Expositions

 

 

 

 

 

Au Bonheur des âmes tièdes

                     Louis Janmot (1814 - 1892)

                                            le poème de l'âme

 

 

 

 

 

On se demande ce qui a pu pousser les conservateurs du musée d'Orsay à organiser une exposition entière sur l'œuvre majeure de l'artiste lyonnais Louis Janmot (1814-1881) le « Poème de l'âme » ensemble de tableaux et de dessins, assorties de milliers de vers. Certes ce n'est pas sans séduction mais l'idéologie que sous-tend cette série d'images a de quoi laisser songeur (c'est le moins que l'on puisse en dire) et s'inscrit à rebours de tout les acquis que notre époque a pu péniblement engranger.

 

Que l'on en juge : il s'agit de l'itinéraire spirituel d'un jeune homme depuis sa naissance jusqu'à la délivrance finale qui lui permettra d'accéder à la vraie vie, celle de l'au-delà après avoir frôlé le mal sur cette terre. Bien entendu, il commence son itinéraire moral en compagnie de l'âme sœur mais qui meurt rapidement et qu'il ne retrouvera que dans l'au-delà, le laissant ici-bas en proie aux tentations de ce monde – il n'y résistera pas toujours ce qui nous vaudra la représentation de la scène orgiaque la plus gourmée de l'histoire de l'art français ; pour faire vulgaire, une bonne cuite collective. Ce cycle pictural et graphique s'inscrit dans un mouvement qui irrigue tout le XIXe siècle celui de la lente et tenace reconquête des esprits par l'église catholique en tentant d'annihiler tout ce qu'avait apporté la Révolution en fait de libération et d'autonomie de la personne : on érige des statues de Vierge écrasant les paysages urbains, on construit des basiliques d'un luxe invraisemblable (qui, avouons-le, séduisent encore), on organise de spectaculaires manifestations de repentance, et surtout, on impose une morale étroite et univoque qui fait fi de l'infini variété de la nature humaine.

 

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Louis Janmot est né à Lyon en 1814 dans une famille profondément catholique. Son adolescence est marquée par deux drames : la mort d'un frère puis d'une sœur alors qu'il avait respectivement neuf et quinze ans. Plus tard, il fera la rencontre, qui le marquera profondément tant sur le plan philosophique que moral, des deux penseurs chrétiens les plus remarquables du temps Ozanam et Lacordaire. À dix-sept ans il entre à l'école des Beaux-Arts de Lyon qu'il quitte deux ans plus tard après avoir reçu la distinction suprême de l'institution, le Laurier d'or. Il monte à Paris pour suivre les cours de Victor Orsel avant d'entrer dans l'atelier d'Ingres. Puis il entreprend, en compagnie de quelques amis le voyage à Rome alors qu'il vient tout juste d'atteindre sa majorité. Là, il rencontre l'artiste lyonnais qui a fait carrière à Paris, Hippolyte Flandrin le décorateur de Saint-Germain des près. On le voit à ce bref résumé que Janmot s'est tenu soigneusement à distance de toute agitation romantique comme de toute aventure esthétique. Itinéraire parfait d'un bon jeune homme bien sous tout rapport.

 

Disons-le, le « Poème de l'âme » est un ensemble singulier qui n'a pas son égal dans la France du Dix-neuvième siècle et qui fut très admiré en son temps. Dix-huit peintures, seize dessins de format équivalent, plus de deux mille vers composent une sorte d'œuvre d'art totale qui se déroule selon le parcours mystique et moralisant que nous avons décrit plus haut. Elle a occupé son auteur pendant plus de quarante ans. Le tout est conservé par le musée des Beaux-arts de Lyon, le palais des Dames de saint Pierre, ancienne abbaye. L'ensemble est exposé ici dans sa totalité, les salles de côté, présentant tableaux, dessins, gravures, d'artistes contemporains, français et étrangers, ils dessinent cette mouvance artistique inspirée par la transcendance qui traverse alors l'Europe. On y rencontre Goya (?), William Blake, Odilon Redon etc. et aussi, les peintres de l'école de Lyon, tous adeptes d'une religiosité fervente.

 

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On pourrait évoquer, en voyant les toiles de la première séquence du poème, séduisantes, aux couleurs brillantes et à la composition élaborée, les peintures des Préraphaélites outre-Manche, nonobstant ici l'absence totale de perversité qui fait le charme subtil des Anglais, ou la rude simplicité médiévale avec laquelle renouaient le peintres allemands nazaréens de l'époque. À piété tiède, peinture et dessin d'un charme superficiel. Qu'on en juge : la troisième composition, L'Ange et la mère, représente une mère enlaçant tendrement son enfant, comme pour le protéger des dangers du monde, tandis que l'ange gardien, diaphane forcément et vu de dos, prie avec ferveur le ciel qu'il épargne la nouvelle âme, le tout baignant dans une luminosité matutinale ; c'est facile et convenu. Tout aussi convenue est la charmante composition, Rayons de soleil, qui montre le jeune homme dansant une ronde en compagnie de jeunes filles à l'orée d'un bois automnal, convenue mais réellement poétique. On songe à Botticelli, mais là encore la comparaison risque d'être cruelle ; cette recherche d'idéal a quelque chose de gênant car elle est au service d'un prêchi-prêcha tiédasse : la jeune fille parée de bijoux et d'une couronne de pavots, brune de surcroit, représenterait la tentation, cependant que le jeune homme, revêtu d'une robe saumon, physiquement assez ambigu mais sans que cette ambigüité remette quoi que ce soit en cause (après tout les anges n'ont pas de sexe, pourquoi les âmes en auraient-elles?), le jeune homme donc détourne encore son regard ; mais pour combien de temps encore ?

 

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La composition la plus fameuse de la série, Le Mauvais sentier, montre les deux enfants enlacés, gravissant le chemin ardu du savoir : à droite une sorte de muraille percée de niches dans lesquelles d'austères personnages masculins, vêtus de toge sollicitent le couple, sur la gauche, des rochers arides et un arbre quasi dépouillé de ses feuilles supportant un chat huant. Image sinistre, image puissante, la plus célèbre de la série. La signification ? Une mise en garde contre la science laïque, soustraite à l'influence de l'église, et qui séduit si facilement la jeunesse. En contre point « La grain de blé », oppose un prêtre en soutane, assis sur un talus dans un paysage idyllique de bois et de prairies, expliquant l'œuvre de Dieu, aux deux adolescents aussi attentifs qu'émerveillés...

 

La seconde série est d'une séduction moins évidente. Ces grandes compositions, fusains et rehauts de craie, de pastel et d'aquarelle, plus austères, sont plus vigoureusement composées. Leur contenu est aussi plus âpre dont le substrat repose sur une solide horreur de la chair. Janmot, qui s'est marié deux fois, a été chercher dans l'énéide l'allusion au supplice inventé par un roi étrusque Mézence, supplice consistant à attacher un condamné à un cadavre jusqu'à ce que mort s'ensuive par contagion de la putréfaction. Ici le jeune homme va être lié à la dépouille d'une femme. Que l'on se rassure, sur imploration de sa mère, le pêcheur sera in fine accueilli au Paradis par l'âme sœur qui l'attendait.

 

On peut ne pas apprécier le rôle récent de l'église catholique dans le domaine des mœurs, mais on ne peut, non plus, résumer son action à ce catéchisme sirupeux ; l'église de Thérèse d'Avila et de Jean de La Croix, mérite mieux. Par ailleurs, les hasards de la programmation font qu'une exposition sur les deux derniers mois de Van Gogh ouvre ses portes ici de manière concomitante. C'est l'occasion de rappeler que le génial Hollandais voulut dans sa jeunesse devenir pasteur et qu'il partit partager pendant quelques temps le sort épouvantable des ouvriers du Borinage... Autre type de piété.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

- Le Poème de l'âme. Le Mauvais Sentier. Huile sur toile, 112,6x143,4 cm. © Musée des Beaux-Arts de Lyon.

- Le Poème de l'âme. Rayons de soleil, Huile sur toile, 113,2x145,7 cm. © Musée des Beaux-Arts de Lyon.

- Le Poème de l'âme. Les Générations du mal. Fusain, pierre noire, estompe, rehauts de craie blanche et pastel sec sur papier rose.

 

 

 

 

 

 

Louis Jeanmot

Le Poème de l'âme

12 septembre 2023 – 7 janvier 2024

Musée d'Orsay

Esplanade Valéry Giscard d'Estaing 75007 Paris

- Tél. : 01 40 49 48 14

- Internet : www.musee-orsay.fr

- Horaires et Tarifs : tous les jours sauf lundi, de 9h30 à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h45. Entrée 16 et 13€, 10€ pour les nocturnes de jeudi.

- Publications : Catalogue de l'exposition, coédition musée d'Orsay/In fine éditions d'Art, septembre 2023, 192p., Près de 180 illustrations, 35€.