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Expositions

 

 

Jean Barbault (1718-1762)

Le théâtre de la vie italienne

 

 

 

 

 

sultanegrecqueC'est une jolie toile, pas très grande. Pourtant dans les salles du Louvre, entourée de chefs-d'oeuvres du XVIIIe siècle, on la remarque. Elle représente une Sultane grecque : sur un lourd coussin gorge de pigeon comme on disait à l'époque, vêtue de somptueuses soiries brochées, or sur bleu canard, or sur or, la dame coiffée d'un chapeau chinois drapé de bleu, orné de rubans corail et de plumes d'autruche outremer, tient d'une main un tambourin et de l'autre un bijou ( En fait on ignore ce qu'elle tient). La matière de la peinture, onctueuse, lumineuse est un enchantement. L'identité de l'auteur, Jean Barbault, ne dit plus grand chose au curieux.

Le musée des Beaux-Arts de Strasbourg qui vient d'acquérir une toile importante de cet artiste organise une exposition pour faire le point des connaissances sur lui et le situer dans son époque et son milieu.

En fait la « sultane » est un homme, un peintre pensionnaire de l'Académie de France à Rome, et le tableau un souvenir de la mascarade de 1748. Les jeunes artistes du palais Mancini avaient l'habitude d'organiser à l'occasion du carnaval un cortège pantomime très apprécié des Romains : celui-ci, sur le thème de la Caravane du Grand Seigneur à la Mecque, eut un tel succès que le Pape Benoît XIV tint lui-même à y assister incognito. En fait, tout n'était qu'illusion : les Sultanes ? Des jeunes gens. Les somptueuses soieries ? Des toiles peintes. Les zibelines qui bordent manteaux et houppelandes? Du lapin... Mais par la magie d'un pinceau sensuel et inspiré qui transcende tout, on y croit. La mode était alors à l'Orient, pas nécessairement un Orient très réaliste, mais un Orient qui faisait rêver et fantasmer. Autres charmants tableaux de cette série aux coloris chaleureux et riches, l'Aga de Janissaires, le Garde du Grand seigneur, le Prêtre de la Loi etc. témoignent de cette mode.

Jean Barbault ( 1718-1762) eut un parcours atypique : élève du peintre Jean Restout, auprès duquel il acquit cette manière « large et forte » que le maître délivrait à ses élèves, il tenta en 1745 le Grand Prix qui ouvrait aux jeunes peintres les portes de l'Académie de France à Rome ; mais il échoue. Il décide de partir par ses propres moyens, et vivote en faisant quelques travaux de gravure – il collabora avec Piranèse -, quelques tableaux, puis il obtient de Jean-François de Troy, alors directeur de l'institution, la commande des peintures de la Mascarade dont fait partie la Sultane grecque. Finalement, en 1750, il est autorisé à résider dans le palais Mancini où il dispose d'un atelier, est logé et nourri. Assez rapidement il mécontentera ses protecteurs et finira par être expulsé par le successeur de De Troy, le peintre Charles Natoire. Il mourra en 1762 de maladie laissant une veuve et trois enfants.

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Barbault doit la survie de son nom aux tableaux de la Caravane mais aussi à la longue composition (40 x 393 cm.), conservée par le musée de Besançon, représentant la mascarade de 1751 dite des quatre parties du monde : long défilé de personnages à cheval ou à pied, casqués, empanachés, enturbannés, encadrant des chars allégoriques dont le dernier, furieusement baroque, contient un orchestre. C'est peint de façon preste, vive, en touches colorées, précieuses, rapidement posées avec autorité, les silhouettes pleines de vie malgré leur stylisation gesticulent, dialoguent... Ce monde semble s'amuser beaucoup. Comment ne pas évoquer les triomphes antiques que ces gens férus d'études classiques connaissaient ? Comment surtout ne pas penser aux entrées solennelles des ambassadeurs auprès de la Papauté qui se déroulaient selon une pompe incroyable ? N'y aurait-il pas une intention parodique de la part de ces jeunes gens ?

ruinesaveclastatuettedesculapeLa série des petits tableaux que le comte de Vandières, frère de la marquise de Pompadour, lui commande est tout aussi charmante. Le jeune homme, avant de prendre ses fonctions de directeur des Bâtiments à Paris, effectuait en Italie un « Tour » formateur. Il s'agit d'images de types italiens, paysannes, bourgeoises, gens de maisons, soldats... L'artiste ne s'attarde guère sur les visages peints à grands traits au risque de friser la caricature - voir la trogne à la limite de la myxomatose du Cocher du Pape, du Gentilhomme en habit de cour ou du Suisse de la garde pontificale -, les femmes sont mieux traitées mais il serait abusif de voir des portraits voire des caractères. Tout cela évoque plutôt les gravures de mode. Il reproduira ces types en plusieurs exemplaires pour répondre à la demande mais sans jamais se copier, variant les couleurs comme les cadrages. (voir Un regard une Image)

Barbault est l'auteur de quelques paysages (des caprices à partir des ruines antiques de Rome), de rares compositions religieuses et d'encore plus rares scènes mythologiques. En l'absence de signature cette production est conjecturale tant le monde de l'Académie de France à Rome était homogène.

bergernapolitainAutrement intéressante est l'acquisition du musée des beaux-Arts de Strasbourg : Berger et bufflonne quittant une grotte. Sur fond de paroi calcaire beige crème qui s'assombrit à droite avec l'ouverture d'une grotte, un jeune berger asticote plus qu'il n'aiguillonne une bufflonne, une génisse de buffle en fait, qui, le museau frémissant, la corne arrogante, a l'air de ne vouloir n'en faire qu'à sa tête. La position contournée du pâtre, le flegme de l'animal, chargent d'ironie la scène. Cette oeuvre a-t-elle une signification ignorée aujourd'hui? On sera sensible à la richesse fluide de la pâte, aux couleurs raffinées et à l'ambiance enjouée de l'ensemble.

Barbault n'a pas fini d'étonner et de séduire car tout n'a pas été dit et les découvertes devraient venir compléter le portrait que propose le musée de Strasbourg.

 

 

 

 

 

Gilles Coÿne

 

 

 

Sultane grecque, 1748, Paris, musée du Louvre © RMN/Hervé Landovski

Mascarade des quatre parties du monde, 1751 (détail) © Besançon, musée d'art et d'archéologie/C. Choffret

Ruines avec statue d'Esculape, 1754, Angers, Musée des beaux-Arts © Musées d'Angers

Berger napolitain et bufflonne quittant une grotte, vers 1750, Strasbourg, Musée des Beaux-art © M. Bertola

 

 

 

Jean Barbault (1718-1762)

Le théâtre de la vie italienne

21 mai-22août 2010

Galerie Heitz, Palais Rohan

Musée des Beaux-Arts de la ville de Strasbourg

2, place du château, Strasbourg

Tél. : 03 88 52 50 00

Internet : www.musees-strasbourg.org

Publication : Jean Barbault (1718-1762) – Le théâtre de la vie italienne.- Strasbourg, 2010, Musées de la ville de Strasbourg, 208p., 29€