Un Regard, une image

 

 

 

 

 

 

Antoine Jean Gros (1771 - 1835)

Alexandre domptant Bucéphale, au Cabinet des dessins et arts graphiques du Louvre.

Plume et encre brune sur papier.

 

 

 

 

Le mythe d'Alexandre le grand est inséparable de son cheval Bucéphale que jeune il avait été le seul à pouvoir maitriser : il avait remarqué que son ombre, rendait farouche et indomptable l'animal. Ce fut le début d'un long compagnonnage entre le héros et un animal quasi mythique qui ne s'acheva qu'à la mort de ce dernier en Inde. Le conquérant inconsolable fonda une ville autour de son tombeau.

 

Le jeune prince, vêtu d'une simple chlamyde, le corps dénudé par la violence de l'action, saisit par le licou le cheval cabré dans sa fureur. La composition, d'un dynamisme paroxystique oppose deux forces contrastées, celle brute, sauvage de l'animal à l'impétuosité du héros soulevé par la puissance du choc. Le dessin est une des œuvres phares d'une petite exposition qui a lieu en ce moment et qui fait le point sur la collection des œuvres graphiques du maître dont la catalogue vient de sortir.

 

BaronGros 

 

Travaillée d'une plume fiévreuse, qui raye avec rage la feuille, comme poussée par une inspiration impérieuse, la composition se fait abstraite sur la droite en une ébauche de décor. Les ombres posées en une encre brune avec autant de dynamisme dramatisent encore la cène. On remarquera que seul le pinceau évoque les ombres des deux personnages. Ombres essentielles pour la compréhension de l'histoire.

 

Dessin fabuleux, sans doute le meilleur de son auteur, qu'importent alors le cou trop allongé du cheval, la crinière trop touffue, les ombres posées à la hâte, les tâches d'encre, les résurgences des dessins du revers qui sourdent à travers le papier ; tout ces signes de fébrilité disent l'urgence avec laquelle l'artiste jette sur le papier les grandes lignes d'une composition qu'il pressent et qu'il veut fixer avant qu'elle ne s'évanouisse.

 

Pendant les années passées en Italie (1793-1801) Jean-Antoine Gros, dont la carrière décolle après sa rencontre avec Joséphine qui le présenta à son époux Napoléon, travaille sur le sujet en vue d'un tableau qui ne verra jamais le jour. Ce premier jet, ce premier dessin sera suivi d'autres, conservés eux-aussi par le Louvre. Infiniment plus travaillés, plus « corrects », plus admirés en leur temps ; ils paraissent aujourd'hui en comparaison d'une plus faible inspiration.

 

L'Alexandre domptant Bucéphaleappartenait à Jean-Baptiste Delestre (1800-1871), élève puis premier biographe de Gros. Il l'acquit parmi tant d'autres, une soixantaine, sans doute à la vente posthume du maître. La collection, enrichie par ses héritiers a été mise en vente aux enchères en mars 2017, le dessin fut préemptée, avec quelques autres, par le Louvre grâce au soutien la société des amis du Louvre pour la somme, quasi fabuleuse pour une œuvre graphique, de trois cent soixante mille euros. Était-ce trop pour un simple dessin ? Même exceptionnel ? Une opportune comparaison avec le reste de la production du maître montre que cette feuille manquait à la collection.

 

En guise de conclusion relisons élie Faure : « S'il (Antoine Jean Gros) eut été maître de projeter hors de lui-même ses gestes furieux et ses puissantes harmonies comme un symbole libre et un des orages de son cœur,la peinture romantique était achevée d'un seul coup ».

 

Gilles Coÿne