Expositions

 

 

 

Enfers et fantômes d'Asie

 

 

 

 

 

 

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Envie de frissonner de crainte avec délices? Embarquez-vous dans cette croisière de la terreur que propose le musée du quai Branly. C'est si bon d'avoir peur... En toute sécurité... La bizarre expositionEnfers et fantômes d'Asieest un ovni dans le monde feutré des expositions parisiennes. Mélange d'œuvres d'art – sculptures, dessins et estampes -, de pièces archéologiques, de masques de théâtre nô, de marionnettes, de costumes - religieux ou de carnaval - d'affiches et d'extraits de films, de bandes dessinées, d'objets populaires en bois et en plastique, de mangas, de jeux vidéos, il y a de tout ici. Le plus rare voisine avec le plus courant, le matériau les plus noble tutoie le plus vulgaire, le plus quotidien... les organisateurs ne se refusant rien n'ont pas résisté à la tentation de commander aux studios de cinéma QFX, spécialiste des films d'horreur en Extrême-Orient, la reconstitution, grandeur nature et dans le réalisme le plus cru, des pénitences infligées aux pécheurs ; Ils ont aussi fait produire des scènes oniriques en hologramme plus poétiques. Un exemple ? Le visiteur passera sous une porte des Enfers qui ressemble à la gueule ouverte d'un des monstres du jardin maniériste de Bomarzo en Toscane - porte flanquée de deux créatures infernales khmères en grès du XIIe siècle – pour déboucher sur la reconstitution du supplice d'un réprouvé thaïlandais condamné à escalader un arbre à épines sous la surveillance d'un démon. Cette plongée dans l'imaginaire de plus d'un quart de la population mondiale, aussi vivante que réussie, ne relève cependant pas que du simple divertissement, nous ne sommes pas à Lune Park, c'est une très sérieuse occasion de mieux comprendre une humanité qui nous semble si lointaine. « étranges étrangers... »

 

Enfer3Les croyances en un au-delà inquiétant et maléfique, qui intervient aussi dans la vie quotidienne est bel et bien vivace encore en ce début du XXIe siècle dans la vaste aire culturelle qui couvre la Chine, la Corée, le Japon et une grande partie du Sud-Est Asiatique, territoire où l'influence du Bouddhisme est profonde. Là s'épanouit une culture populaire vivante et riche qui peut nous désarçonner, nous, adeptes d'un rationalisme un peu étriqué. Dans le Bouddhisme, il y a un au-delà, comme dans toutes les grandes religions, mais à la différences du Judaïsme, du Christianisme et de l'Islam, s'il y a un enfer, ici, il n'y a pas de paradis, puisque le but final de l'individu à travers un cycle de vies et de réincarnations, est de se fondre, lorsqu'il aura atteint le détachement parfait, dans le nirvâna.

 

Toutes les actions sont comptées, pesées et les juges infernaux infligent la punition méritée. En Chine, ce tribunal est strictement hiérarchisé, organisé selon le schéma confucéen à l'instar de la société terrestre et l'on aura soin de munir le défunt de monnaie de papier pour acheter l'indulgence des juges ; une amusante et vivante maquette d'un cortège funèbre fait le contre-point aux statues et peintures représentant ces magistrats célestes ; ils ressemblent furieusement aux vivants, à la différence de leurs assistants démoniaques qui ont nettement mieux inspiré les artistes. Figures repoussantes, grimaçantes, inspirant une crainte salutaire leurs images ne vont pas, parfois, sans un certain humour, tel démon prenant son bain dont les chairs flasques et gélatineuses débordent du bac prête à sourire en dépit de cornes, d'oreilles animales, d'yeux furibards.

 

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Goules, vampires, fantômes, squelettes ricanants, esprits mauvais, réincarnations terrifiantes de trépassés par violences ou noyades, une armée de créatures maudites peuplent un monde de l'au-delà si proche et si mystérieux. Victimes de crimes atroces réclamant justice, réincarnation de criminels aux instincts dépravés, ces esprits viennent tourmenter les vivants ou se venger du mal qui leur a été fait. Ce monde bouillonnant a irrigué et irrigue toujours toute une littérature, le théâtre classique comme les médias d'aujourd'hui : cinéma, mangas, jeux vidéo... évidemment on peut préférer les estampes d'Hokusai, de Kuniyoshi, de Kunisada, les rouleaux d'Ôkyo, aux productions grand-guignolesques actuelles – ou le contraire ! -, mais on n'aura garde d'oublier que ceci explicite cela et que les merveilleuse gravures et les subtils lavis sont la face noble d'un art populaire vif et dru, si vivant, si expressif. Ce côté de l'exposition est sans doute le plus intéressant le plus novateur.

 

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Qui dit fantômes et esprits malins dit enfin exorcisme, l'exposition se termine sur quelques pratiques magiques destinées à protéger les vivants et contrecarrer les entreprises des revenants. Le plus spectaculaire est sans aucun doute la reconstitution d'un exorcisme de prêtres taoïstes contre des vampires sauteurs : trois mannequins vêtus de robes brodées somptueuses, grimaçants, sautent à pieds joints en hurlant des formules propitiatoires. Ou encore, le masque et le costume de Shishi – lion mythique – que l'on peut voir dans les quartiers chinois de nos villes lors des fêtes du printemps. Enfin la dernière salle expose quelques pièces archéologiques prêtées par le musée Cernuschi des créatures aussi fantastiques qu'inquiétantes protégeant les tombeaux. Êtres mi homme, mi bêtes, ces créatures hybrides datant de la période Wei (VIe – VIIIe siècles), amuseront plus qu'ils ne feront peur, l'un d'eux évoquant irrésistiblement un nain de jardin...

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

- Porte des enfers , créée par QFX pour le musée du quai Branly - Jacques Chirac © musée du quai Braly - Jacques Chirac (Photo de l'auteur)

- Le démon du tonnerre Raijin prenant son bain , attribué à K. Kyoshi (1831 - 1889), Japon, peinture sur papier, © Musée du quai Branly - Jacques Chirac Paris (Photo de l'auteur)

- Utagowa Kuniyoshi, La princesse Takiyasha et le spectre-squelette, 1844, estampe © Victoria & Albert Museum, Londres

Prêtres taoïste contre vampires sauteurs (et autres esprits maléfiques). Chine XIXe siècle, bottes, chapeaux, manteaux et robes, soie, feutre et cotton. Musée du quai Branly - Jasques Chrac, legs Auguste François, don musée Citroën. (Photo de l'auteur)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Enfers et fantômes d'Asie

Galerie jardin

Jusqu'au 15 juillet 2018

Musée du quai Branly – Jacques Chirac

37 quai Branly, 75007 Paris

- Tél. : 01 73 11 31 61

- Site internet : www.quaibranly.fr

- Horaires et tarifs : mardi, mercredi et dimanche de 11h à 19h, jeudi, vendredi, samedi, de 11h à 21h. Tarifs : 10€, tarif réduit, 7€ ; billet jumelé avec le musée 12€ et 9€.

- Publications : catalogue, Enfers et Fantômes d'Asie.- Paris, 2018, coéditions Flammarion / musée du quai Branly Jacques Chirac, 280p., 190 ill., 45€.

- Autour de l'exposition : visites guidées, en famille, ateliers, animations, consulter le site.◊