Expostitions

 

 

 

 

Velasquez 1599 - 1660

 

 

 

 

 

José Ortega y Gasset dans une monographie consacrée au plus grand peintre espagnol définissait ainsi Velasquez : « le peintre merveilleux de la laideur ». Oui Velasquez a su transcender la férocité et la laideur d'une époque cruelle, un siècle de fer, un temps terrible pour l'Espagne comme pour l'Europe. Guerres, épidémies, faim, misère extrême d'un peuple, d'un pays qui entrait dans un lent processus de décadence. Un pays sous la coupe une religion implacable – les autodafés étaient monnaie courante -, une foule famélique, une noblesse arrogante, un souverain qui fut l'ami du peintre, certes, mais qui fut aussi si léger, si incompétent dans son métier de roi.

 

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Les familiers du musée du Prado à Madrid, qui conserve l'essentiel de l'œuvre du maître, seront surpris par la magnifique rétrospective que propose le Grand Palais à Paris. C'est que le Prado ne pouvant, statutairement, prêter que sept œuvres d'un même artiste, il a fallu chercher ailleurs, dans les institutions de province en Espagne, dans les musées étrangers, voire dans quelques collections privées. Ce qui renouvelle sensiblement l'image que l'on peut avoir de son œuvre. Les chefs-d'œuvres incontournables tels que Los Borachos, Les Ménines, Les Fileuses ou la Reddition de Breda sont donc absents ici mais l'intelligence du parcours, sa clarté font oublier des lacunes inévitables. La trajectoire qui mène un talentueux peintre de « bodegones » et de toiles religieuses au statut de « phare » de l'art occidental est ainsi bien tracé. Les Parisiens, qui en temps ordinaire doivent se contenter d'œuvres d'atelier puisque le Louvre ne possède aucune œuvre authentique du maître, ont ainsi l'occasion de découvrir et étudier un artiste si profondément humain. Il est là en compagnie de ses maîtres, de ses contemporains, de ses collaborateurs, de ses élèves.

 

Une grande gravure de l'époque représentant sa ville natale – il y est né en 1599 - accueille le visiteur. Séville est alors à son apogée : elle est la capitale économique de l'Espagne qui domine le monde grâce à un empire « sur lequel le soleil ne se couche pas » ; ici débarquent l'or, l'argent et autres produits du nouveau monde ; c'est surtout un carrefour où se côtoient les marchands et artistes de toutes nationalités, tant du Nord que du Sud et ce « melting pot » a favorisé l'émergence d'une société riche, ouverte aux influences les plus diverses. Séville en ce début du XVIIe siècle était infiniment plus dynamique, dans tous les domaines y compris artistiques, que Madrid – trop récente capitale – ou que Barcelone ou encore Valence. Si l'aspect de la ville a beaucoup changé depuis, on remarquera cependant au premier plan sur les bords du Guadalquivir la Tour de l'or où était entreposé le métal précieux.

 

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Velasquez appartient à une génération qui renouvelle une scène artistique où les influences italiennes et flamandes règnent. Il est l'exact contemporain des trois artistes qui ont fondé une tradition picturale nationale : 1591 Ribera naît près de Valence, 1598 Zurbaran en Estrémadure, 1601 Alonso Cano à Grenade. Entré en apprentissage dans l'atelier de Francisco Pacheco à l'âge de douze ans, il en deviendra le gendre quelques années plus tard et entame une carrière de peintre à succès. Son originalité éclate dès ses premiers tableaux. Il n'est que de comparer, par exemple, son Immaculée Conception avec celle peinte par son beau-père pour comprendre sa profonde originalité ; la construction des deux tableaux est similaire – ce sont des figures obligées qui ne souffrent guère de variations - mais le jeune peintre, il n'a pas vingt ans, a représenté la Vierge sous la forme d'une jeune, très jeune fille, une petite paysanne presque enfantine, les yeux baissés. On remarquera aussi le poids des vêtements aux plis cassés, le fond nuageux aux tons sourds et lumineux, la matière picturale riche et onctueuse en contraste avec l'interprétation de l'aîné plus fine, plus faible, maniérée pour tout dire.

 

Velasquez pendant cette première partie de sa carrière adopte un réalisme tempéré par un sens de la dignité, un respect profond pour les sujets qu'il traite ; il cherche son inspiration dans la vie populaire de sa ville, sa palette se limite aux tons bruns et il n'est pas insensible au mirage du caravagisme. Il sait créer un monde de poésie méditative avec un simple quignon de pain posé sur une serviette blanche posée sur la planche d'une table. Les trois musiciens qui viennent de Berlin, sont typiques de cette production : dans l'obscurité d'un lieu indéterminé, sans doute une taverne, un homme accompagne de son violon, le regard fixé sur lui, un chanteur (un aveugle?) qui joue de la guitare les yeux levés au ciel ; au premier plan, un verre de vin à la main un enfant, un instrument de musique sous le bras, sourit au spectateur. Sur la table, une frugale collation – un pain, une serviette, un verre de vin à pied, un fromage. Sobriété de la palette, onctuosité de la touche, simplicité efficace de la construction du groupe, tout cela ne peut cacher le caractère bizarre d'une scène populaire rendue énigmatique par la présence en arrière-plan d'un petit singe. Cette icône à la signification sans doute morale par son ambiance grave et retenue se situe loin des bambochades grimaçante que l'on peignait alors en Italie comme il est aisé d'en faire le preuve en visitant l'exposition les Bas-fonds du baroque proposée par le Petit Palais voisin.

 

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L'inquiétant portrait de Mère Jeronima de la Fuente, austère et sombre effigie peinte en pied présentée, comme s'il elle était déjà canonisée, brandissant un crucifix, un livre pieux sous le bras, fixe de son regard glaçant le visiteur ; le pinceau de maître se plait à souligner la moindre ride d'un visage rien moins qu'avenant. Elle est là l'Espagne de l'inquisition et des bûchers.

 

Mais Velazquez est avant tout le peintre de la cour la plus brillante de l'époque. Une cour bizarre où l'étiquette la plus pointilleuse, l'arrogance la plus insupportable côtoient le folie et la déchéance physique. Il lui fallut s'y prendre à deux fois avant qu'il ne devienne, en 1623, peintre du roi Philippe IV dont il va devenir le familier et qu'il immortalisera, lui, sa famille, ses familiers, ses ministres, ses ecclésiastiques, ses écrivains, ses nains, ses fous, les dames de la cour, tout un monde sévère gonflé de son importance sur lequel il porte un regard profondément humain et indulgent. Derrière les attitudes convenues, les vêtements de parade, il cherche et il trouve l'être ; voir les petites princesses, blondes perdues dans des costumes trop riches, trop étouffants. Ce n'est pas toujours flatteur, tel le terrible le portrait du Pape Innocent X...

 

De la série des portraits de la famille royale on retiendra ceux consacrés à l'infant Baltazar Carlos. À sa mort, il a seize ans, commence la lente agonie de la dynastie. La plus aboutie, et la plus célèbre effigie, le montrant à cheval sur son poney, est l'un des points d'orgue de l'exposition. Le paysage, dont les tons bleutés rendent l'atmosphère froide et cristalline des environs de l'Escurial, fait regretter que le peintre n'ait pas plus pratiqué le paysage. L'exposition montre aussi l'une des deux vues prises dans les jardins de la villa Médicis lors de son second voyage en Italie, la plus spontanée, la plus enlevée des deux, quasi impressionniste. Toujours dans le registre du paysage, la grande toile, Saint Antoine abbé et Saint Paul ermite au désert, sera une découverte pour beaucoup. Vélasquez marie des rochers à la Patinir avec les vastes perspectives de la sierra de Guadarrama par le biais d'une astucieuse trouée qui donne profondeur et lumière à la scène.

 

Il aurait été aussi un superbe peintre animalier. Si l'on regarde bien les petits chiens familiers et les chiens de chasse accompagnant ses modèle ; ils ont parfois plus de vie que le sujet principal et le regard du peintre se remplit de tendresse en les représentant. Que dire du magnifique et noble cheval, grandeur nature, qui se cabre en fin de parcours ?

 

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La rencontre avec l'Italie fut féconde qui lui donna l'assurance d'aborder les grands formats et de se mesurer avec les thèmes mythologiques. Il en donne, ainsi que ses contemporains espagnols, une interprétation d'une réalisme picaresque. La Forge de Vulcain, un de ses chefs-d'œuvres, est en fait une forge castillane où quatre solides gaillards dont il a été chercher les modèles dans la rue – ce sont de véritables portraits d'hommes du peuple - accueillent avec stupéfaction un improbable Apollon déguisé avec une toge un peu trop lâche, un peu trop rose. Réalisme et distanciation savoureux...

 

Oui Velasquez a brillé dans tous les genres, même le nu, si peu pratiqué par les peintres espagnols bien que les collections royales espagnoles conservaient d'admirables et sensuels Titien. Sa Vénus au Miroir a fait le voyage depuis Londres. Elle voisine avec l'Hermaphrodite endormi, une statue romaine du Louvre. L'œuvre faisait partie eu XVIIe siècle de la collection Borghèse, Velasquez s'en serait inspiré. Il la connaissait bien puisqu'il en fit faire une copie en bronze lors de son second voyage en Italie. Cela dit malgré une réalisation parfaite la peinture est étonnamment peu érotique ; on remarquera aussi que le visage reflété dans le miroir est curieusement sommaire. Alors simple nu? Une allégorie ?

 

Ces quelques notes ne sauraient épuiser le sens d'une manifestation complexe et riche à l'image de la personnalité d'un artiste aussi divers : Velasquez dépassera toujours par sa profondeur et son humanisme l'analyse des critiques les plus subtils

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

- Vénus au miroir, vers 1647 – 51, Huile sur toile, Londres National Gallery © The National Gallery

- La Forge de Vulcain, vers 1630, huile sur toile, Madrid Museo nacional del Prado © Madrid, Museo nacional del Prado

- Portrait de l'infant Baltazar Carlos sur son poney, 1634 – 35, huile sur toile, Madrid Museo del Prado © Madrid, Museo nacional del Prado.

- Le cheval blanc, huile sur toile, 310 sur 240 cm., Palacio Real (Patrimonio Nacional), Madrid © Madrid, Patrimonio Nacional

 

 

 

Velasquez

25 mars – 13 juillet 2015

Grand Palais, Galeries nationales, Pari