Expositions

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Talisman de Paul Sérusier

Une prophétie de la couleur

 

 

 

 

 

C'est un petit tableau peint sur bois, la taille d'une feuille de Papier... petit mais qui eut une influence certaine dans l'histoire de la peinture à la fin du XIXe siècle. La légende prétend qu'il fut exécuté sur un couvercle de bois de cigare. Il n'en fut rien, tout montre que c'est une simple planche de peuplier très fine préparée pour recevoir la peinture comme en utilisait les artistes de l'époque. Pourquoi insister sur ce détail ? Tout simplement parce qu'il témoignerait de l'improvisation de l'urgence dans laquelle il fut peint comme si au cours d'une conversation passionnée l'artiste s'était saisi ce qu'il avait sous la main pour brosser rapidement ce paysage si coloré et quasi abstrait. Cette œuvre,Paysage au Bois d'Amour, nommée plus tard Le Talisman pour mieux souligner son caractère exceptionnel, voire sacré, fut peinte à Pont Aven à l'automne 1888 par Paul Sérusier sous la direction de son ami Gauguin : fut-elle « dictée » ? est-elle simplement le résultat d'une conversation entre les deux artistes ? On en discute. Peint en larges touches de couleurs vives, pas ou peu mélangées, une matière parfois travaillée avec les doigts, avec le bout en bois du pinceau, voire le métal de sa virole, c'est une œuvre novatrice, révolutionnaire. Le Bois d'Amour un site proche du village de Pont Aven, inspirait particulièrement les artistes attirés ici à la fois par le primitivisme de la vie paysanne, le pittoresque de la région et aussi par le bon marché de la vie.

 

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Le musée d'Orsay qui conservé l'œuvre organise une exposition d'une soixantaine de toiles et dessins autour de ce tableau emblématique, point de départ d'une révolution esthétique, celle des Nabis. La manière de peindre de Sérusier au cours de ce séjour a changé brutalement et pour en témoigner les organisateurs ont exposé une toile « ancienne manière » pour montrer l'évolution de l'artiste en quelques mois sous l'impulsion radicale de Gauguin : Une scène d'intérieur de ferme bretonne, peinte de façon très traditionnelle, illusionniste, toute en clair obscur et au coloris sombres ; un couple en costume traditionnel pose ne sachant trop que faire devant le pinceau de l'artiste ; composition peu originale mais non sans mérite. La confrontation entre les deux tableaux montre le chemin parcouru par le jeune artiste en si peu de temps.

 

De retour à Paris en octobre 1888, Sérusier montre la composition, au cercle de ses amis : Maurice Denis, édouard Vuillard, Ker-Xavier Roussel rencontrés au lycée Condorcet à Paris, Gabriel Ibels, Paul Ranson, Pierre Bonnard qui fréquentaient comme lui l'académie Julian, et aussi émile Bernard, Georges Lacombe, des étrangers, le Belge Jan Verkade, le Danois Mogens Ballin. C'est la stupeur devant cette œuvre « informe à force d'être synthétiquement formulée » (Maurice Denis) et aussi l'admiration devant sa puissance et sa radicalité. Elle va renouveler leur manière de saisir le sujet : refus du modelé, pose des couleurs pures en à-plats, masses soulignées par un cerne plus sombre.

 

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Ce groupe de garçons se retrouvaient lors de dîners joyeux à l'ambiance détendue ; on ne dira jamais assez combien ils étaient jeunes, autour de vingt ans, et que en dépit de leur sérieux ils conservaient un côté potache. Il faut se garder de les faire entrer trop tôt au musée et de négliger leur spontanéité, leur fraîcheur. Gauguin dans la quarantaine faisait un peu figure d'ancêtre, de mentor au milieu de ces galopins. Ces repas, animés, prenaient volontiers la forme de cérémonies religieuses, voire ésotériques et, un peu par jeu, un peu par provocation, un peu parce qu'ils étaient conscients de ce que leur démarche avait de novateur, ils baptisèrent leur groupe Nabis - Prophète en hébreux. Maurice Denis raconte : « Chaque peintre était tenu d'apporter une icône, une esquisse, un dessin coloré, une élucubration quelconque, dont l'invention et l'exécution devaient être aussi peu banales que possible. »

 

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Ils parlaient esthétique, de la forme, de la couleur et osaient les mélanges les plus improbables : le Christ vert de Maurice Denis sur fond citron, la Taches de Soleil sur la Terrasse du même auteur sont d'une liberté inouïe pour l'époque et le peintre ne se permettra plus de telles audaces. Ne parlons pas de sa Montée au Calvaire où les silhouettes déformées et synthétisées à l'extrême ploient sous le coup de la douleur ; nonobstant les formes arrondies on pourrait parler d'expressionnisme. Tous ces petits tableaux comme ceux de Ker-Xavier Roussel plus sereins, plus quotidiens, torchés en quelques coups de brosse, d'une grande expressivité et aussi son portrait par son futur beau-frère édouard Vuillard...Tous ces petits tableaux peints sur carton pour la plupart, que l'on serait tenté bien a tort de traiter d'œuvrettes, sont d'une séduction extrême et annoncent les compositions plus ambitieuses. Elles en sont les premières gammes.

 

Le portrait de Paul Ranson en tenue nabique par Paul Sérusier (1890), vêtu d'une chasuble vaguement religieuse, tenant une crosse épiscopale de la main gauche, suivant du doigt le texte d'un volumineux opus sans doute ésotérique, se détachant sur un fond d'auréole rouge, jure avec sa très contemporaine barbichette, sa moustache en croc et ses bésicles. Humour ? Cet étrange tableau symbolise bien un des aspects bizarres des Nabis : la quête de spiritualité qui les habitait, assez caractéristique de cette fin du XIXe siècle où le positivisme incapable qu'il était de répondre aux inquiétudes de cette fin de siècle s'essoufflait. Une sorte de panthéisme baigne souvent certaines de leurs compositions, cela peut aller jusqu'à l'abstraction chez Sérusier, tandis d'autres plus classiquement pencheront vers un catholicisme plus ou moins libéral (Maurice Denis), voire vers des théories absconses (Filiger).

 

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Madeleine au bois d'Amour (1888), d'émile Bernard qui clôture le parcours, la plus grande toile de l'exposition et aussi la plus ambitieuse de par son format, représente le jeune sœur du peintre étendue sur le sol sous une forêt de troncs de jeunes arbres qui compose un réseau d'architecture végétale, comme un temple, comme une chapelle naturels ; en fond l'Aven miroite. On remarquera la main disproportionnée, inquiétante posée sur la taille de la jeune fille. Le tableau baigne dans une sorte de quiétude mystique sans que rien dans la toile ne justifie précisément ce sentiment. C'est une sorte de conclusion/manifeste d'un mouvement dont les membres se dispersèrent assez rapidement, mais qui n'oublièrent jamais ces années intenses.

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

- Paul SéruserLe Talisman dit aussi Paysage au Bois d'Amour, 1888, Huile sur bois, 27 sur 21,5 cm., Paris, musée d'Orsay, photo de l'auteur

- Maurice Denis, Les Arbres verts, dit aussi les Hêtres de Kerduel, 1893, huile sur toile, 46,3 sur 42,8 cm, Paris musée d'Orsay, photo de l'auteur

- Charles Filiger, Paysage rocheux, vers 1891, gouache sur papier, 22 sur 29 cm., Pont-Aven, musée de Paont-Aven, photo de l'auteur

- émile Bernard, Madeleine au Bois d'Amour, 1888, huile sur toile, 137 sur 163 cm., Paris, musée d'Orsay, photo de l'auteur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Talisman de Paul Sérusier

Une prophétie de la couleur

29 janvier au 2 juin 2019

Musée d'Orsay, niveau 0, galerie 10

1, rue de la Légion d'Honneur

75007 Paris

Tél. : 01 40 49 48 14

www.musee-orsay.fr

- Horaires et tarifs : Tous les jours sauf le lundi de 9h30 à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h45 ; tarifs, 14€, tarif réduit 10€ pour familles nombreuses et en nosturne à partir de 18h, gratuité pour les jeunes de moins de 18 ans, visiteurs âgés de 18 à 25 ans ressortissants des pays de l'Union Européenne, adhérents carte blanche et MuséO, carte jeune du musée d'Orsay, Amis du musée d'Orsay, personnes handicapées, demandeurs d'emploi et le premier dimanche du mois pour tous.

- Publication : Catalogue de l'exposition, 208p., coédition musée d'Orsay/RMN-GP 2018, 35€

- Autour de l'exposition : visites guidées, consulter le site du musée.