Expositions

 

Le Rêve et la Renaissance

Bosch, Véronèse, Le Greco...

 

 

 

 

 

Rêve, rêverie, cauchemar... l'activité de l'esprit humain pendant son sommeil a de tout temps préoccupé les hommes qui y ont vu une porte ouverte au vagabondage de l'âme vers d'autres mondes - monde du rêve, monde idéal de la philosophie, monde des Dieux et des amours, monde des mystiques, monde des peurs irraisonnées et des terreurs trop réelles... Le rêve, dans l'art de la Renaissance en Italie, dans son acception totale, complexe, y occupe une place un peu à part, une place significative. Avec près de quatre-vingts œuvres, tant tableaux que dessins et gravures, une exposition du musée du Luxembourg fait découvrir au visiteur la face obscure et parfois inquiétante d'un art dont on ne voit trop souvent que le visage heureux et lumineux.

 

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Le Renaissance est le grand mouvement de fond, intellectuel et artistique, qui a irrigué la civilisation de l'Europe occidentale et l'a profondément modifiée aux XVe et XVIe siècles : la ré-interprétation de l'antiquité gréco-romaine de son art, de ses penseurs, de ses auteurs, le remise en cause des certitudes médiévales ont accouché d'un monde paradoxal où les formes d'une logique lumineuse côtoient celles, plus sombres et plus déroutantes, de l'inconscient, de l'irrationnel, voire du sauvage.

 

Le sommeil, la nuit... Michel-Ange a fixé une image classique de l'allégorie de la Nuit et partant, du sommeil - ce moment inquiétant, si l'on y songe, où la conscience de soi s'abolit et disparaît pour renaître sous la forme du rêve : une femme athlétique, nue, les yeux clos, la tête ployant, semi étendue, accoudée dans une position assez inconfortable. Cette figure énergique, disposée sur l'aile gauche du fronton à enroulements du tombeau de Julien de Médicis à Florence, est reprise quasi littéralement par Michele di Ridolfo dans une belle Allégorie de la Nuit. Elle fait face au tableau du Vénitien Battista Dossi. Ce dernier a de la nuit une vision nettement moins classique et plus inquiétante : tandis que sur la droite du tableau une dame, vêtue elle, sommeille ; sur la gauche et l'entourant, grouille un bestiaire fantastique, rien moins que rassurant ; dans le fond une ville en flammes rougeoie dans l'obscurité. Ces deux tableaux, quasi contemporains, proposent une double signification de la nuit et du sommeil.

 

dsc_0702Sommeil, effacement de l'âme, évanouissement de la conscience expose l'être sans défense au regard d'autrui, au danger : la Vénus nue, torpide, dévorée par la contemplation concupiscente d'un satyre, peinte par Le Corrège, ou l'autre Vénus endormie de Paris Bordone qu'un Amour dévoile aux yeux du riche voyeur qui aura les moyens d'acheter le tableau, déclinent, avec une ambiguïté voluptueuse, la fragilité de l'être à ce moment là (voyeur/violeur?). Dans un tout autre registre, religieux ici et plus grave, le sommeil de l'enfant Jésus préfigure sa passion sur la croix pour ses parents et le petit saint Jean qui le contemplent dans la séduisante (plus séduisante que religieuse?) Sainte Famille du Bronzino, élégante composition aux couleurs raffinées et subtiles.

 

Le rêve? C'est aussi un pont entre la déité et l'inspiré, un moyen de dialogue avec la Dieu. La Sainte Catherine de Ludovico Carracci (Le Songe de sainte Catherine), pâmée en une douce hypnose, sent le ravissant bambin aux cheveux bouclés lui tendre les bras, prélude au mariage mystique. Le tableau, partagé en deux par une diagonale oppose le monde de la mystique un peu fade à l'univers divin, tellement plus coloré et charmant. Véronèse, peignant une autre vision céleste, celle de sainte Hélène, sait oublier les fastes vénitiens pour représenter une sobre Impératrice somnolente, accoudée à une baie tandis que dans les airs deux chérubins portent la croix qu'elle va « inventer ».

 

La Renaissance est une époque de révolution intellectuelle et morale. Ce monde que l'on croyait jusqu'alors fixé dans ses grandes lignes bascule : la Réforme fait vaciller la foi qui est désormais multiple ; la découverte de l'Amérique avec ces civilisations extraordinairement cruelles interroge sur le sens de la création ; enfin l'astronomie fait basculer l'idée que l'on avait de l'espace : la terre n'est plus le centre d'un univers créé par Dieu mais l'élément insignifiant d'un système qui donne le vertige. L'époque est affreuse avec ses guerres de religion inexpiables, la répression féroce des hérésies et de la sorcellerie. Le sac de Rome, le siège de Münster l'anabaptiste, la Saint-Barthélémy, la reconquête des pays Bas Espagnols scandent un XVIe siècle impitoyable. Que la Florence néoplatonicienne de Marsile Ficin est loin...

 

dsc_0703Toute une cohorte d'artistes nordiques vont donner visage à ce cauchemar : démons et merveilles hantent leurs sombres production. Les Visions de l'au-delà avec l'univers embrasé des damnés peintes par Jérôme Bosch, en quatre panneaux, sont un des temps forts de l'exposition. Elles voisinent avec la Vision apocalyptique du Monogrammiste IS, un lointain épigone de Pierre Breughel l'ancien, où se déroule de féroces saturnales pleines de bruit et de fureur sur un fond d'incendies. Il faut signaler ici, une œuvre exceptionnelle, Le Rêve de Philippe II du Greco : là, en contre partie de la vision lumineuse de l'humanité conduite par les Grands de ce monde, relayée par les anges et les séraphins adorant le nom de Jésus Christ, s'ouvre grande la bouche des enfers : un monstre marin aux dents de requin avale les Réprouvés, les Hérétiques. Ce tableau qui vient de l'Escurial justifierait à lui seul la visite.

 

La vie est un songe écrira un dramaturge espagnol au siècle suivant, Un songe que brise la brutale réalité : Une superbe composition du maniériste Jacopo Zucchi Amour et Psyché clôture l'exposition et en forme, en quelque sorte, la conclusion, le point d'orgue. : la belle mortelle Psyché, debout, brandissant, telle une Judith païenne, une lampe comme une arme, surprend, malgré l'interdit, la nudité de son mystérieux amant, un adolescent affalé sur une luxueuse couche. Adieu, palais, amours, plaisirs... Une longue série d'épreuves attendent la curieuse. Le tableau, daté de 1589, tout en arabesques, annonce le crépuscule d'un art nerveux, inquiet, dont le subtil déséquilibre, l'élégance perverse, n'ont plus leur place dans le siècle qui vient : siècle des certitudes que ce soit dans les domaines artistiques, religieux, littéraires ou politiques.

 

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Battista Dossi, Allégorie de la Nuit, 1543/4, Dresde Gemäldegalerie © BPK, Berlin, dist. RMN Grand Palais / Elke Estel / Hans-Peter Kluth

- Dominikos Théotokopoulos dit Le Greco, Le Rêve de Philippe II, vers 1579, Real Monasterio de El Escorial © Photo Scala Florence

- Jacopo Zucchi Amour et Psyché, 1589, Rome Galleria Borghese © Photo Scala Florence – courtesy of the Ministerio e att. Culturali

 

 

 

 

 

 

 

 

La Renaissance et le rêve

Bosch, Véronèse, Le Greco...

9 octobre 2013 – 26 janvier 2014

Musée du Luxembourg

19, rue de Vaugirard 75006 Paris

- Tél. : 0140138200

- internet : www.museeduluxembourg.fr

- Horaires et tarifs : tous les jours de 10h à 19h30, jusqu'à 22h les lundis et vendredi, fermeture à 19h30 les 1r et 11 novembre et à 18h les 24 et 31 décembre. Tarif, 11€ (pour le détail consulter le site internet ; tarif réduit, 7€50 ; 4 personnes entre 26 et 30ans, 30€. Gratuité pour les moins de 16 ans etc. Réservations sur le site internet ou sur www.grandpalais.fr

- Publication : La Renaissance et le rêve, Bosch, Véronèse, La Greco.- Paris, 2013, RMN/Grand Palais, 176p., 100 ill., 35€ ; L'album de l'exposition 48p., 40ill.,10€.

- Animations : visites guidées, ateliers pour les jeunes enfants.