Exposition à la Une

 

 

 

Eschatologies

Un hiver de Christian Boltanski

 

 

 

 

 

Monumenta, pour sa troisième édition, a confié pendant un mois et demi le grand Palais à Christian Boltanski. De son côté, le Mac/Val (musée d'art contemporain du Val-de-Marne) de Vitry-sur-Seine lui a proposé de concevoir la seconde étape du thème majeur traité à Paris. On connaît l'œuvre du plasticien basée sur l'émotion, la sensibilité de l'être confronté à la perte, au regret de l'enfance, au souvenir et à la mort. L'artiste a choisi d'aborder dans cette double exposition les fins dernières : « Personnes » à Paris traite de la mort, « Après » à Vitry de l'au-delà. On aurait tort de voir dans le thème un quelconque prosélytisme religieux ou une délectation morose sur un thème funèbre. Boltanski s'adresse à l'homme quelle que soit sa religion ou son absence de religion en l'amenant à réfléchir sur son destin, lucidement et sereinement.

 

 

« Personnes » au Grand Palais.

 

boltanski rsolution de lcran« Personnes » c'est à la fois la présence mais c'est aussi l'absence (« Il n'y a personne »). Le visiteur n'aura garde d'oublier cette ambiguïté en entrant dans l'exposition. Passé le portillon, il se heurte à un long mur composé de boîtes cubiques de fer blanc rouillées, d'une jolie couleur rousse (ces boîtes, les boîtes de biscuit de son enfance, sont numérotées et placées de façon aléatoire). Il devra les contourner par le côté droit pour pénétrer dans le lieu comme s'il devait passer par une frontière, traverser une muraille, oublier le monde de la ville et ses agitations.

 

Là c'est le choc : l'immense espace est occupé par des zones rectangulaires cantonnées de poteaux en fer soutenant des tubes de néon et disposées régulièrement en rangées implacables. Ces zones recouvertes de vêtements usagés étalés selon leurs couleurs forment comme une mosaïque. Une rumeur résonne sous les hautes voûtes de la verrière, on y décèle des battements cardiaques et le roulement de trains de marchandises s'avançant lentement. On songe à un stalag, à un camp, à un convoi de déportés... En face, dans le bras de la nef qui fait face à l'entrée une pyramide, une montagne de vêtements (200000) derrière laquelle une grue monte et descend saisissant avec les mâchoires de son grappin quelques pièces au hasard ; les laissant ensuite retomber inlassablement. Boltanski a demandé, et obtenu, que ce Monumenta ait lieu en Hiver : le froid glacial qui tombe des verrières, le jour qui baisse rapidement, ajoutent à l'atmosphère lugubre et puissante. L'artiste recommande d'ailleurs de venir le soir à la nuit tombée quand les voûtes disparaissent dans l'obscurité et que l'écho de la bande sonore en devient plus mystérieux.

 

Comment ne pas penser à la Shoah ? La démesure de l'installation, la géométrie des surfaces, le son du train, la montagne de tissus qui rappelle ces tas de lunettes, de cheveux, de dents que les alliés ont trouvés quand ils sont entrés dans les camps d'extermination, la grue, symbole de l'industrialisation de la mort, tout pousse à cette lecture.

 

boltanski 3 rsolution de lcranEt pourtant le plasticien a su dépasser l'horreur d'un événement précis pour en faire le symbole de l'éternelle plainte de l'humanité face à un destin qui la dépasse et la crainte devant l'inéluctable. Le son mixé des trains et des battements de cœur qui se réverbère sous les hautes voûtes du Grand Palais évoque par sa monotonie entêtante les prières qui s'élèvent vers la Transcendance que ce soit dans les pagodes, les synagogues, les églises ou les mosquées. Dans le même ordre d'idée, les mosaïques rectangulaires soigneusement ordonnées, peuvent faire penser à ces rangées de fidèles qui s'inclinent devant leur créateur pour le supplier mais aussi le remercier...

 

Dans un registre plus prosaïque, ces chiffons de rebut disent par leur accumulation l'extravagante prodigalité du monde contemporain qui gaspille la matière et les hommes. Les hommes? Au fond, le vêtement n'est-il pas une seconde peau? Il fut choisi, aimé, porté, avant d'être rejeté : quand la grue de ses mâchoires rouges saisit ces vestes, ces pantalons, ces chemises, ces pulls, pour les laisser choir il est difficile de rester indifférent : c'est un peu le sort de l'humanité dont on parle ici.

 

Cependant il ne faudrait pas prendre la visite de Monumenta pour un exercice de contrition ou de révolte. Il flotte dans le lieu comme une ambiance de sérénité, de paix, un certain détachement dû à l'immensité de l'espace. Le propos de l'artiste est plus de faire réfléchir, d'interpeler, que de culpabiliser ou de terroriser. Et, peut-être en guise de conclusion à cette visite dérangeante pourra-t-on citer la belle phrase qui clôture le roman de l'Américain Thornton Wilder,Le Pont du roi Saint-Louis : « Il existe un pays des vivants et un pays des morts, et l'amour est le pont, la seule chose qui survive, la seule qui ait un sens. » (Traduction de Maurice Rémon)

 

« Après » au Mac/Val

 

« Après » est difficile à représenter en image : Boltanski n'est ni Jérôme Bosch, ni le Tintoret dont on n'oublie pas le « Paradis » du Louvre ; il ne pratique pas la peinture encore moins l'apologétique. Il agit comme un éveilleur, un questionneur en proposant des paraboles, des représentations dramatisées. Le plasticien propose ici un itinéraire aléatoire au sein d'un labyrinthe sombre où déambuler dans l'obscurité à la recherche de sa propre vérité. De hautes formes cubiques noires, gonflées d'un air qui les déforme et les fait onduler – elles évoquent les formes fantastique du cinéma expressionniste allemand -, laissent à peine la place à d'étroits  j.faujour-adagp-na-mv-2010-01-09-010 rsolution de lcranpassages où se faufiler. Aux carrefours d'étranges mannequins (des épouvantails?) semblent régler la circulation. Faits de tubes de néons disposés en croix, revêtus de manteaux à capuche qui évoquent les jeunes des quartiers dits difficiles, ils murmurent des phrase à voix basse. Phrases courtes où se disent les dernières angoisses, les ultimes interrogations. Enfin sur le mur du fond, un panneau de lumières colorées clignote et attire. Le reste de la paroi est occupé par une série irrégulière de rectangles de matière translucide rouge : cadres vides de portraits disparus, leurs occupants étant oubliés de tous...

 

Les groupes circulent en silence. Ombre soi-même, on se perd, on se heurte aux autres ombres. On tend l'oreille à ce que dit un mannequin. Il n'est pas nécessaire de comprendre clairement tout ce qui se dit, l'important c'est le registre chuchoté de la confidence, de l'aveu. D'autres rient – pour cacher leur gêne. On se parle, on se sourit, difficile de rester indifférent. Boltanski offre au visiteur l'occasion si rarement offerte dans la vie d'un retour sur soi-même dans l'obscurité, dans la chaleur humaine et dans la complicité. Même le rire, ultime défense, montre que l'on n'est pas indifférent.

 

Osera-t-on donner un conseil? Le visiteur, négligeant les deux entrées donnant sur le grand hall, aura intérêt de commencer le circuit par les collections du Mac/Val. Là les artistes contemporains déclinent, chacun selon sa personnalité, le tohu-bohu du monde actuel. En fin de parcours on arrivera dans une salle consacrée à l'installation de Boltanski, « Les Regards ». Quelle meilleure introduction? On descendra l'escalier pour se plonger dans l'espace ainsi proposé... en gardant à l'esprit cette déclaration du plasticien : « L'art consiste à poser des questions, à donner des émotions, sans avoir de réponse ».

Gilles Coÿne

 

 

Photos 1 et 2 "Personnes" de Christian Boltanski. Photos Didier Plowy © Monumenta 2010, ministère de la Culture et de la Communication

Photo 3 "Après" de Christian Boltanski. Photo J. Faujour © ADAGP, Paris

Monumenta 2010

Christian Boltanski

« Personnes »

13 janvier – 21 février 2010

Nef du Grand Palais

Porte principale

Avenue Winston Churchill 75008 Paris

- Internet : www.monumenta.com

  • Publications : L'album, coédition Centre national des arts plastiques / art press, 68p., 4,80€. ; Monographie Christian Boltanski. - Paris, 2009, Centre national des arts plastiques / Flammarion, 212p., 39€. ; le DVD, La vie possible de Christian Boltanski, écrit et réalisé par Heinz Peter Schwerfel, 52 minutes, 19,90€.

  • En marge de l'exposition Boltanski poursuit sa collecte de battements de cœur en demandant aux visiteurs qui le désirent de faire enregistrer leur propre rythme cardiaque. Ils pourront emporter un CD où seront gravées ces pulsions pour 5€. Les enregistrements iront enrichir les archives sonores de Tishima au Japon où, sur une île mise à sa disposition par un mécène, Boltanski a le projet de réunir tous les battements de cœur de l'humanité.

  • Une ambitieuse animation culturelle est prévue pour le monde scolaire ainsi que pour les adultes, consulter, pour en connaître le détail, le site internet.

« Après »

Christian Boltanski

15 janvier – 28 mars 2010

MAC/VAL, Musée d'art contemporain du Val-de-Marne

Place de la Libération, 94400 Vitry-sur-Seine

Tél. : 01 43 91 64 20

Internet : www.macval.fr

Une navette gratuite est mise à la disposition des visiteurs désireux de visiter les deux expositions chaque dimanche du 24 janvier au 21 février.

Du Grand Palais vers le MAC/VAL départs à 14h30 et 15H30

Du MAC/VAL vers le Grand Palais départs à 16h et 18h

N.B. : un billet plein tarif acheté pour l'une des expositions donne droit à un billet à tarif réduit pour l'autre.