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Expositions

 

 

 

L'Espagne entre deux siècles

 

De Zuloaga à Picasso – 1890-1920

 

 

 

 

 

De par la richesse de l'offre en cette rentrée d'automne, on risque de ne pas remarquer la petite exposition qui se tient à l'Orangerie et l'on aurait tort. La peinture espagnole de la fin du XIXe siècle et du début du XXe reste pratiquement inconnue en France et les expositions qui lui sont consacrées sont rares, encore plus les musées accrochant ce genre de tableaux à leurs cimaises ; dans ce dernier cas il faut courir jusqu'à Castres d'où vient d'ailleurs une part importante de ce qui est montré ici.

 

 

 

Les organisateurs ont classé l'art espagnol de l'époque entre une « Espagne Noire » et une « Espagne blanche ». Comme tout classement il est réducteur mais il a le mérite de la clarté. D'un côté des artistes tournés vers la lumière, la couleur, pour tout dire vers un internationalisme élégant de l'autre ceux qui s'inscrivent dans une tradition de rudesse, celle des Zurbaran et des Goya (enfin d'un certain Goya)...

 

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Ces artistes, pour la plupart, ont passé de longues années à Paris où ils formaient une petite communauté largement ouverte aux innovations esthétiques dont la ville était alors le laboratoire. Ils entretenaient des rapports d'amitié avec les artistes qui affluaient de la province comme de tous les pays d'Europe et d'Amérique et participaient à cet extraordinaire effervescence. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de trouver ici plusieurs paysages parisiens, voire dans un autre ordre d'idée de véritables pastiches : Qui se douterait que Salvador Dali fut, un jour, l'auteur d'un poétique Cadaquès peint en touches pointillistes?

 

 

 

Le Valencien Sorolla y Bastida (1863-1923) ouvre l'exposition avec une immense toile (265 sur 403 cm) venant du musée d'Orsay. Son Retour de pêche, le halage de la barque, disposé à hauteur d'homme fait pratiquement entrer le visiteur dans le tableau. Pour un peu on sentirait l'odeur de la mer, la fraîcheur du vent qui fait claquer la voile de la barque. Ce qui n'est pas un mal compte tenu de l'atmosphère sépulcrale des salles d'expositions de l'Orangerie! C'est une superbe illustration de l'Espagne méditerranéenne et surtout une image puissante et claire où le travail des ouvriers est magnifié sans condescendance. On appréciera particulièrement venant du portraitiste mondain et du chroniqueur des distractions bourgeoises dont quelques exemplaires sont exposés plus loin. Les Espagnols classent volontiers Sorolla parmi les Impressionnistes, ce qui est abusif, mais il faut lui reconnaître un sens de la lumière qui n'appartient qu'à lui et dont cette extraordinaire toile – achetée à l'époque par le gouvernement français -, un de ses chefs-d'oeuvres, témoigne brillamment.

 

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Tout autre, est son quasi contemporain le Basque Zuloaga y Zabaleta (1870- 1945), sa peinture épaisse, sombre, ses thèmes sévères, pour ne pas dire rebutants, perpétuent une tradition proprement hispanique de refus du séduisant. Sa Naine, son Anachorète, son Portrait. Mon oncle et mes deux cousines se réfèrent bien évidemment au siècle d'or espagnol dans ce qu'il a de plus rude. Mais il sut adoucir sa palette pour aborder le portait mondain où il fit merveille : la poétesse Anna de Noailles, moderne sultane, mi-couchée sur son divan est furieusement élégante et bien de son époque. Il faut parvenir à la fin de l'exposition pour découvrir l'effigie, grandeur nature, de Maurice Barrès devant Tolède, tableau qui allie richesse de la touche, sobriété de la palette à la majesté d'un paysage solidement charpenté aux tons chauds, saturés. Hommage à l'écrivain, hommage aussi au Greco ; l'auteur tient dans sa main son dernier écrit, publié deux ans auparavant, Le Greco ou le secret de Tolède. Le peintre, qui aujourd'hui est placé parmi les plus grands, venait juste d'être découvert en cette fin de XIXe siècle. Que l'on regarde le traitement tourmenté des nuages par Zuloaga et qu'on le compare aux vues de Tolède de son lointain ancêtre...

 

 

 

Les peintres espagnols de l'époque trouvaient à Paris une atmosphère de liberté dans la recherche esthétique, un bouillonnement que ne leur offrait ni Barcelone encore moins Madrid. Ce qui ne veut pas dire qu'ils abandonnaient toute originalité hispanique. Bien au contraire. Une toile de Regoyos y Valdès (1857 – 1913) est typique : Vendredi Saint en Castille montre un pont enjambant une route. Une procession noire disparaît au tournant du chemin, tandis qu'un train déboule sur le pont au-dessus. Est-ce solliciter le sens, que de voir en cette image la sortie de l'Espagne traditionnelle et l'irruption de la modernité symbolisée par le train? Ce tableau, très actuel pour l'époque avec sa facture fractionnée qui aurait pu être peint ailleurs en France en Belgique ou en Hollande, est profondément espagnol de par son sujet et son contenu symbolique.

 

 

 

Par ailleurs ce qui semble obséder ces artistes, comme ceux des autres pays, c'est la « femme ». Mondaines de Sorolla aux tissus précieux élégamment froissés, nu de Etcheverria aux accents de Gauguin, petites bourgeoises déprimées, cousines des Nabis, de Casas, Gitanes terreuses de Nonell, Femmes fatales de Anglada Camarasa, Pierreuses de Picasso... Elles sont là, diverses, mais avec un je ne sais quoi en commun fait qu'on ne peut voir en elles que des Espagnoles. On s'attardera sur l'Absinthe de Picasso : une femme mûre au profil de rapace, les mains comme des serres, pomponnée, fardée, coiffée, chapeautée, contemple le vide, celui de sa vie comme celui de son verre. On a parlé de Toulouse-Lautrec. Mais ce désespoir insondable n'appartient qu'à elle. Angoisse de Picasso, qui a passé sa jeunesse estudiantine à hanter les bordels de Barcelone? Il était fasciné par ce monde de déclassés (comme on disait à l'époque), par les amours tristes, l'amertume, la cruauté de l'existence. Quelques années plus tard, cela débouchera sur les Demoiselles d'Avignon... Mais c'est une autre histoire.

 

 

 

Ces artistes ont tous rencontré le succès à Paris, parfois international comme Sorolla ou Zuloaga. Ils furent, en leur temps, achetés par les collectionneurs et par l'administration française grâce à un conservateur du musée du Luxembourg particulièrement avisé Léonce Bénédicte. Certains musées de province conservent quelques toiles fruits de donations. Serait-il irréaliste d'espérer que ces fonds soient étoffés?

 

 

 

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

- Ignacio Zuloaga y Zabaleta (1870-1945) Portrait de Maurice Barrès devant Tolède, 1913 © RMN (Musée d'Orsay) / Philippe Migeat

 

- Joaquin Sorolla y Bastida (1863-1923) Retour de pêche, le halage de la barque, 1894, © RMN (Musée d'Orsay) / Gérard Blot / Hervé Lewandowski

 

 

 

 

 

L'Espagne entre deux siècles

 

De Zuloaga à Picasso – 1890 – 1920

 

7 octobre 2011 – 9 janvier 2012

 

Musée de l'Orangerie – Jardin des Tuileries

 

Place de la Concorde, 75001 Paris

 

Tél. : 01 44 77 80 07

 

Internet : www.musee-orangerie.fr

 

mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Ouverture : tous les jours sauf mardi et le 25 décembre de 9h à 18h

 

Tarifs : plein tarif, 7,5€ ; tarif réduit, 5€. Gratuit le premier dimanche chaque mois.

 

Publication : catalogue de l'exposition.- Paris, 2011, RMN – Grand Palais/Musée d'Orsay, 160p. 35€

 

Animations : visites-conférences, 6€ ; ateliers pour enfants, Lumières de l'Espagne, 7€ ; conférences, lectures, concerts, gratuits, renseignements et inscriptions, 01 44 77 81 11.