Expositions

 

 

Frédéric Bazille

La jeunesse de l'impressionnisme

 

 

 

 

 

 

Il est passé comme un météore, fulgurent, dans l'histoire de l'Impressionnisme. Frédéric Bazille (1841 - 1870), que le musée d'Orsay, à la suite de sa ville natale Montpellier, honore en cet automne, n'a eu que quelques années pour prouver sa valeur. Mais pendant ce court temps il a créé quelques uns des chefs-d'œuvres du premier Impressionnisme et il a su souvent montrer la voie à ses camarades : avec ses nus masculins, il a apporté une note insolite et profondément originale à un mouvement. Plus sensible à une sensualité plus orthodoxe, son Pêcheur à l'épervier a toutes les marques d'une icône gay : sous les ombrages d'un bois qui borde le Lez – le petit fleuve côtier qui traverse Montpellier -, un jeune homme, bien proportionné, brun, musclé, nu, barbe de trois jours, le cheveu sombre frisé, s'apprête à lancer son filet dans l'eau ; plus loin son compagnon assis achève de se déshabiller. Évidemment la toile a suscité de nombreuses gloses, c'est surtout un chef-d'œuvre du nu.

 

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Frédéric Bazille est le fils aîné d'un couple de grands bourgeois protestants de Montpellier - couple dont la fortune bien assise préservera ses enfants de tout soucis. Le jeune Frédéric, plus tard, saura faire preuve de générosité envers ses compagnons peintres moins chanceux. Une enfance sévère mais heureuse sous les cieux magnifiques du Languedoc, au sein d'une famille cultivée... Nous ne sommes pas cependant dans un conte de fée. Au moment de choisir une carrière pour le jeune homme, son père insista pour qu'il entreprenne des études de médecine, jugeant le statut de peintre trop aléatoire. Malgré tout et devant des dons évidents et son obstination il finit par accepter que son fils mène de pair des études médicales et artistiques puis qu'il entre dans l'atelier de Gleyre, peintre originaire de Suisse romande (voir l'exposition du musée d'Orsay, 10 mai – 11 septembre 2016, rubrique Archives ici-même). Finalement Il financera les débuts forcément difficiles d'une vie d'artiste.

 

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« La jeunesse de l'impressionnisme », la formule est jolie et dit bien ce que fut l'œuvre de Bazille : celle d'une éternelle jeunesse, une peinture claire, lumineuse, simple mais d'une grande conviction, une peinture du soleil, du bonheur ; comme le fut, certes, celle de ses amis Manet, Monet, Renoir, mais il y a chez lui comme une sorte de sérénité, une aisance - on a parlé d'indolence - dont ces derniers plus impécunieux, plus pressés, furent parfois dépourvus. Il « était le mieux doué, le plus aimable dans tous les sens du mot » dira de lui son ami Edmond Maître, après sa mort absurde à l'assaut de Beaune-la-Rolande quelques jours avant son vingt-neuvième anniversaire le 28 novembre 1870.

 

L'Atelier de la rue La Condamine, achevé juste avant la guerre de 1870, décrit le cadre où ces jeunes ardents et cultivés se réunissaient. Une pièce, haute de plafond, nue, éclairée par une grande baie dont un rideau sombre atténue la lumière blanche d'un hiver froid. Le poêle ronfle dont les parois rougissent. Seule taches de couleurs les tableaux accrochés aux murs ou entassés dans un coin : La toilette, inachevée, le Pêcheur à l'épervier. Autour de la toile posée sur le chevalet - La Vue de village -, trois personnages discutent (Bazille, peint par Manet, ce dernier et Monet). Renoir de l'escalier se penche vers un cinquième homme (Sisley?) tandis que dans le coin à droite Edmond Maître joue du piano. Sur le mur du fond, comme un pied-de-nez aux officiels, une toile de Renoir refusée au salon de 1866. Ambiance amicale, cultivée, formatrice, une sorte de thébaïde à l'abri de l'incompréhension du monde. On est loin du microcosme encombré avec modèle nu de Courbet, encore plus loin des espaces étouffants sous tentures et tapisseries des « Chers Maîtres »...

 

Bazille3Frédéric Bazille a abordé à peu près tous les genres : les paysage, la forêt de Fontainebleau, la Normandie et ses côtes, les environs de Paris, il ne se différencie guère dans ce genre d'exercice de ce que font ses amis, peut-être ses toiles sont-elles plus solidement charpentées. Mais quand il plante son chevalet devant Aigues-Mortes, il sait rendre la solitude d'une ville corsetée dans ses murailles, au milieu d'un désert d'eaux et de terres stériles, sous un soleil implacable. Le choix du lieu est tout sauf neutre : la ville était et est encore un lieu de mémoire pour les Protestants. Ici dans la tour de Constance furent enfermées pendant des décennies au XVIIIe siècle Marie Durand - coupable de ne pas avoir dénoncé son frère, pasteur clandestin roué sur la place publique – et ses compagnes. Leur souvenir étaient vif qui alors ne datait même pas d'un siècle. Il se sent sans doute plus proche de ces désolations austères que des grasses et opulentes campagnes du Nord de la France.

 

La représentation des « vies silencieuses » l'a tenté un moment et la grande Nature morte au héron, la plus ambitieuse de ces compositions et il faut bien le dire sa seule réussite dans le genre, est une superbe variation sur le noir, le blanc, le gris, digne de la grande tradition des Oudry et des Flamands qu'il a étudiés au Louvre.

 

Finalement la représentation de la figure humaine l'inspire plus. Les portraits, ceux de sa famille, de ses amis composent une magnifique galerie variée et vivante. Ah l'effigie de Renoir, jeune homme craquant bien loin du vieillard barbu, hirsute, radotant à l'infini des nus féminins grassouillets et roses qu'il deviendra en son grand âge, assis jambe repliée sur sa chaise en une pose décontractée... Celle de son ami Edmond Maître de profil, le cigare à la main, lisant, élégant, à la limite précieux. Son Autoportrait à la palette dans lequel par une habile torsion il passe d'un corps de profil à un visage de face frappe par son aisance : il semble se retourner pour répondre, attitude familière et naturelle saisie avec justesse.

 

La Réunion de famille, démontre avec éclat qu'il a résolu le problème de la figure en plein air sur lequel ses compagnons peinent encore. Monet n'achèvera pas le grand Déjeuner sur l'herbe et finalement le découpera. Sur la terrasse de la propriété, Méric appartenant à sa mère et à sa tante, où toute la famille passe les vacances, le peintre a réuni parents, enfants, cousins à l'ombre du grand marronnier. Il a disposé de manière dynamique et avec habileté les personnages en groupes divers ; on remarquera le chapeau et le bouquet de fleurs négligemment jetés par terre au premier plan qui comblent un vide, l'opposition dynamique entre le fond ensoleillé et le premier plan ombreux. On notera aussi que tous les personnages regardent le peintre, seul le père détourne son regard et fixe l'infini ; désapprouve-t-il encore les choix son fils ?

 

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Ce pays des environs de Montpellier, l'a inspiré ; il y a peint ses œuvres les plus attachantes. Outre Le Pêcheur a l'épervier, la Vue de Village, possède les mêmes séductions : une jeune fille assise nous regarde, dans son dos, le Lez en bas, au fond un village, Castelnau. En fait la composition est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît : l'artiste a rapproché le bourg, accusé le relief et bousculé quelque peu la perspective, sans qu'il y paraisse pour composer une image qui semble toute simple. La Scène d'été, grand tableau ambitieux aux nombreuses références classiques réunit des jeunes gens jouant au bord de l'eau, les uns nagent, deux luttent pour rire, d'autres enfin rêvent. Bazille a su saisir de l'atmosphère d'un après-midi d'été près d'un cours d'eau ; on le sent plein d'empathie pour ces garçons sortant à peine de l'adolescence et ce sans l'ombre d'une ambiguïté. Toile étrange, sans équivalent où se mêlent les influences de l'Antiquité, de la première Renaissance italienne, voire le réalisme du XIXe siècle.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

1 – L'Atelier de la rue de La Condamine, hiver 1868/69, Paris musée d'Orsay, © Musée d'Orsay, RMN-Grand Palais, Patrick Schmidt

2 – La Réunion de famille, 1867, Paris musée d'Orsay, © Musée d'Orsay, RMN-Grand Palais, Patrick Schmidt

3 – Vue de village, 1868, Montpellier, musée Fabre © Musée Fabre Montpellier Méditerranée Métropole / Frédéric Jaulmes

4 – Scène d'été, dite aussi Les Baigneurs, printemps 1869, Cambridge, Harvard Art Museum/Fogg Art Museum, © President and Fellows of Harvard College

 

 

 

 

 

 

 

Frédéric Bazille (1841 – 1870-

La jeunesse de l'impressionnisme

Musée d'Orsay

1, rue de la Légion-d'Honneur, 75007 Paris

- Tél. : 01 40 49 48 14

- internet : www.musee-orsay.fr

- Horaires et tarifs : Tous les jours sauf le lundi, de 9h30 à 18h, jeudi jusqu'à 21h30 ; Tarifs, 12€, 9€ (familles nombreuses, et nocturnes à partir de 18h) , gratuité moins de 18 ans, 18-25 ressortissants de la Communauté européenne, carte blanche et musée0, carte jeune du musée, amis du musée d'Orsay, Personnes handicapées, demandeurs d'emploi et le premier dimanche du moids.

- Publications : Catalogue, Paris, 2016, éditions du Musée d'Orsay/ Flammarion, 334 p., relié, version française et version anglaise, 45€

- Activités autour de l'exposition : visites guidées, l'année terrible, Bazille et Monet, une fraternité artistique, visites en langue des signes.