Expositions

 

 

 

Les Contes cruels de Paula Rego

 

 

Voilà une artiste parfaitement inconnue en France, du grand public comme du public, plus restreint, qui s'intéresse à l'art. Paula Régo à qui le musée de l'Orangerie consacre une magnifique exposition, ne laissera personne indifférent son étrange monde dédié à celui, trouble et ambigüe, de l'enfance et de l'adolescence, une vision extrêmement dérangeante, séduisante et repoussante à la fois ; c'est une parfaite et merveilleuse surprise. L'exposition qu'il faut voir en ce moment à Paris.

 

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Paula Régo est née à Lisbonne en 1935 dans une famille d'intellectuels. Elle passera les premières années et reçoit les rudiments de son art au Portugal, pays certes alors protégé des horreurs de la seconde guerre mondiale mais plongé dans l'atmosphère étouffante du régime de Salazar. Une dictature bien-pensante où sous la surface d'un moralisme intransigeant se dissimule un régime aussi autoritaire que féroce. Cette ambiance d'hypocrisie cauteleuse et de froide cruauté la marquera profondément et explique en grande partie ses hantises et ses choix.

 

Elle quitte son pays à seize ans pour achever ses études à la Slade Schooll of Fine Art à Londres. Et c'est dans cette ville qu'elle se fait remarquer. L'art de Paula Rego peu sensible aux recherches formelles de son époque est résolument figuratif et comme tel elle se trouve en empathie avec ce groupe d'artistes que l'on a réunis sous le nom d'école de Londres, tels Francis Bacon, Lucian Freud ou même David Hockney qu'elle a fréquentés, voire avec lesquels elle a entretenu des rapports d'amitié ; même si leur esthétique ou leurs recherches sont différentes voire divergentes.

 

Paula Rego épouse le peintre anglais Victor Willing et après une série de va-et-vient entre l'Angleterre et son pays elle finira par s'installer définitivement à Londres. Cependant elle restera profondément portugaise : ses personnages, courts, trapus, aux visages comme taillés à la serpe, inspirés par les paysans de son pays, sont profondément lusitaniens. Une toile importante qui ouvre pratiquement l'exposition, La Danse(1988), est typique : sous un clair de lune deux couples endimanchés, pudiquement enlacés, tournent, en arrière deux femmes et une petite fille font une ronde, tandis qu'une femme (l'auteur qui vient de perdre son époux) solitaire suit le mouvement. Les personnages, pas vraiment séduisants et un tantinet démodés, sont graves, concentrés sur leur plaisir modeste ; ici nulle allégresse, nulle folie, nulle sensualité, chacun reste enfermé dans sa solitude, nous ne sommes pas dans un de ces bals tourbillonnants de la Saint-Jean au nord de l'Europe où les couples s'enlacent irrésistiblement en une joie païenne. Un tableau empreint de ce sentiment si portugais, la « saudade », une sorte de mélancolie fataliste qui est la matière de ce cri d'un peuple, le « fado ».

 

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On a parlé de Goya à propos de cette toile, est-ce si pertinent ? L'Aragonais est un de ses modèles, mais pour d'autres compositions où le fantastique fait irruption. Odilon Redon, Gustave Doré, Grandville, Daumier et même – cela surprendra – le charmant Benjamin Rabier, ou, plus proche, Louise Bourgeois l'inspireront. Dans le domaine de la littérature enfantine dont elle perçoit la cruauté sinon la perversité cachée, elle fait son miel des Nursery Rhymes, de Pinochio, des personnages de la comtesse de Ségur, sans parler des contes de Perrault. Les petites filles qu'elle représente en de nombreuses compositions ne sont rien moins que des petites filles modèles : par exemple dans la première salle un chaperon rouge à la mode portugaise caresse un pauvre loup rouge, un peu inquiet, enfermé dans une sorte de structure - une cage ? À sa place on se méfierait et on comprend son désarroi... 

 

Paula Rego pratique volontiers l'inversion des situations ; c'est une manière pour elle de dénoncer les vices et les injustices : la situation faite aux femmes ou l'iniquité de la hiérarchie sociale. Et en matière de féminisme elle ne craint pas de frapper fort. Une toile assez effrayante en dépit de son traitement proche de la ligne claire de la bande dessinée montre une chambre d'enfant où trois petites filles, sans la grâce que l'on prête à cet âge, entreprennent de déshabiller un homme étrangement impassible – leur père ? L'une tire sur la manche de sa veste pour l'ôter, la seconde après avoir ouvert la braguette de son pantalon entreprend de le faire glisser , la troisième en une parodie de piété joint ses mains, tandis que dans le fond de la chambre, un théâtre de guignol ouvre ses rideaux sur une image de la Madone et d'un saint Georges terrassant le dragon. Comment ne pas penser devant cette toile au drame intime de la pédophilie auquel nous sommes si sensibles aujourd'hui, plus qu'au moment de la réalisation de cette œuvre, 1988 ? Plus loin, la série des femmes chiens, à la fois soumises à leur maître et agressives est d'une étrange force et que dire des Autruches dansante de Fantasia de Disney? Des femmes largement ménopausées aux visages burinés, semblant attendre un improbable amour, paraissent s'éveiller ; l'œuvre de la plasticienne est un impitoyable théâtre de la cruauté.

 

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Le couloir d'entrée expose en hauteur comme toisant le visiteur des mannequins inquiétants, un lustre fait de sirènes masculines parodiques. Nous les retrouverons plus loin dans une étrange composition inspirée par le thème plein d'amertume d'une pièce de Martin McDonag, L'épouvantail et le porc: devant une petite ville sur l'Atlantique nichée au sein de montagnes arides (Nazaré ? Les Açores ?) se déroule une scène directement inspirée des chemins de croix des églises. Au premier plan une tête de porc ensanglantée, puis un épouvantail semblable à un crucifix blasphématoire - une femme en élégante robe verte le tête en crâne de bœuf, clouée à une croix rouge - s'entourent de créatures plus ou moins fantastiques. Composition difficile à lire, étrange, dérangeante où le réalisme le dispute à un fantastique directement issu des Bosch et des Breughel cela nous fascine, sans que l'on en saisisse toutes les acceptions, et hante l'esprit. L'artiste cherche aussi volontiers son inspiration dans la littérature. Jane Eyrede Charlotte Brontë, The Pillowmand'après une autre pièce de Martin McDonagh, Balzac et sonChef-d'œuvre inconnu,elle en donne une interprétation très personnelle dans de grands triptyques parfois un peu chaotiques.

 

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Pour un Français l'art de Paula Rego a quelque chose de familier malgré ce que l'on vient d'écrire plus haut ; c'est que son travail n'est pas sans rappeler celui des artistes que l'on a réunis chez nous sous le nom de Figuration Narrative- un art qui privilégie le sens sur la facture, un art qui s'inscrit de plein pied dans son temps et qui entend dire et dénoncer ce qui dérange dans le monde tel qu'il va aujourd'hui. La plasticienne invente une technique picturale qui n'appartient qu'à elle : elle mélange la peinture à l'huile avec le pastel dont, loin d'adopter le velouté traditionnel, elle zèbre les toiles de dimensions respectables. De même, sans tout à fait le négliger, le traitement de la couleur est classique mais il lui arrive d'avoir des fulgurances, la jupe flamboyante deAngel, le vert émeraude de l'épouvantail...

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figures Dans le couloir d'accès, photo de l'auteur.

-The Dance, 1988, acrylique sur papier marouflé sur toile, 216,6 sur 274 cm, private collection/ Bridgman Images.

- Scavenger, 1994, pastel sur papier, 120 sur 160cm. Collection particulière © Paula Rego, courtesy Marlborough Fine Art

- Dancing Ostrisches from Disney Fantasia(Triptich, right panel), 1995, 150 sur 150cm. Pastel sur papier, monté sur aluminium, Collection particulière © Paula Rego, courtesy Marlborough Fine Art

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Contes cruels de Paula Rego

Jusqu'au 14 janvier

Musée de l'Orangerie

Jardin des Tuileries, côté Seine, 75001

Tél. : 01 44 77 80 07 et 01 40 50 44 00

Internet : www.musee-orangerie.fr

Horaires et tarifs : tous les jours sauf le mardi de 9h à 18h. Tarif, 9€, tarif réduit, 6,50€.

Publication : Catalogue de l'exposition sous la direction de Cécile Debray, 208p., 120 illustrations env., 39€

Animation culturelle : Visites guidées, ateliers, films, conférences, consulter le site des galeries.