Expositions

 

 

 

 

 

Picasso et la danse

 

 

 

En cette fin de printemps morose, avec un été pas plus heureux qui s'annonce, nous avons besoin d'un peu de plaisir, de joie, de frivolité. La Bibliothèque nationale de France avec l'Opéra Garnier nous offrent cette bouffée d'optimisme en proposant une charmante exposition Picasso et la Danse. La leçon de ce vieux bonhomme faunesque, toujours jeune, est plus que jamais d'actualité. On ne trouvera ici ni grand tableau, ni grande composition intimidante, mais des dessins - parfois des caricatures amusantes, jamais méchantes -, des costumes et leurs modèles, des projets de décor, des photos et des gravures et toute une série de documents qui nous font entrer dans l'intimité d'une création qui fut tout sauf pontifiante.

 

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L'intérêt du maître pour le monde du cirque et l'univers des saltimbanques l'a conduit très tôt à s'intéresser à la danse et les deux gravures exposées ici, datant de 1905, montrant des écuyères dansant en témoignent, mais ce goût se cristallise une dizaine d'années plus tard, avec La découverte des ballets russes et sa rencontre avec Olga Khokhlova une ballerine de la troupe dont il tombe amoureux et qui le conduira jusqu'au mariage. 

 

Cocteau en 1915 l'avait mis en relation avec Diaghilev et les ballets russes. Le jeune poète souhaitait travailler avec celui qui était encore le chef de file des Cubistes et l'impliquer dans la création du ballet qu'il méditait de créer, Parade, sur une musique d'Éric Satie et une chorégraphie de Léonide Massine. Non seulement Picasso dessine le rideau de scène, donne les dessins pour les costumes et intervient jusque sur les maquillages mais encore il fait une proposition de fond, acceptée, de remplacer les voix devant présenter les numéros par deux « managers », un français et un américains (les états-Unis viennent d'entrer en guerre aux côtés des alliés). Deux rôles muets pour lesquels il crée deux grands masques cubistes, reconstitués ici. C'est une sorte d'adieu à une période qui a fondé sa notoriété. La première du ballet eut lieu le 18 mai 1917 au théâtre du Châtelet. Ce fut un beau scandale. Il faut dire que l'époque n'était pas franchement favorable aux extravagances : la guerre s'éternise et on n'en voit pas la fin, les mutineries de printemps ne sont pas loin. Le pays s'arque-boute sur ce qui lui semble les valeurs fondamentales. Le moment du doute et des remises en cause n'est pas encore venu.

 

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Le Tricorne, ballet sur un argument tiré d'une œuvre de Alarcon, musique de Manuel de Falla est le seconde participation majeure du peintre (1919). Décor et costumes s'inscrivent dans la tradition populaire andalouse. Formes simples et couleurs soutenues pour les costumes, paysages épurés qui se souviennent d'un cubisme synthétique pour les décors, et ce parfois non sans humour : le panneau des arènes pour la corrida avec ses silhouettes d'Andalouses coiffées de leur « peineta » et drapées dans leur grands châles font d'amusants fantômes... Ne l'oublions pas chez l'artiste le ludique n'est jamais très loin.

Au total Picasso va travailler pour une dizaine de ballets, outre les deux spectacles cités, notons, Pulcinella(1920),Mercure (1924) et les rideaux de scène pourLe Train bleu(1924) et Le Rendez-vous (1945)... L'Opéra de Paris, désireux de se renouveler et de coller à son temps, au lendemain de la seconde guerre mondiale va les faire entrer dans son répertoire. Ils en font toujours partie aujourd'hui.

 

Plus tard, beaucoup plus tard en 1968, Picasso va graver une eau forte « Picasso, son œuvre et son public », sorte d'adieu nostalgique à une période de création intense et de bonheur où il fixe l'image d'un Cocteau jeune inspirant le vieillard qu'il est devenu. Car la période de collaboration à des ballets, ne fut pas simplement un épisode particulièrement heureux dans sa carrière, mais bien un moment fondateur où il s'abstrait des recherches formelles d'un cubisme trop intellectualisé pour donner libre cours à une inventivité débordante et aborde sa nouvelle période surréaliste. 

 

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La suite de l'exposition se compose principalement d'estampes et de photos, elle décline les différentes représentations de la danse par lesquels s'exprime son amour de la vie. Gravures au trait, aquatintes, eaux fortes, vernis mous, lithographies, linogravures etc., Picasso en a expérimenté toutes les possibilités et il a particulièrement brillé dans un art qui est important dans le déroulement de son œuvre.

 

Picasso aimait la danse, il lui arrivait même de danser dans la rue, et une des dernières photos exposées, de Douglas Duncan collectionneur et critique ayant adopté la France, le montre esquissant un pas-de-deux avec Jacqueline Roque sa dernière compagne en 1957. Il aimait aussi la tauromachie, goût qui n'est guère apprécié aujourd'hui où les défenseurs du bien-être animal s'insurgent – pas tout à fait à tort - contre une utilisation de la douleur animale à des fins de distraction. Le peintre, lui, était sensible aux bruits, à la musique entrainante, au ballet virevoltant les picadors et des matadors, à l'atmosphère tantôt ludique, tantôt grave de ce qui est finalement un cérémonie de vie et de mort qui plonge ses racines dans le plus profond passé de l'humanité. Il a su rendre ces moments en des aquatintes au sucre, il y pose quelques taches et traits apparemment posés au hasard pour suggérer la grandeur cruelle de ce jeu tragique. 

 

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Après la seconde guerre mondiale, Picasso fait un retour aux sources du classicisme et aussi revient à ses premières amours. Étonnante Danse des banderilles, où il réunit dans une claire lithographie quelques-uns des thèmes qui ont émaillé sa carrière : néoclassicisme de la danseuse nue menaçant de planter deux banderilles sur la tête d'un taureau que tient un pâtre barbu tandis que de l'autre côté de la feuille, un singe, une vieille femme, évoquant irrésistiblement la « Célestine » de sa jeunesse, une saltimbanque au tambourin et une petite fille portant un pot sur la tête. Nymphes et satyres musiciens, dansant, gesticulant, se contorsionnant en des sarabandes expressives, ou des bacchanales érotiques, voire franchement pornographiques, grotesques à d'autres moment, peuplent bizarrement ces compositions, jamais vulgaires ; elles disent à la fois son amour de la vie et de la culture classique qu'il semble pourtant bousculer. Les critiques ont noté les références à Poussin, à Ingres etc., mais cela a-t-il de l'importance ?

 

Mais Picasso n'était-il pas lui-même possédé par la danse ? Ne serait-elle pas une des clefs pour entrer dans le secret de son incroyable fécondité ? de sa virtuosité ? Gion Mili quand il photographie le peintre œuvrant avec un crayon lumineux fixe ainsi une sorte de danse secrète et rentre dans l'intimité d'une création. Nefrôle-t-il pas le secret du « Mystère Picasso » ?

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 - Projet pour le rideau de scène du ballet Parade (1916-1917), crayon graphite et aqquarelle sur papiero. Musée national Picasso-Paris. Dation Pablo Picasso, 1979, MP 1557 © Succession Picasso 2018

2 - Vue de l'exposition avec reconstitution des costumes du Tricorne, photo de l'auteur

3 - Pablo Picasso, Trois danseuses (1919-1920), crayon graphites sur trois feuilles de papier raboutées. Musée National Picasso-Paris. Dation Pablo Picasso, 1979, © Succession Picasso 2018

4 - Pablo Picasso, Arlequin à la batte dansant, 1918, crayon graphite sur papier. Musée National Picasso-Paris. Dation Pablo Picasso, 1979, © Succession Picasso 2018

 

 

 

 

Picasso et la danse

19 juin – 16 septembre 2018

Bibliothèque-musée de l'Opéra, Palais Garnier

Entrée à l'angle des rues Scribe et Auber, Paris 9e

- Internet : www.bnf.fr;www.operadeparis.fr

- Horaires et tarifs : tous les jours de 10h à 17h ; tarifs, 12€ et 8€, gratuité pour les moins de 12 ans, les personnes en situation de handicap et leur accompagnateur, demandeurs d'emploi.

- Publications : catalogue sous la direction de Béranger Hainaut et Inès Piovesan, BNF ed., 192p., 100 ill., 39 €.