux gravures.

 

La virtuosité de l'artiste est extraordinaire et l'on peut dire qu'il renouvelle complètement l'art animalier par la singularité de son regard, son empathie pour les sujets, la philosophie souriante qui soutient la série. Cadrages surprenants, voir le portrait, ou plutôt l'anti-portrait du kangourou, représenté de derrière et que l'on ne reconnaîtrait pas s'il n'y avait l'ombre portée... Que dire du chameau qui offre, en gros plan, un visage plein d'humour?

 

Compositions parfois à la limite de l'abstraction : une planche montre des tâches noires proches de ce que faisaient les tachistes. Il faut observer attentivement pour reconnaître, les cornes des gazelles perdues dans les hautes herbes de la savane, là il emprunte de regard du prédateur. Ou encore les rapaces dont il ne retrace que le vol dans le ciel, composition d'accents circonflexes menaçants. Les crocodiles? Des formes rugueuses, oblongues, affalées au soleil le long de la berge que l'on n'a pas intérêt à confondre avec des troncs d'arbres... D'autres au contraire sont de véritables portraits plus traditionnels tels celui du buffle qui regarde la visiteur, le serval, oreilles dressées, aux aguets, ou encore la genette. Sait-on que cette dernière concurrença un moment le chat comme animal familier?

 

096 genetteY compris les minéraux? Le visiteur sera surpris par les portraits de pierres et de végétaux. Le calcaire? Une forme plate abstraite, crème, le seul élément coloré de la série ; le marbre? Une sculpture grecque archaïque ébréchée par les injures du temps ; viennent ensuite la pierre ponce grêlée de trous et l'obsidienne noire, luisante et inquiétante : on se rappèlera qu'elle était la matière des poignards avec lesquels les prêtres aztèques arrachaient le coeur des sacrifiés. Ces vagabondages en dehors des limites du sujet sont-ils un pied-de-nez au côté fermé d'un bestiaire? Est-ce un discret rappel de ce que le monde animal (et l'humanité!) dépend de l'environnement, minéral comme végétal? N'y verra-t-on pas plutôt une pirouette de l'artiste revendiquant ainsi sa liberté?

 

Ces 200 gravures sont d'une extraordinaire variété : trait gras ou croquis léger ; larges plages noires ou espaces blancs à peine griffés ; Crayon, plume, pinceau... L'artiste explore avec maestria toutes les possibilités du noir et du blanc.

 

C'est une oeuvre unique qui ne se peut comparer qu'avec le travail d'un Picasso illustrant Buffon. Même maîtrise, même humour, même désinvolture au nom des droits souverains du créateur. On est loin des ouvrages scientifiques du passé, malgré leur charme et leur séduction. Et s'il faut absolument chercher une ascendance à cette « Encyclopédie », on se tournera vers la littérature : le médiéval Roman de Renard, les Fables de La fontaine et, plus près de nous, le Tendre bestiaire de Maurice Genevoix ou le Livre des bêtes que l'on dit sauvages d'André Demaison...

 

 

 

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

Kangourou, tome 1, 1988 Edition Atelier Franck Bordas © ADAGP 2010

Genette, tome 2, 1989 Edition Atelier Franck Bordas © ADAGP 2010

 

 

 

Gilles Aillaud

Encyclopédie de tous les animaux y compris les minéraux

26 mai – 18 juillet 2010

Allée Julien Cain

BnF François Mitterand

Quai François-Mauriac, 75013 Paris

Accès libre

Site internet : www.bnf.fr

Publication : D'après nature. Encyclopédie de tous les animaux y compris les minéraux. Gilles Aillaud.- Paris, 2010, André Dimanche éditeur, 228p., 82 ill. 29€.