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Expositions

 

 

 

 

Boilly (1761-1845)

                             

            Chroniques parisiennes

 

 

 

 

 

Le Louvre ne l'expose pratiquement plus et dans le coin d'une salle obscure, le Palais des arts à Lille, capitale de sa région natale, guère plus : Leopold Boilly (1761-1845) ne fait plus recette dans les institutions officielles, aussi l'exposition que propose le musée Cognacq-Jay à Paris, en dépit de ses dimensions modestes et de ses manques, vient-elle à point rendre justice à un créateur et à un maître qui fut si profus et si célèbre en son temps. Ce peintre charmant et parfois bizarre vaut mieux que le regard condescendant porté aujourd'hui sur une production jugée bien prosaïque. Tout au plus lui concède-t-on qu'il fut l'indulgent l'illustrateur de la société frivole du Directoire, celle des Inc_oyables et des Me_veilleuses, puis celles de l'Empire et de la Restauration, enfin de la monarchie de juillet, en un mot le temps de l'émergence et du triomphe de la bourgeoisie, d'où la tentation d'en faire un peintre bourgeois. On reconnaît à ses tableaux, dessins et gravures des qualités documentaires indéniables mais, aujourd'hui, ils trouvent plus volontiers leur place dans l'illustration des manuels scolaires que dans les pages des histoires de l'art. Il faut dire que sa technique impeccable, sa facture léchée et incroyablement virtuose, ses couleurs acidulées, son goût pour les petits formats, ne sont guère susceptibles d'intéresser une époque qui prise plus le discours que le faire et qui goûte plus que tout un art déclamatoire, si possible en format démesuré.

 

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Boilly, né dans le Nord à La Bassée en 1761, est un autodidacte qui rapidement se fait un nom dans sa région. S'il s'installe à Paris en 1785 c'est pour parfaire sa formation, élargir son univers, sa clientèle, sa notoriété. Loin de la grandiloquence et de l'héroïsme du temps qui inspirent plus volontiers les artistes d'alors, Boilly va se faire le chroniqueur d'un Paris familier, grouillant de vie, dont il rendra avec succès et beaucoup de charme les menues évolutions pendant plus de cinquante ans. Ici pas de grands gestes déclamatoires, pas d'envol de toges, pas de casques emplumés agités par le vent de l'épopée, pas de larmes sinon celles que l'on verse devant un mélodrame boulevard du crime. L'artiste atteint dans ce registre modeste une sorte d'excellence : ses scènes de genre sentimentales ou amusantes, ses images de la rue, sa vision, souvent drolatique, de l'humanité, séduisent encore. Il fut aussi et surtout un portraitiste très recherché : il est l'auteur de plus de quatre mille cinq cents petits portraits exécutés en deux heures que le modèle emportait avec lui, encadrés, en fin de séance – en quelque sorte des photomatons avant la lettre. Si l'exposition en présente quarante, disposés côte à côte en une sorte de mur imagé, en revanche, on déplorera l'absence d'effigies plus ambitieuses comme celle de Mme de saint-Ange (une merveilleuse reconvertie dans la respectabilité) ou celle de Charles d'Aucourt de Saint-Just, représentés tous deux dans un paysage ; portraits d'une sensibilité préromantique où l'on sent l'influence de la peinture britannique.

 

Boilly1Du portrait à la caricature en passant par la figure d'expression – tous domaines que le peintre a exploré avec verve – l'art de Boilly, plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord, repose sur une double tradition : d'un côté, les bambochades nordiques au XVIIe siècle avec leurs gens du peuple aussi paillards que crasseux, jouant, buvant, rigolant, fumant, forniquant, pissant, pétant, déféquant pour la plus grande joie des élites qui se sentaient à bon compte supérieures à de telles turpitudes ; de l'autre la très gourmée Académie royale de Peinture et de Sculpture qui régulait, au nom du bon goût, du grand goût, l'art de la figure en en fixant les codes épurés et en en donnant les modèles en dessins et en gravures. L'artiste, sans renier cette tradition, se joue des apparences à commencer par la sienne : il se portraiture en Sans-culotte, ou les cheveux poudrés à la mode de l'ancien régime, en Jean qui rit opposé à un Jean qui pleure, son propre père, (1808-1810), enfin à plus de soixante-dix ans s'assoupissant après un repas... On notera aussi la série de lithographies caricaturant en forçant le trait les défauts de ses contemporains : Le Noble plein de morgue toisant le spectateur, en une tentative désespérée de renouer avec une splendeur définitivement passée, les attendrissant petits Ramoneurs. Moins attendrissant est le sort de ses enfants qui de par leur petite taille ramonaient les cheminées au risque de l'asphyxie ou de la chute.

 

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Ses représentations urbaines ou plus intimes, à la facture d'une précision remarquable, sont organisées avec beaucoup d'habileté et ont demandé un travail de mise en scène minutieux. La Réunion d'artistes dans l'atelier d'Isabey, présenté au salon de 1798 est en fait le portrait d'une génération de créateurs, musiciens et architectes compris, qu'unissaient des liens d'estime et d'amitié. Le peintre a disposé les personnages en groupes contrastés dans le salon du futur miniaturiste de Napoléon et de la société impériale décoré par Percier et Fontaine selon les canons de la nouvelle esthétique néoclassique. Assis, debout, discutant par groupe, les uns autour d'un chevalet analysant la dernière toile du maître, les autres penchés autour d'une table, les acteurs de cette société brillante, cultivée, parlent, s'exclament, on entendrait presque le brouhaha... En dépit de son format moyen l'œuvre parait monumentale. On remarquera au centre le couple pivot que forment les peintres Guillon dit Lethière et Carle Venet. On les retrouvera cinq ans plus tard dans une autre composition L'Arrivée d'une diligence dans la cour des Messageries (1803)Séparés, campés en sens inverse, on les reconnaît, l'un près du groupe central que l'auteur forme avec sa femme et ses enfants, l'autre, l'élégant Carle Vernet, à l'extrême droiteCe genre de recyclage n'est pas unique, au fil de l'exposition dans des toiles différentes resurgit tel ou tel personnage vu dans un autre.

 

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Boilly peint d'un regard indulgent ses contemporains, leurs menus tracas mais surtout leurs plaisirs : Carnaval aux grands Boulevards – on remarquera que le costume des nobles d'avant est devenu aussi exotique que les travestis orientaux ou un quelconque Polichinelle, voire les anciennes « Tricoteuses » - les modes passaient vite en ces temps -, Guignol sur les Champs élysées, le petit Savoyard gagnant quelques piécettes à l'aide marionnettes (La Représentation de marionnettes 1812) que l'on retrouvera seuze ans plus tard au premier plan de La scène d'un cabaret (1828), les cafés chics, les moins chics, tripots et estaminets de banlieue, enfin les théâtres qui connaissent alors un âge d'or. 

 

Boilly a inventa le terme Trompe-l'œil et l'Académie française l'entérinera peu après sa mort. Certes les artistes pratiquaient ce genre d'œuvre depuis des siècles, mais c'était un peu marginal. Le peintre, au contraire, par l'abondance de sa production et sa virtuosité lui donne une dimension nouvelle. C'est un jeu, lui-même comme ses contemporains n'y voyaient rien d'autre, mais pour aller dans le fond, n'est-ce pas une sorte de doute qui est ainsi instillé ? Peut-on faire confiance à un regard si aisément mystifié ? Boilly peint des cadres aux verres brisés contenant un pèle-mêle de dessins et de gravures ; c'est à s'y tromper. Il représente ses fils en soldats – Les petits soldats, (1809) – à première vue une gravure, en fait une peinture – il multiplie ce genre de méprise; on serait tenté de saisir la grappe de raisin accrochée à un clou, et d'arrêter son petit chat effronté  surgissant dans la déchirure d'un tableau , prêt à faire quelque sottise... Derrière ce qui pourrait passer pour des mièvreries se cache en réalité une interrogation sur la fiabilité du regard et partant du témoignage visuel.

 

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Le Paris de Boilly est un Paris de Cocagne où l'on distribue des vivres aux indigents et où les théâtres offrent des séances gratuites, une ville où les laitières comme les marchandes de fleurs sont coquettement vêtues – sans doute quelque galant est-il passé par là -, où n'existent ni mendiants, ni ouvriers dépenaillés. Il faut bien parler ici des lacunes de cette charmante exposition : manquent les tableaux représentant les charrettes où les pauvres mis à la rue par la spéculation immobilière entassaient leur maigres biens. Manque aussi la grisaille représentant les galeries du Palais Royal, haut lieu de la prostitution crûment décrit par l'artiste. Mais que ce bémol ne diminue pas le plaisir du visiteur qui en fait de peinture ancienne n'est guère gâté en ce moment à Paris.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Boilly (1761-1845), Chroniques parisiennes

16 févier au 26 juin 2022

Musée Cognacq-Jaÿ

8, rue Elzévir, 75003 Paris

- Tél. : 01 40 27 07 21

- museecognacqjay.paris.fr

- Horaires et tarifs : tous les jours sauf lundi de 10h à 18h, fermé le dimanche 1r mai. Tarifs, 8€ et 6€.

- Publication : Annil Lemoine dir., catalogue.- Paris, 2022, Paris Musées, 160p., 29,90€.

- Animation culturelle : visites, ateliers, conférences, journée européenne des métiers d'art. Consulter le site du musée.