Expositions

 

 

Monumenta

                     Empires de Huang Yong Ping

 

 

 

 

D'entrée, le visiteur bute sur un haut mur multicolore fait de conteneurs un peu cabossés, un peu crasseux, polychromie de tons où les bleus, les verts, les rouges, les blancs assourdis ne réfléchissent pas vraiment la lumière ni ne composent une joyeuse symphonie ; des lettres ça et là, animent, sobre calligraphie utilitaire de caractères industriels, les surfaces. Cela choque, cela oppresse, mais l'effet est puissant et cela déroute : où sommes nous ? Où est le fameux et immense espace de la verrière du grand palais ? Là, un peu plus loin, vers les trouées lumineuses à droite et à gauche. On conseillera au visiteur de prendre à gauche ce sombre couloir, dont l'obscurité a quelque chose de religieux de par ses parois vertigineuses, il découvrira alors dans toute sa dimension démesurée la dramaturgie que propose l'artiste chinois vivant et travaillant en France, Huang Yong Ping. Empires... Cette puissante installation – osera-t-on le terme de colossal ? - occupe pleinement un volume intimidant sur lequel plus d'un plasticien s'est cassé les dents. Pari réussi d'un artiste qui a su prendre en compte l'immensité qui lui est proposée et en faire un des éléments de son message. Message simple, sans équivoque et compréhensible même pour le visiteur le moins au fait des subtilités de l'art contemporain : nous vivons sous l'empire d'une économie qui nous écrase.

 

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Le visiteur bute sur la mâchoire acérée d'un monstrueux reptile en fonte d'aluminium de deux cent cinquante quatre mètres de long dont ne subsiste que le squelette ; elle semble vouloir le happer. Serpent? Dragon ? La bête, inquiétante par son côté fantastique et séduisante par l'éclat du métal, serpente et étreint l'architecture assez simple de l'installation : une allée centrale, un dromos, dominé en son mitan par un portique élévateur RTG (Rubber Tyre Gantry), une sorte d'arc triomphal de l'ère industrielle, le tout est coiffé d'un grand bicorne dont on apprend qu'il s'agit de celui que portait Napoléon Bonaparte à la bataille d'Eylau – une des plus sanglantes de l'histoire, vingt cinq mille hommes y laissèrent la vie. Ce n'est pas vraiment séduisant, pas vraiment beau au sens courant, mais cela en impose et surtout cela parle.

 

Huang Yong Ping (HYP selon cette formule agaçante issue du monde anglo-saxon et qui consiste à nommer les êtres et les institutions par leurs initiales, obligeant le lecteur à une gymnastique mémorielle inutile et perturbante, peut-être est-ce le but recherché...) Huang Yong Ping, donc, est né dans le sud de la Chine au milieu des années cinquante. Il fait ses études artistiques dans la ville de Hanghzou où il fonde le mouvement Xiamen Dada, dont la formule choc est « Le zen est Dada, le Dada est Zen », fondé sur le culte du paradoxe et de l'absurde. Il est rapidement remarqué et enchaîne expositions personnelles ou collective. Il acquiert rapidement une stature internationale et est invité en France par Hubert Martin pour l'exposition « Les Magiciens de la terre ». Alors qu'éclatent au même moment les événements de la place Tienanmen ; il décide de s'installer à Paris sans pour cela rompre avec son pays.

 

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Le message que Huang Yong Ping délivre se situe souvent à plusieurs niveaux : un niveau personnel se doublant d'une signification plus universelle. Prenons les conteneurs par exemple, leur empilement a un sens évident, ils sont l'outil d'un commerce mondial et d'une économie transnationale, sans frein, devenu incontrôlable et folle ; en même temps ils font référence à une expérience plus intime de l'artiste quand il assista, dans les années quatre-vingt, à la transformation du petit port de Xiamen, sa ville natale, pour l'adapter au traitement des navires sur-dimensionnés, empilements labyrinthiques de conteneurs, hautes grues, espaces stérilisés, tout cela symbolique du désastre écologique qui frappe la Chine d'aujourd'hui. Le squelette du serpent, si expressif et souple dans cet univers strictement orthogonal, possède lui aussi une double signification : animal à la fois victime et bourreau, mort – il se réduit à un squelette -, mais son étreinte cependant tue ; quant à Napoléon, présent par son célèbre bicorne, on peut être plus dubitatif : fut-il seulement un homme de guerre ? Ce serait réducteur... Sans vouloir le défendre, reconnaissons qu'il fut aussi un homme des lumières et que s'il finit mal on ne saurait dédouaner ses adversaires des guerres incessantes qui ont déchiré l'Europe de l'époque. Et l'Europe issue du congrès de Vienne fut une des plus réactionnaires qui fut...

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

- Photos de l'auteur

 

 

 

 

 

 

Monumenta 2016

Huang Yong Ping

Empires

8 mai – 18 juin 2016

Grand Palais

- Tél. : 01 44 13 17 17

- Internet : www.grandpalais.fr

- Horaires et tarifs : dimanche, lundi et mercredi de 10h à 19h, fermé le mardi, les trois autres jours de 10h à 22h. ; tartifs, 10 et 5€, tribu (4 personnes dont deux jeune entre 16 et 25 ans) 25€.

- Publications : L'album, RMN-Grand Palais, 2016, 80p., 60 illustrations, 13,50€. Application numérique, Tinyurl.com/monumenta2016

- Animation culturelle : visites guidées, ateliers-visites, dessins en promenade etc. consulter le site.