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Expositions

 

 

Baselitz sculpteur

 

 

23_portrait_p1000375 - copieBaselitz travaille le bois. Il le travaille à la hache et à la tronçonneuse. Il sculpte de grandes effigies, effrayantes et pitoyables, qui s'élèvent telles de barbares idoles tout au long des salles du musée d'Art moderne de la ville de Paris. Le visiteur, fasciné par ce travail dantesque de démiurge hanté, a peine à détacher son regard de ces surfaces ravinées, cicatrisées, meurtries qui parlent de douleurs inracontables, de traumatismes indicibles. C'est superbes et l'on n'en ressort pas indemne. À voir toutes affaires cessantes...

 

 

 

Hans-Georg Bruno Kern est né en Allemagne de l'Est en 1938, il a connu le nazisme et le triste et gris régime communiste sous la férule d'éric Honnecker. Une des sociétés les plus fliquées qui aient jamais existé. À dix-neuf ans il fut d'ailleurs renvoyé de la Hochschule für bildende und angewandte kunst de Berlin Est pour « manque de maturité sociopolitique ». Il fera sa carrière à l'Ouest, mais il adoptera le nom de son village natal Deutschbaselitz sous lequel il atteint la célébrité. Ce choix prouve qu'il ne renie en rien ses origines bien qu'il en porte le lourd poids historique.

 

 

 

Le Modèle pour une Sculpture qui a été présenté à la biennale de Venise en 1980, inaugure la série. Comme l'indique son nom, il ne s'agit pas d'une sculpture achevée mais d'un « modèle », d'une proposition qui porte en elle sa propre interrogation du fait de son inachèvement. De l'énorme billot de bois, la forme humaine raide, à peine épannelée semble s'extraire péniblement, le bras levé en signe d'imploration, de supplication. Les auteurs parlent à propos de ce bras levé des sculptures Dogons que l'artiste commençait à collectionner à l'époque. On pourrait tout aussi bien remarquer à quel point cette effigie ressemble aux personnages des jugements derniers du moyen-âge et de la Renaissance quand ils sortent de la terre pour comparaître devant le « Juge ». Le barbouillage noir, un peu lugubre, qui précise les formes, ne contredit pas cette interprétation.

 

 

 

1_modell f-r eine skulptur_1979_1980 - copieOn ne manquera pas de regarder les photos montrant l'artiste au travail, où tel Michel-ange il s'attaque à la matière avec une énergie de démiurge. Baselitz pratique la taille directe : il se confronte à la matière en un combat héroïque. Foin de dessins préparatoires, de modèles réduits, d'esquisses ; en dépit du titre de la première pièce que nous venons d'analyser, l'oeuvre se crée selon sa propre dynamique et au fur et à mesure de son état d'avancement. Les références sont nombreuses à l'art traditionnel allemand, comme à la sculpture antique – que l'on songe aux statues colossales de Pharaons assis, les colosses de Memnon par exemple. Mais on ne comprendrait pas le sens profond de cette création si l'on oubliait la dynamique interne de ces oeuvres.

 

 

 

Les « Têtes » sont peut-être plus dérangeantes encore. Elles sont taillées avec la même rudesse sans aucun souci de fini encore moins de joli. Baselitz les traite encore plus mal que ses herculéens personnages. Les visages sont parfois ravagés d'entailles profondes faites à la scie mécanique, cicatrices de monstrueuses blessures ; parfois ses faces sont creuses comme si elles avaient été défoncées par quelque meurtrier qui voulait, dans sa folie, effacer jusqu'à leur appartenance à l'humanité. Femmes de Dresde, treize têtes peintes ou plutôt teintes en jaune, juchées sur des piédestaux cubiques, surgissent, tragiques, devant le visiteur sur une sorte de podium. La vue est saisissante : de par leur disposition et leur impassibilité elles ont la dignité inquiétante des statues de l'île de Pâques. Leur mystère aussi. Sont-ce des survivantes? Des témoins accusateurs? Elles rappèlent l'un des épisodes les plus dramatique de la seconde guerre mondiale : la destruction de la ville de Dresde par les bombardements alliés en 1945 où en quelques heures une ville de 630.000 habitants fut éradiquée, et 25.000 civils disparurent dans un enfer de feu.

 

 

 

8_g-kopf_1987 - copieMais l'inspiration de l'artiste n'est pas toujours aussi dramatique, Gruss aus Oslo, rappèle un épisode de la vie de l'artiste : la serveuse qui le soutint alors qu'il avait fait une chute en sortant d'un musée d'Oslo inspira l'effigie assez burlesque d'une femme au physique généreux, aux gros nez et aux seins amples soulignés de rouge. Plus loin ses autoportraits, aussi grotesques que monumentaux, clôturent l'exposition. L'artiste s'est représenté en adolescent attardé, coiffé d'une casquette, les mains dans le poches, aux pieds de lourdes chaussures à talons hauts ; ou encore comme une caricatures du penseur de Rodin, un sexe turgescent surgissant de manière agressive entre ses cuisses, tel une écharde.

 

 

 

L'exposition comporte aussi quelques superbes dessins exécutés avec beaucoup d'autorité mais l'on s'arrêtera surtout devant les sept « Herfreud Grüssgott », une série de peintures inspirées par le portrait de Freud, peintes en pointillé et têtes en bas. Ces visages, qui vont souvent par paire sur chaque toile, déclinent le masque du père de la psychanalyse sous la forme de différents personnages à la signification énigmatique. Ils sont souvent aux prises avec des bandes de coups de brosses noires qui les séparent, les menacent, les cantonnent.

 

 

 

Ainsi, l'humaine nature dans sa tragique et dérisoire trajectoire inspire un artiste qui, sans pervertir un médium traditionnel dont finalement il respecte les règles en dépit de ses outrances, sait en renouveler l'image. C'est peut-être par là qu'il nous touche et nous parle.

 

 

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Baselitz dans son atelier près du lac d'Ammersee (Bavière), travaillant sur Dunklung Nachtung Amung Ding © Elke Baselitz.

 

Modell für eine Skulptur, Museum Ludwig Cologne © Georg Baselitz

 

G-Kopf Ludwig Museum, Budapest © Georg Baselitz

 

 

 

 

Baselitz sculpteur

 

30 septembre 2011 – 29 janvier 2012

 

Musée d'Art moderne de la ville de Paris

 

11, avenue du Président Wilson, Paris 75016

 

Tél. : 01 53 67 40 00

 

Fax : 01 47 23 35 98

 

Internet : www.mam.paris.fr

 

Horaires : tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 22h

 

Tarifs : plein tarif, 9€ ; réduit, 7€ ; jeunes (14 à 26 ans, 4,5€ ; gratuit jusqu'à 14 ans. Réservations possibles sur le site

 

Animations : visites adultes, visites-animations pour les enfants, ateliers pour les enfants, voir le site à la rubrique Service culturel.

 

Publication : Catalogue, 37€