Expositions 

 

 

Aventuriers des mers

                    De Sindbad à Marco Polo

 

 

 

 

Sous le ciel gris de Paris, une image insolite qui parle d'ailleurs aventureux et ensoleillés, un boutre d'Oman – Le Nizwa, bateau de pèche traditionnel - a jeté ses amarres sur le parvis de l'Institut du monde arabe. Il sert de hors d'œuvre à l'exposition que propose l'institution et consacrée au monde de la mer des pays du Moyen Orient pendant notre moyen âge, exposition qui émigrera l'été prochain au MuCEM de Marseille. C'est vivant, passionnant et souvent ludique, le visiteur, quelque soit son âge et ses intérêts, trouvera dans ce parcours de quoi s'émouvoir, admirer. Il y a là des miniatures raffinées, des tableaux, des gravures, des instruments aussi beaux que sophistiqués, des maquettes de voiliers, des verreries colorées, des poteries chatoyantes, des fragments de tissus somptueux, de l'or... mais aussi des videos, des extraits de films et enfin des personnages en trois D. Tels des fantômes venus d'outre tombe, ils nous parlent ; explorateurs, géographes, marins, aventuriers, ils témoignent de ces temps héroïques. Quelques vidéos de Christine Coulange, artiste multimédia, plongent le visiteur dans l'ambiance de ce monde disparu.

 

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La mer, cette immensité mouvante aux caprices redoutables, a toujours fasciné et terrifié les hommes. La première salle tente et réussit à faire partager les sentiments ambivalents que fait naître cet espace sans limite. Si à l'instar du poète on peut dire « Homme libre toujours tu chériras la mer », il n'en reste pas moins que l'élément liquide inquiétait avec ses colères imprévisibles et dévastatrices, les monstre plus ou moins réels, plus ou moins fantastiques, le peuplant ; il fallait un courage hors du commun pour s'aventurer là et affronter toutes ces épreuves. Deux squelettes de mâchoires de requins, assez effrayantes, des miniatures représentant des monstres symbolisent ces périls. On remarquera la magnifique miniature de Tabriz en Iran du XIVe siècle et représentant Jonas et la baleine : les méandres du poissons se perdent dans les arabesques simulant les flots et la végétation de la terre en une composition quasi abstraite et dynamique dont émerge le personnage assez déconfit. L'harmonie bleue et vertes de la composition est d'une grande subtilité.

 

Boutre2Voyages périlleux, mais commerce lucratif, si lucratif que marins et marchands trouvaient le courage d'affronter ces dangers. Les fouilles de quatre épaves qui ont livré une partie de leur cargaison intacte, de par leur dispersion dans le temps et dans l'espace témoignent de l'ampleur et de la permanence de ce trafic : l'une au large des côtes du Var (Xe siècle), l'autre en Indonésie à Beilitung (IXe siècle), la troisième au large de Dubrovnik dans la baie de St Paul (XVIe siècle), la dernière, celle du San Diego qui sombra près de Manille en 1600. Ces marins ne se contentaient pas de commercer, ils rapportaient une infinité de renseignements qui permirent d'établir les premières cartes, les portulans. La grande reproduction de la carte du monde d'alors (XIIe siècle) établie par Al-Idrîsî, montre que la terre connue, ignorait l'Afrique noire, en dehors de sa frange nord, comme l'Amérique pas encore découverte.

 

 

Boutre4L'Est de la Méditerranée, territoire des empires musulmans, jouissait d'une situation géographique unique : tout le commerce de l'Europe avec l'extrême Orient, que ce soit par terre, c'était la fameuse route de la soie, ou par mer, devait traverser leurs territoires. Les boutres, tel celui qui se dresse devant l'Institut, ont été mis au point au IXe siècle. Les maquettes de ses variantes scandent le parcours, elles décrivent bien ces navires de petits tonnages solides, adaptés aux gros temps comme à la mousson, qui assuraient un commerce maritime de cabotage et plus rarement de navigation hauturière. Ils étaient loin d'égaler les grosses jonques chinoises aux tonnages respectables, mais ils étaient bien suffisants pour un commerce de luxe, d'objets de grande valeur, produits rares, peu volumineux, à forte valeur ajoutée qui permettaient des bénéfices fabuleux. D'Inde, de Chine, venaient épices, parfums, ivoire, soie, porcelaine, verres auxquels s'ajoutaient les produits des manufactures locales syriennes, turques, égyptiennes, dinanderie, cristaux, faïences, tapis, tissus précieux... Les cours européennes, les grandes institutions religieuses étaient avides de ces objets de prestige. Mais bientôt des ateliers européens viendront faire concurrence à cette production : terres cuites vernissées de Manises en Espagne, verres colorés de Venise – dans ce dernier cas la tradition perdure encore aujourd'hui. À l'instar de la céramique musulmane qui s'était renouvelée quelques siècles auparavant au contact de la porcelaine chinoise importée. Tous ces objets se retrouvent dans les vitrines de l'exposition venant des plus grandes collections et musées. Il faut bien le dire c'est extrêmement séduisant, encore plus intéressants sont ces objets métissés exposés dans une vitrine au centre du parcours : meubles indo-portugais incrustés d'ivoire et de matières précieuses, un superbe crucifix en ivoire, des statuettes sculptées dans le même matériau etc.

 

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à la fin du XVe siècle les Portugais en achevant de contourner l'Afrique ouvrent de nouvelles voies, les Espagnols découvrent l'Amérique. Le monde bascule, les routes du grand commerce se détournent de la Méditerranée orientale et de la Mer Rouge. En quelques années, la prospérité de ces régions s'effondra ainsi que celle de leurs correspondants européens, Venise et les républiques italiennes. Un canon portugais du XVIe siècle qui clôt le parcours, symbolise une rupture qui fut loin d'être pacifique.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

- Illustration du Boutre Nizwa, © Reno Marca

 

- Flacon aux armes du sultan Rassoulide du Yemen, Egypte ou Syrie, 1295-1296, verre doré, émaillé, Londres © Vistoria & Albert Museum / Photo de l'auteur

 

- Al-hârith part pour un Voyage lointain dans l’océan IndIen en compagnie d’abû Zayd. Al-Harîrî, Al-Maqâmât (Les Séances), miniatures et calligraphie d’Al-Wâsitî, Iraq, 1237 © Bibliothèque Nationale de France - Paris

- Canon portugais, XVIe siècle, photo de l'auteur

 

 

 

 

 

 

Aventuriers des mers, de Sindbad à Marco Polo

Jusqu'au 26 février

Institut du monde arabesques

1, rue des fossés St-Bernard, 75005 Paris

- Tél. : 01 40 51 38 38

- Site internet : www.imarabe.org

- Horaires et tarifs : du vendredi au mardi de 10h à 18h, samedi, dimanche et jours fériés de 10h à 19h. ; tarifs 12€ et 10€.

- Publications : Catalogue sous la direction de Nala Aloudat, Agnès Carayon, Vincent Giovanni. - 224p.,€ ; N° spécial de la revue Al Qantara, octobre 2016 ; Hors série, Connaissance des arts, 52 p. ; livret-jeunes, 6€, un exemplaire est offert aux CDI et aux classes ; Journal de Mickey, corsaires et pirates, offert aux enfants participant à l'atelier du même nom et aux abonnés d'Île-de-France du journal.

- Activités culturelles : visites guidées, ateliers, cinemas, concerts, consulter le site de l'Institut.