Un regard, une image

 

 

Nezami, Khamseh (cinq poèmes), Baghbad et Ispahan,

1619 -1624, Shirin et Khosrow

 

 

 

shirin et khosrowLa scène représentant Khosrow découvrant Shirin est un bel exemple de miniature persane. La jeune femme, torse nu, est en train de faire sa toilette sous un arbre sur les branches duquel elle a posé ses vêtements. Son cheval noir Shabdiz, un animal mythique « qui court comme le vent », est en train de paître. Derrière des rochers de convention, Khosrow contemple la jeune femme. Les deux jeunes gens étaient déjà amoureux l’un de l’autre, Shirin parce qu’on lui avait montré le portrait de Khosrow, ce dernier sur la foi de ce qu’on lui avait rapporté de cette princesse arménienne. Le jeune prince est vêtu très simplement : sous le coup d’une accusation mensongère, il a quitté son pays pour fuir le courroux du roi son père. Shirin ne reconnaît pas le prince brillant dans ce fuyard mais s’étonne d’être invinciblement attirée par lui.

L’enluminure est extraite d’un manuscrit réalisé au XVIIe siècle, contenant cinq poèmes écrits par l’écrivain azerbaïdjanais du XIIe siècle Nezami. L’un d’eux est consacré aux amours tumultueuses d’un roi sassanide Khosrow et d’une princesse arménienne Shirin. Coups de théâtre, rendez-vous manqués, quiproquos, amours de traverse tiennent en haleine le lecteur jusqu’à la fin où les deux héros se rejoindront enfin… Mais dans la mort.

Nezami s’est directement inspiré d’une grande épopée écrite par Ferdowsi un siècle auparavant. Le Shahnameh réunit en une vaste fresque tous les héros réels ou mythiques de la Perse depuis ses origines. Dans l’hisoire de Khosrow et de Shirin il souhaite rendre à ses personnages l’épaisseur de la vie, leur donner chair ce que n’avait pas fait ferdowsi…

Dans un environnement de montagnes rocheuses qui protège la prairie, véritable petite oasis, la jeune femme, inconsciente du regard indiscret de Khosrow se coiffe. Les rochers, directement inspirés par la peinture chinoise, l’arbre, à la fois réaliste par la description du tronc et des branches et stylisé par son feuillage peint feuille à feuille, les autres végétaux, arbustes, fleurs, herbes, forment un univers raffiné et poétique qui s’accorde parfaitement avec les sentiments des deux acteurs, figés dans un moment de surprise incrédule. On remarquera la disproportion entre les personnages, les chevaux et l’environnement qui renforce le sentiment que l’on se trouve au théâtre. Tout le charme de l’œuvre vient du contraste entre une représentation très bien observée de la réalité et une organisation des éléments orchestrée en fonction de l’intrigue : rochers et arbres forment comme une citadelle autour de Shirin qui semblent la protéger de l’amour dangereux de Khosrow.

Enfin il faut parler de l’enchantement des couleurs : le ciel d’or bruni, les gris qui font chanter l’orange des vêtements de Shirin et du tapis de selle de Khosrow, les verts mousse des feuillages. Il faut aussi signaler la ligne sinueuse et élégante de la gestuelle : ouverte pour Shirin, refermée sur lui-même de Khosrow ; que dire du cheval noir superbe ?

Gilles Coÿne

Jusqu’au 25 septembre 2011

Bibliothèque nationale de France, site richelieu