Expositions

 

 

 

Qu'avons nous fait de nos jeunes années?

 

 

L'esprit français,

contre-cultures 1969-1989.

 

 

 

La Maison rouge, après tant d'expositions aussi stimulantes qu'originales propose de se pencher sur une période encore proche de la notre et pourtant si lointaine, celle des bouillonnantes années 70. L'esprit contestataire le plus joyeux et le plus impertinent avait droit de cité à Paris : en plus de dix ans, au cours ce qui paraît aujourd'hui comme un happening permanent, l'édifice vermoulu de la vieille société française sclérosée, murée dans des certitudes immuables sera mis à bas. La France crevait, ce fut une résurrection. Cette contestation marginale au départ, qui ne fut parfois pas sans complaisance, était d'une urgence absolue. Un pays plus moderne, plus décontracté, surgira de ce désordre apparent, le notre en dépit de ses imperfections. Cette agitation débouchera sur l'arrivée au pouvoir de Mitterand un certain 10 mai 1981 qui verra tout un peuple de gauche crier sa joie et son espoir à la Bastille avant, avant... On connaît la suite moins glorieuse.

 

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Les organisateurs ont fait fort : Dès la première salle le visiteur est confronté à l'œuvre iconoclaste de Michel Journiac Au Putain inconnu : un véritable squelette revêtu d'un jean peint en blanc gisant sur un drapeau tricolore. Souvenirs, souvenirs... La performance se déroulait dans la galerie de Sylvia Bourdon, une ancienne star du porno recyclée en galeriste, Michel entrait flamberge au vent, il embrassait sur la bouche la dame en tenue de maîtresse sévère, avant d'en faire de même au jeune homme au premier plan ; pendant ce temps celle-ce se masturbait avec la poignée de l'épée en forme de verge turgide. Évidemment la cérémonie était d'une symbolique plus complexe mais l'essentiel est dit : est-il seulement imaginable qu'une telle performance puisse encore se dérouler ? Dans une galerie ouverte à tout le monde ? Le plasticien occupe une place centrale dans l'exposition, son autre grande installation contre la peine de mort est tout aussi radicale : Piège pour une exécution capitale (1971), une guillotine peinte en blanc (la couleur, ou plutôt l'absence de couleur, fétiche de l'artiste) que le condamné atteint après un véritable chemin de croix (n'oublions pas que Michel fut séminariste) donna lieu à une autre performance sanglante que retransmet une vidéo. Hara Kiri dans le même ordre d'idée avec un humour grinçant ne revendiquait-il pas : pour une peine de mort plus humaine : la tronçonneuse.

 

L'époque était radicale, un foisonnement de publications contestataires surgies de partout, supports d'une revendication tous azimuts, où un humour féroce devient une arme de combat, Hara Kiri, l'Idiot international, Le Fléau social, L'antinorm, Le Torchon brûle, fanzines de tous poils, donnent la parole ceux à qui on ne la donnait jamais : femmes, homosexuels, prisonniers, malades mentaux, écoliers, ouvriers... Une pléiade d'humoristes, de dessinateurs, de graphistes réinvente la communication, slogans coup de poing, dessins d'une simplicité ravageuse, mauvais goût assumé, insolence gratuite, blasphème outrageant ; d'un coup les réseaux contestataires traditionnels, syndicats, associations prennent un coup de vieux et deviennent inaudibles. Copi, Reiser, Topor, Claire Brétecher, dissèquent d'un scalpel impitoyable une société patriarcale vermoulue, comme les nouvelles modes.

 

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Un certain nombre de plasticiens tournent le dos à une scène artistique parisienne où régnait un nouvel académisme : une abstraction trop policée et raffinée comme un surréalisme dont les insolences codifiées ne scandalisaient plus grand monde. « Révolutionner la peinture ou peindre la Révolution » ? Le slogan du Bulletin paroissial du curé Meslier pose clairement le problème. Leur volonté de s'adresser à tous, surtout à ceux qui ne possèdent pas les codes et ne fréquentent ni les galeries encore moins les musées, les fait renouer avec une figuration honnie pour mieux dire la réalité d'un monde inacceptable. Ce sera la Figuration narrative. Certains plus radicaux encore refusent le statut d'artiste et travaillent dans l'anonymat de « coopératives ». Celle de Malassis peint un polyptyque consacré à l'affaire Gabrielle Russier (une professeure conduite au suicide par l'acharnement judiciaire des parents de son jeune amant mineur) qui passionna la France. Simple et efficace le panneau central, fait de quatre carrés, montre le couple faisant l'amour au-dessus d'une nature morte de mortiers (le chef des magistrats) et de casques de policiers. Monory et son univers glacé, Klasen et ses paysages industriels, Gilles Aillaud et ses animaux enfermés, déclinent eux aussi les images d'un monde devenu étouffant.

 

Esprit3La sexualité devient un enjeu majeur des changements. Le féminisme se radicalise, la dépénalisation de l'avor-tement devient effective, les homosexuels, après des siècles de répression reven-diquent leur « fierté » - Ils ne sont pas encore des gays et les premières Gay Pride ne réunissent pas des centaines de milliers de participants mais le mouvement est lancé. Ce joyeux renouveau touche toutes les formes de l'expression artistique : cinéma, bande dessinée, littérature, musique, arts plastiques... La dérision, un humour féroce sont les armes de ce combat efficace. Pierre et Gilles qui commencent leur carrière et Marie-France la ravissante chanteuse trans-genre, Copi et d'autres encore sont typiques de l'époque et en sont le sourire.

 

Ces séduisantes icônes contestataires, ne doivent pas faire oublier les gênantes photographies mi pornographiques mi revendicatrices d'un moi sexuel hors norme de Molinier ou les objets agressifs faits d'instruments tranchants de Daniel Pomereulle. La grande Nana de Raymonde Arcier – Au nom du père 1977 –, radicale, refuse les séductions de la couleur et des formes rebondies de sa contemporaine Niki de Saint-Phalle : son immense « ouvrage de dame » tricoté, portant deux sac de ménagère (la fameuse ménagère de moins de cinquante chère aux sondeurs et autres publicistes), grouillante de bébés de celluloïd, d'une sensualité agressive, domine de ses plus de deux mètres cinquante de haut la première partie de l'exposition. Sa présence obsédante, on la voit de partout, est une sorte de totem protecteur à ce qui pourrait passer comme un foutoir allant dans tous les sens.

 

Une mélancolique installation de Claude Lévêque, commande des organisateurs, termine le parcours : une allée entre deux grillages derrière lesquels gisent sur le sol, comme jetés, perdus, les restes d'une foule, chapeaux, masques, débris divers... La fête est bien finie, bienvenue dans les années de la crise !

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Michel Journiac, Hommage au Putain inconnu, 1973 © Achiv Acquaviva, Berlin, photo Thierry Ollivier/ADAGP, Paris 2017.

- Coopérative de Malassis, détail de qui tue ? Ou l'affaire Gabrielle Russier, sous-titré « L'histoire vraie d'une jeune femme, de son histoire d'amour, de sa mort » 1970, ©Musée des Beaux-Arts de Dôle/ Photo de Claude-Henri Bernardot.

- Raymonde Arcier, Au nom du père, 1977, © Raymonde Arcier, courtesy de l'artiste, photo de l'auteur.

 

 

 

 

 

 

 

L'esprit français,

Contre cultures, 1969-1989

Jusqu'au 21 mai 2017

La maison rouge

Fondation Albert de Galbert

10, boulevars de la Bastille, 75012 Parisienne

- Tél. : 01 40 01 O8 81

- Internet : www/lamaisonrouge.org

- Horaires et tarifs : du mercredi au dimanche de 11h à 19h., nosturne jusqu'à 21h le jeudi, fermé le 1r mai. Tarifs : 10€, 7€ pour les 13-18 ans, étudiants, Maison des artistes, plus de 65 ans, gratuité pour les chômeurs, les moins de 13 ans, les personnes handicapées, membres de l'ICOM et les Amis de la Maison rouge.

- Publication : catalogue, co-édition de la Maison rouge et des éditions La Découverte, sous la direction de Guillaume Désanges et de François Piron, 320 p., 35€

- Autour de l'exposition : films, débats, rencontres, programme à découvrir sur le site de la Maison Rouge, un mercredi par mois contes pour les enfants.